Après le Canada en 2013 et le monde hispanophone en 2014, le Mois du webdoc poursuit son exploration des aires de création interactive à l’international… Et place cette année à la Belgique, que Le Blog documentaire a décidé de mettre à l’honneur, en offrant notamment une carte blanche à Marine Haverland, productrice et programmatrice du Liège Web Fest. La présentation ce samedi 7 novembre à 17h à la Gaîté Lyrique (Paris), et en guise d’introduction, nous vous proposons ce petit tour d’horizon – non exhaustif – de quelques faits saillants concernant la production belge d’œuvres (documentaires) interactives.
Un écosystème naissant et encore fragile
Il n’y a pas que la langue qui rapproche la Belgique de la France. Le système de production du pays peu vallonné est une sorte de frère de celui instauré en France : diffuseurs publics, subventions gérées par une institution redistributrice, fonds régionaux… L’équation est connue, et malheureusement encore fragile en termes de financement.
Un frère plus petit, cependant, si l’on en juge par les sommes attribuées par le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel (au maximum pour l’aide au concept : 5.000 euros ; l’aide au développement : 20.000 euros ; et l’aide à la production : 50.000 euros). Et cela, malgré la montée en puissance de Wallimage, fonds d’investissement de la Wallonie qui a conclut l’an passé avec le Fonds des Médias du Canada une entente « visant à établir une mesure incitative en vue d’encourager le co-développement et la coproduction de projets de médias numériques entre producteurs transatlantiques » à hauteur de 600.000 dollars canadiens. Ajoutons également que Wallimage a lancé le 16 octobre dernier une ligne de financement wallonne.
Aussi, la barrière difficilement franchissable en France de l’aide à la production du CNC, conditionnée à l’accord d’un diffuseur, n’existe pas en Belgique. Mais c’est une facilité en trompe l’œil : elle reflète en réalité la prédominance, pour ne pas dire le monopole qu’exerce la RTBF, la Radio Télévision Belge Francophone, en matière de diffusion d’œuvres documentaires interactives. Laquelle RTBF s’est dotée en septembre 2014, à l’instar de France Télévisions ou d’ARTE en France, d’un réel pôle dédié à la webcréation (fictions et documentaires confondus, donc), dirigée par Sophie Berque (entretien à lire ici).
Difficile donc pour les auteurs et les producteurs de trouver de quoi nourrir financièrement des idées créatives qui pourtant s’affinent et affirment leur potentiel à mesure que les formations à ces nouveaux médias apparaissent. Pour n’en citer que quelques-unes, ponctuelles : L’Atelier de développement d’œuvres à destination des nouveaux médias (Aca, mis en place par le CCA), les activités de la SACD ou celles du Pilen.
Côté diffusion, le Liège Web Fest, festival dédié aux nouvelles écritures et au transmédia, tient le haut du pavé national, en décernant des prix qui font désormais autorité (bien qu’encore loin du prestige du DocLab de l’IDFA ou du Sm@rtFIPA à Biarritz). Un certain nombre de projets primés cette année seront d’ailleurs évoqués lors de la présentation de Marine Haverland, qui a co-fondé la manifestation. Un autre festival, le Millenium à Bruxelles, décerne également des prix à des webdocumentaires et a organisé, trois années durant, des rencontres professionnelles parrainées par David Dufresne.
Des acteurs notables défrichent le terrain
Tout comme en France, des acteurs « locomotives » ont émergé en Belgique, contribuant à placer le pays sur la carte de ceux qui comptent dans le domaine des œuvres interactives.
Citons tout d’abord Matthieu Lietaert, qui fut à l’origine d’un premier livre sur le webdocumentaire en 2012. Réalisé avec énergie, enthousiasme, et le temps nécessaire à des dizaines de discussions par Skype, l’ouvrage est fidèle à son titre : un guide de survie à l’usage des créateurs et des producteurs, qui reflète l’état de la création à un instant T. Nécessairement daté à l’heure où les technologies nous ont fait passer aujourd’hui du Flash au HTML5, et peut-être demain à la réalité virtuelle et à l’Internet des objets, l’essai vaut cependant d’être parcouru à l’aune des évolutions du genre afin de comparer les enthousiasmes d’hier avec les réalités présentes… Par la suite, Matthieu Lietaert a conçu et piloté l’une des premières expériences interactives documentaires d’envergure du pays, avec Brussels Business Online qui permettait de comprendre la nature des affaires européennes discutées au Parlement de Bruxelles. Le projet web est encore hébergé sur le site d’ARTE…
Même dimension internationale dans le travail de Sébastien Wielemans, réalisateur et producteur du remarqué Connected Walls, dont l’interface proposait de briser (symboliquement, mais pas que…) quelques-uns des 41 murs de séparation recensés dans le monde. Le dispositif mettait en regard, sur un temps donné, deux documentaires réalisés de part et d’autre des frontières entre les États-Unis et le Mexique, ainsi qu’entre le Maroc et l’Espagne. Les équipes de tournages bi-nationales travaillaient à partir des thèmes imposés par les internautes. A noter également que Sébastien Wielemans a été couronné du prix du meilleur pitch lors du dernier Liège Web Fest pour un nouveau projet, Fritkot Forever, qui promet de donner enfin à l’univers si belge des friteries – sujet largement traité en documentaire – un pendant web.
Patric Jean, de son côté, a assurément surpris les internautes en 2012 avec Lazarus-Mirages. Un programme transmédia centré autour de la « pensée sceptique » qui questionnait les croyances, les superstitions, le paranormal ou encore les miracles dans une vaste entreprise de déconstruction intellectuelle. Le dispositif appuyé sur une esthétique sans détour eut le mérite de bousculer les raisons individuelles pour provoquer une distanciation critique par rapport aux messages qui se répandent ailleurs comme des évidences.
Moins frontalement politique mais assurément très social, le travail de Patrick Séverin ambitionne aussi bien d’impacter la réalité. En s’attaquant à la pauvreté ou au monde du travail, le « journaliste devenu auteur » cherche aussi à créer le débat et à contrecarrer les discours dominants. Salauds de pauvres ou Bénévoles ont ainsi été construit avec la liberté des travailleurs indépendants non dénués d’ingéniosité pour atteindre une large audience, et cela sans aucune compromission.
Des projets qui s’inscrivent dans une veine « sociale »
La veine sociale, on le voit, n’a pas abandonné le documentaire belge avec son ouverture au média web. Loin s’en faut… Et l’une des dernières réalisations primées au Liège Web Fest, Providence, vient encore enfoncer le clou. Là aussi, c’est un dispositif transmédia qui est convoqué pour aborder l’épineuse question de la protection sociale à l’heure où le terme « économie » semble recouvrer un peu partout en Europe toute tentative de politique progressiste. Au documentaire de 26 minutes disponible gratuitement en ligne s’ajoute un « jeu sérieux » dans lequel vous devez gérer votre nation en procédant à des arbitrages parfois difficiles à assumer. Parviendrez-vous à maintenir un système social digne de ce nom ? C’est toute la question posée par ce programme.
Cette parenté entre une tradition audiovisuelle – et cinématographique – marquée par les préoccupations sociales (des frères Dardenne à toutes les initiatives associatives qui fleurissent ça et là) et des projets web tout aussi préoccupés par ces questions sera au cœur de l’intervention de Marine Haverland, ce 7 novembre à la Gaîté Lyrique.
Des possibles à venir
Le webdocumentaire belge tente manifestement de saisir le monde avec l’interactivité, voire la participation des internautes. Des réalisations bien ancrées dans leur territoire, qui cultivent leurs racines singulières mais qui se tournent aussi vers des problématiques d’avenir plus universelles. On pense notamment aux enjeux liés aux usages contemporains d’Internet. La thématique des big data, notamment, qui a fait l’objet coup sur coup de 3 projets phare du line-up d’ARTE cette année (World Brain puis In Limbo puis Do Not Track), s’invitera prochainement sur l’Internet d’outre-Quiévrain. Les auteurs du déjà remarqué Geek Politics (projet diffusé il y a 2 ans par Le Soir, puis acheté par les Nouvelles Écritures de France Télévisions) entament en effet une réflexion sur l’ère incertaine et pleine de dangers des paquets de données soumises aux algorithmes de la Silicon Valley. Parions finalement que les auteur-e-s belges sauront mobiliser dans un proche avenir toutes les ressources du web pour toucher les internautes, sur le fond comme sur la forme. Et sans doute avec des préoccupations sociales en tête…
Marine Haverland
Cédric Mal
Nicolas Bole
D’autres projets belges…
Le Bonheur brut (Arnaud Grégoire)
Jean sauve l’Europe (Jean-Baptiste Dumont)
L’homme au harpon (Isabelle Christiaens)