Le Blog Documentaire n’oublie personne ! Après ARTE et France Télévisions (et en attendant la parole d’autres diffuseurs), nous sommes allés rencontrer l’équipe de l’interactivité de TV5 Monde. Hélène Zemmour dirige ce service qui s’est notamment illustré en diffusant Un Eté à Alger avec Narrative – tout récent lauréat du prix spécial Web&Doc 2013 de la fondation Varenne (avec le FIGRA). Le projet avait donné lieu à une collaboration étroite avec Louis-David Delahaye, qui travaille au département documentaires de la chaîne internationale. Mais l’implication dans le webdoc de TV5 Monde ne s’arrête pas là. Et si nous ne partageons pas forcément la même définition du genre, nous sommes allés leur demander de nous exposer leur stratégie en la matière…
Le Blog Documentaire : Présentez-nous l’équipe dédiée au web à TV5 Monde…
Hélène Zemmour : Le service de l’interactivité que je dirige regroupe le département des nouveaux médias et pilote les programmes pour le web, le mobile, les réseaux sociaux. En fait, ce département de 15 personnes s’occupe de l’ensemble de la stratégie digitale sur TV5 Monde. Nous sommes donc assez peu nombreux, et nous n’avons pas de pôle dédié au webdocumentaire. Nous n’avons pas le luxe de France Télévisions en la matière : seule une ou deux personnes ont le temps de lire les projets que nous recevons. Nous les lisons également avec Louis-David Delahaye [responsable de l’Unité documentaires et programmes courts], afin de définir quels projets peuvent être intéressants pour l’antenne et pour l’interactivité. Ces projets doivent correspondre à la charte éditoriale de la chaîne et il faut qu’il y ait un intérêt à les déployer sur tous nos supports.
Parmi ces supports, le site web de TV5 Monde génère 6 à 8 millions de visites par mois. C’est un portail très identifié pour la francophonie et la culture. Mais pas seulement : notre audience provient en réalité du monde entier, avec de nombreux francophiles. Notre public n’est pas parisien, ce n’est pas un public d’experts sur le webdocumentaire. Notre ambition est donc de parler à cette audience plus large avec de nouveaux formats.
Comment voyez-vous votre investissement sur le webdocumentaire jusqu’à présent?
H.Z. : De mon point de vue, nous avons expérimenté toutes les approches sur le webdocumentaire. Nous tâtonnons et nous apprenons en réalisant ces différents projets. J’identifie trois niveaux possibles d’intervention pour une chaîne comme la nôtre sur le webdoc.
Le premier niveau, c’est ce qu’on a fait par exemple avec l’INA sur Shalom Amigos. Nous achetons des programmes avec une enveloppe assez restreinte, entre 1.000 et 3.000 euros par projet. Nous l’avons fait avec l’INA, qui est un partenaire naturel pour nous, mais aussi sur un projet comme Fatéa où, en dehors d’un petit apport en numéraire, nous avons proposé une aide en industrie pour l’écriture et surtout pour l’hébergement du projet sur notre site.
Nous avons aussi travaillé avec ARTE sur le thème des indépendances africaines. C’était naturel pour nous de diffuser les webdocumentaires produits par la chaîne franco-allemande, car TV5 Monde diffusait déjà des documentaires antenne sur le sujet. En termes de webdocs, il y a vraiment tous les formats : cela va de webdocs multimédia très petits et à des webdocs très riches, quasiment des DVD. Sur ce projet-là, ça ressemblait beaucoup au DVD : 7 pays africains avaient fait l’objet d’un webdoc, dans un esprit de collection. Nous avons donc investi 15.000 euros car cela permettait d’effectuer un travail pédagogique en aval, et bien sûr il nous intéressait de récupérer ce contenu sur l’Afrique qui constitue l’un des axes de notre ligne éditoriale. Et nous savons aussi apporter des développements à ces programmes. Nous avons « pédagogisé » l’ensemble, en proposant un dispositif gratuit d’apprentissage de la langue française sur le web à destination du public francophone. Nous en avons même fait un DVD permettant au projet d’avoir une vie très longue. Nous sommes sensibles au phénomène de longue traîne pour les projets web.
Car le problème du webdocumentaire aujourd’hui, c’est qu’il génère très peu d’audience. Sur des programmes aussi riches et beaux que ceux-là, les diffuseurs et les producteurs s’aperçoivent en fin de projet qu’il est dommage que le webdoc soit aussi peu vu. Nous arrivons à cette étape-là, en apportant un peu d’argent et surtout une diffusion plus large. Notre audience est aussi basée sur des communautés bien installées sur les réseaux sociaux. Nous pouvons réaliser des bande-annonces sur l’antenne, touchant une communauté mondiale. Tout cela contribue à apporter un rayonnement à des webdocs déjà réalisés.
Nous allons continuer à faire ce type de coproduction parce que cela vient nourrir le site. Nous sommes attentifs à ce que nous achetons : on ne veut pas d’un webdocumentaire qui soit périmé au bout de 6 mois, ni du webdoc d’information comme le propose France 24. Ce n’est pas notre spécialité, et nous n’avons pas d’équipe dédiée pour cela. Avec Louis-David Delahaye, nous cherchons donc le bon sujet qui puisse intéresser tout le monde, au-delà du public français, avec le bon angle. La portée multilingue, le regard extérieur, c’est essentiel pour nous.
Le Blog documentaire : Venons-en au deuxième modèle…
H.Z. : Le deuxième niveau d’intervention est illustré par le projet Un été à Alger. Le projet nous est arrivé à la direction de l’interactivité mais, avec une enveloppe de 15.000 euros maximum, nous n’avions pas les moyens suffisants pour que le projet se concrétise. Et puis, c’était un objet véritablement « 360 », qui concernait aussi l’antenne. Il a donc été porté par Louis-David.
Louis-David Delahaye : Oui, c’était un projet pensé dès le départ avec une dimension transmédia, et une déclinaison antenne. Nous avions prévu que l’ensemble des petits films réalisés par les quatre réalisateurs algériens pour le webdoc puissent servir à réaliser un film pour l’antenne. Un film, cependant, qui ne soit pas qu’un making-of mais qui enrichirait la réflexion sur l’Algérie, 50 ans après l’indépendance. Les 2 réalisatrices françaises sont donc parties après le tournage des films réalisés par les réalisateurs algériens et les ont mis en scène ; elles leur ont fait parler de l’aventure du webdocumentaire. Elles ont réalisé un premier montage fin août 2012, auquel nous avons apporté quelques modifications. Le montage définitif nous est parvenu courant septembre pour une diffusion en octobre 2012.
Ce qui était intéressant dans ce projet, c’était de voir les limites et les possibilités de l’exercice, aussi bien en termes de production que de réalisation. Les limites étaient bien sûr d’ordre financier, même si le projet entrait dans le cadre des 50 ans des indépendances – une période importante pour TV5 Monde. Cette priorité a notamment eu un impact sur la diffusion du film qui a été décalée. Il y a eu aussi les difficultés inhérentes à la construction même du projet, relativement complexe, avec 2 réalisatrices françaises et 4 réalisateurs avec 4 regards très différents.
Mais cette difficulté éditoriale pose aussi une vraie question sur la façon dont, dans ces projets cross-média, les réalisateurs perçoivent le documentaire et le programme web. Certains d’entre eux ont vu dans ce projet web un espace de liberté qu’ils n’auraient pas trouvé dans le processus classique de production. Cela explique que certaines façons de filmer ou certaines écritures soient différentes, plus libres, que ce que l’on aurait pu attendre pour l’antenne. Bien sûr, on a gagné en qualité en termes de contenus avec cette méthode. Mais clairement, si l’on parle en termes broadcast, on est loin du compte au niveau des images produites. Lors du passage du web à l’antenne, c’était un défi que de rassembler tous ces regards dans un programme de 52 minutes avec une réalisation lissée. C’était difficile, et les deux réalisatrices, Aurélie Charon et Caroline Gilet, ont fait un travail formidable de ce point de vue, en rendant les interviews avec les réalisateurs passionnantes, alors que l’interview est plutôt un genre ennuyeux d’ordinaire.
Quel est le troisième modèle autour du webdocumentaire ?
H.Z. : Le troisième niveau d’intervention de TV5 Monde, on le retrouve dans le webdocumentaire Versailles l’autre visite que nous avons mis en ligne en février 2013. TV5 Monde porte un intérêt très clair à la culture, d’autant que ce type de programme se périme moins vite et que cela parle à tout le monde. Nous souhaitons initier une collection de webdocumentaires autour du patrimoine culturel « invisible », auquel on ne prête pas attention sur des grands sites comme Versailles. Dans le château, nous allons nous intéresser aux coulisses, aux objets que l’on n’a pas l’habitude de remarquer. C’est un webdocumentaire très enrichi, avec plus de 70 vidéos, et des regards d’experts. Là encore, nous allons utiliser les contenus pour les rendre pédagogiques, notamment pour l’apprentissage du français. Ce projet, c’est un membre de notre équipe, Claude Vittiglio, journaliste reporter multimédia, qui s’y est consacré pendant un an. C’est lui qui était à l’initiative du programme Cités du Monde, en quelque sorte l’ancêtre du webdocumentaire. Nous démarrons la collection avec Versailles, mais l’idée est de continuer avec nos partenaires de la francophonie : la Belgique, la Suisse et le Canada.
Le logiciel Klynt intervient-il uniquement pour le contenu ou aussi en tant prestataire ?
H.Z. : Klynt n’intervient qu’en tant que prestataire. Le pilotage et la conception de A à Z ont été réalisés chez nous. Nous avons un contrat avec Klynt, ce qui nous permet d’expérimenter des choses. En revanche, le personnel de l’information de TV5 Monde ne l’utilise pas. Ce n’est pas un outil si simple que cela à maîtriser. Dans mon équipe, je n’ai que deux personnes qui peuvent travailler dessus. J’aimerais bien sûr qu’elles évoluent vers ce type de projets mais nous n’avons parfois pas assez de ressources humaines pour le faire.
Nous allons travailler un outil de publication plus simple, développé par la société 1nterval, qui sera expérimenté dans les jours qui viennent sur des dossiers multimédia : une bonne façon d’encapsuler et d’éditorialiser des webséries. On se rend compte, en effet, que nous produisons beaucoup de contenus par rapport à ce que l’on peut voir ailleurs.
Versailles, c’est quasiment un DVD, avec beaucoup de contenus. Nous souhaitons donc avoir un outil plus simple d’utilisation où, avec 5 ou 10 vidéos, on puisse faire de la publication. Ce serait un peu le niveau 0 du webdoc.
Cela fait plusieurs fois que vous évoquez le mot « DVD » : cela signifie que vous donnez priorité au contenu sur l’interactivité ?
H.Z. : Notre priorité, c’est le contenu premium. Nous ne sommes pas allés au-delà sur les problématiques de navigation car nous n’en avons pas les moyens. Nous travaillons en tout et pour tout avec deux développeurs qui travaillent pour l’ensemble de TV5 Monde. Je pense que cela s’arrêtera au développement sur Klynt pour mettre nos moyens sur la production de webséries plus rentables, car l’enjeu pour TV5 Monde, en tant que chaîne publique, ce n’est pas de mettre 80.000 euros sur un projet. France Télévisions a mis plusieurs personnes autour de Boris Razon, qui d’ailleurs ne développent pas l’écriture en interne. ARTE le fait, avec des capacités pour créer un pôle où chaque projet est écrit avec des outils choisis spécifiquement en fonction du projet. C’est le luxe absolu du transmédia dont nous rêvons tous, mais que nous ne pouvons clairement pas nous payer aujourd’hui.
A suivre…
Propos recueillis par Nicolas Bole
Plus loin…
– Webdocumentaires en Algérie – Projections à Paris
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