Le Blog documentaire a choisi de revenir ici sur un documentaire remarquable, dans tous les sens du terme. Les Conti gonflés à bloc, grand prix 2012 du Festival Filmer le travail de Poitiers, retrace le conflit social qui mit l’usine Continental de Clairoix au centre de l’actualité sociale en 2009.
Commencée le 11 mars 2009, la lutte des travailleurs accueillait 2 jours plus tard la caméra de Philippe Clatot, qui se fit un devoir de filmer l’ensemble du mouvement social jusqu’à son terme. 90 heures de rush plus tard, il s’attelait au montage de ce film à l’économie également militante.
Le documentaire, désormais disponible en DVD, a notamment été sélectionné aux Etats généraux du film documentaire de Lussas en 2011. C’est là-bas que Delphine Moreau a pu le voir, en présence du réalisateur…
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D’abord, c’est le plaisir de rencontrer cet été à aux Etats Généraux du film documentaire de Lussas un chef opérateur qui vient de ma province, de la région de Compiègne, et qui a fait quelques images pour un de mes films. Il est fier d’être là, sélectionné pour Les Contis gonflés à bloc, son deuxième film de réalisateur. Je partage avec lui un peu de l’excitation de l’avant projection, quelques belles heures à profiter du soleil. Et puis vient le grand moment. J’ai peur d’être déçue, de ne pas être suffisamment enthousiaste. Je ne suis pas très amatrice de films militants, de cinéma de lutte ou de cinéma social. Pourtant, je suis happée. Pourquoi ?
Certes je connais ces rues, et sans doute, cela accroche mon regard. Car je ne les reconnais pas. Qui sont ces gens qui font un triomphe aux manifestants ? D’où sort cette énergie ? De Clairoix, petit village voisin de Compiègne où travaillaient les 1.120 « Conti » ?… De Xavier Mathieu, leur porte parole improvisé ?… Tout serait donc possible ?
La presse a largement fait écho du conflit : en 2009 – et aujourd’hui encore – il a quelque chose de d’original, de neuf. Peut-être parce que les trahisons ont été trop nombreuses, trop grosses, trop insupportables (les patrons, l’Etat, la justice…). Peut-être parce que les organisations syndicales ont été dépassées. Peut-être parce que les travailleurs en colère ont eu le courage de la transgression. Peut-être parce que cette lutte s’est terminée par une victoire. L’étincelle n’a pas mis le feu aux poudre, mais elle fait vivre l’espoir.
Le geste de Philippe Clatot est le reflet exact et parallèle de ce mouvement. Il est spontané, trouve son énergie dans la révolte, dans la solidarité et le courage dont parfois, l’humanité se révèle capable. Et le résultat est là. Rage, fatigue, joie… Toutes les émotions de la lutte, le spectateur les vit avec les Conti. Pendant 130 minutes. C’est le temps long de l’action, des rebondissements et des évolutions propres à toute lutte sociale importante. Mais c’est aussi le temps de la réflexion : la Révolution est-elle possible ? Est-ce comme cela que ça commence ? Est-il possible de fonder une autre communauté ? La chronique est rythmée par des passages en « écran divisé » (split screen) qui permettent au spectateur de penser ce qu’il voit, de prendre un peu de distance par rapport à ce combat filmé en « cinéma-vérité » et sans voix off. Face à cette lutte virile d’hommes confrontés à la violence d’un système qui les ignore, j’ai pensé à la Révolution Française, à la Commune, aux films de Peter Watkins. Même évidence de la lutte, même bon sens, même rébellion face à la trahison ; Les Contis gonflés à bloc, c’est l’incarnation soudaine, impromptue aujourd’hui, de la révolte.
Si cela marche si bien, c’est bien sûr parce que la sensibilité de Philippe Clatot le mène naturellement vers cet engagement. Technicien du cinéma, travailleur de l’audiovisuel intermittent, il cesse lui aussi le travail salarié pour prendre la parole et faire ce film. Simplicité, juste place de la caméra, rapport direct à l’image, aux personnes ; on sent l’expérience de terrain du chef opérateur.
… Mais Philippe Clatot n’a pas écrit son documentaire. Il l’a « juste » tourné avec son oeil ultra-sensible et affuté, puis monté avec la révolte au coeur. Il prend lui aussi des risques : aucun financement, public ou privé. Au générique, quelques amis techniciens du cinéma et la mention d’une souscription lancée auprès des ex-salariés de Continental qui ont préacheté le film 15 euros. Et pourtant on est loin de l’amateurisme ; on imagine très bien le film dans les salles de cinéma. C’est un beau travail de professionnel, à base d’amitié et de solidarité.
« C’est avec le cœur qu’on changera le monde » affirme Xavier Mathieu.
Pour Philippe Clatot comme pour la figure emblématique des Conti – et ceux qui les accompagnent – , la démarche est généreuse, désintéressée, solidaire, périlleuse. Mais elle donne du sens à la vie.
Delphine Moreau
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Les précisions du Blog documentaire
1. Pour voir le film Les Contis gonflés à bloc : projection au festival Filmer le travail à Poitiers, jeudi 9 février, 20h30, Chapelle du CRDP ; ou commander le DVD sur le site « Les Filmeurs Production ».
2. Également : Les Conti, (52′-2012) réalisé par Jérôme Palteau, co-produit par Vic Production, les Films d’Ici, France Télévision et France 3 Picardie. Diffusion sur France 3 Picardie le 7 mars à 23h50.
3. A noter : Suite à l’appel du parquet après la relaxe du tribunal correctionnel de Compiègne, Xavier Mathieu, le leader des « Conti » a été condamné ce vendredi 3 février 2012 à 1.200 euros d’amende pour s’être opposé au prélèvement de son ADN, suite au saccage de la sous-préfecture de Compiègne en avril 2009.
4. Pour davantage de précisions sur Peter Watkins, se reporter au site personnel du cinéaste.
5. La photo de Une de cet article est l’œuvre de Patrick Janicek, alias marsupilami92 sur Flickr.
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