Rentrée en fanfare sur Le Blog documentaire puisque nous nous associons à Bodega Films pour la sortie du documentaire de Davy Chou, Le Sommeil d’or. Après avoir parcouru de nombreux festivals, le film, sorti en salles en France le 19 septembre dernier, arrive sur les écrans suisses ce mercredi 3 octobre.
Et pour honorer comme il se doit ce nouveau partenariat, une projection/débat en présence du réalisateur est organisée ce lundi 1er octobre à 20h20 à l’Espace Saint-Michel (Paris). La rencontre sera notamment animée par Dorothée Lachaud, qui signe également l’analyse ci-dessous. Venez nombreux !
A l’image de la première séquence, Le Sommeil d’or fait un travelling arrière sur le passé. Un travelling saccadé, langoureux et élégant sur l’histoire d’un peuple, les Cambodgiens, et de leur cinématographie disparue – ou plutôt tragiquement effacée par la dictature khmère. A ce stade, vous avez la sensation que ce documentaire est triste, vous croyez qu’il s’agit d’un énième film sur les ravages du régime des khmers rouges, mais que nenni. Le Sommeil d’or transpire d’une joie rare et délicieuse : celle du ressouvenir. Les différents intervenants du film (acteurs, réalisateurs et techniciens de l’âge d’or du cinéma cambodgien) ne se racontent pas, ils se retrouvent ; certains, comme le cinéaste Li Bun Yim (Ô combien saisissant), vont jusqu’à se remettre en scène, jusqu’à réinvestir ce qu’il reste des lieux de leur gloire passée.
En cela, Le Sommeil d’or est bien plus un film sur l’humanité en l’homme que sur le cinéma cambodgien. C’est cette humanité que le réalisateur, Davy Chou, part trouver, en interrogeant au Cambodge aujourd’hui, ceux qui ont participé de près ou de loin à cette industrie éteinte, mais aussi les cinéphiles qui comme lui cherchent à en collecter les traces, à la réinventer. Le réalisateur est presque ici un archéologue : il n’hésite pas à creuser au plus profond des êtres et des lieux pour trouver quelque trace enfouie, quelque signe, quelque soupir.
Mais cette enquête est pour lui plus un moyen qu’une fin : le moyen de dessiner le visage du Cambodge d’aujourd’hui, un pays libéré de la dictature mais encore hanté et habité par son passé. En se remémorant leur passé face caméra, les personnages du film livrent aussi au jeune réalisateur des clés pour mieux comprendre sa propre histoire. C’est d’ailleurs Sohong Stehlin qui s’exprime d’abord depuis son appartement parisien : elle raconte son premier souvenir de cinéma, son premier rôle de petite-fille dans un film produit par son père, Van Chann, le grand-père du réalisateur. A travers la figure oubliée de Van Chann, Davy Chou exhume une partie de son histoire : celle d’un jeune français d’origine cambodgienne qui fait un film pour trouver des réponses, pour mettre en lumière la généalogie de son peuple frère.
Si le documentaire éclaire le monde à travers un point de vue, on peut dire qu’ici il est double : l’histoire particulière d’un réalisateur qui s’imbrique dans celle plus large, plus universelle, d’un peuple meurtri. C’est cette dialectique qui saisit le spectateur du Sommeil d’or et qui, de séquences en séquences, donne à la parole le pouvoir de reconstruire les mémoires. Car c’est bien là la force et la beauté suprême de ce documentaire : il reconstruit un pan de l’Histoire socio-culturelle cambodgienne, à partir de bribes qui en auraient découragé plus d’un. La détermination du réalisateur à retrouver ce passé confère au film une énergie rare, une grande émotion aussi. La relation de confiance qu’il a installée avec ses interlocuteurs lui permet de recueillir une parole intime, enfouie, que les témoins redécouvrent eux-mêmes, en même temps qu’ils l’expriment.
Le titre annonce le principe même du film : dans les plis de l’Histoire, au cœur d’histoires en sommeil, en cherchant bien, on trouve des pépites. Et le film devient un conservatoire pour ces pépites glanées au fil des rencontres, des lieux explorés, des visages retrouvés. En ce sens, Le Sommeil d’or est une parade contre l’oubli, une façon de dire « plus jamais un tel massacre, plus jamais un tel patrimoine détruit ». J’y vois un acte engagé ; et encore plus quand je pense à la forme même de ce film : un récit cinématographique et élégant en forme d’hommage, où chaque travelling, chaque plan séquence, chaque musique trouve sa place. Une façon de faire du cinéma pour remettre les témoins dans le champ de la caméra, pour leur rendre leur histoire.
Et sur la colline qui porte son nom, Dy Saveth redevient une star.
Et dans ce qui pourrait être un ancien studio, Li Bun Yim réouvre la bouche du Génie du Lac…
Davy Chou signe ici un film généreux et « magique » : en replaçant leurs noms sur leurs visages oubliés, Le Sommeil d’or va peut-être permettre à Dy Saveth, Li Bun Yim, Yvon Hem, Ly you Sreang et leurs compagnons, de dormir en paix.
Dorothée Lachaud
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