Voilà près d’un mois que des militants américains ont investi les abords de Wall Street pour protester contre les dérives de la finance et proposer une autre vision du monde. Dans leur sillage, des cinéastes s’organisent et viennent mettre leur pierre à l’édifice. Ils proposent un tout autre regard que celui des médias traditionnels, dépassés par les évènements et un brin condescendants dans leurs commentaires.

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Ils se sont avancés en affirmant représenter 99 % de la population américaine, par opposition à l’élite politico-financière (le dernier pour cent) coupable à leurs yeux de vouloir faire payer ses errements aux moins aisés.

Depuis le 17 septembre 2011, des centaines de militants occupent les trottoirs de New York et campent non loin de Wall Street, sur une place rebaptisée pour l’occasion « Liberty Square ». Ces indignés là s’inscrivent dans le sillage de leurs cousins espagnols, italiens, grecs, français et, bien évidemment dans une moindre mesure, tunisiens, égyptiens voire même syriens.

A Manhattan, ils protestent pacifiquement contre le capitalisme financier, contre les largesses accordées à quelques-uns, contre le plan de sauvetage des banques, contre le chômage ou encore contre les expulsions de logements.

Si le mouvement, informe au départ, s’organise peu à peu, il ne présente pas de leader. La structure est « horizontale » – ce qui fait à la fois sa force et son originalité -, et si ce regroupement plutôt hétéroclite (étudiants, retraités… etc.) s’inscrit clairement en opposition au mouvement ultra-conservateur du Tea Party, leurs slogans ne font pas pour autant l’économie de la clarté : « Wall Street is the Problem », « End Welfare for the Rich » (« Stop l’assistanat pour les riches »), ou encore « Paychecks not credit card bills » (« des chèques, pas des factures de carte bleue ») – comme l’a relevé Gabrielle Durana sur Le Plus du Nouvel Obs.

A l’origine du mouvement, groupes de désobéissance civile et réseaux de militants associatifs. Certains les accusent d’être soutenus par le milliardaire américain Georges Soros – qui dément. Le site Gawker a d’ailleurs publié une carte de Manhattan qui localise les plus riches habitants de la presqu’île à qui les manifestants réclament de davantage contribuer à l’impôt. Un autre milliardaire (républicain), Donald Trump, y est décrit comme un « con ».

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A Main Street, les indignés de Wall Street ont plus ou moins rapidement été rejoints par plusieurs personnalités médiatiques : Michaël Moore bien évidemment, mais aussi – et surtout – Naomi Klein. La journaliste militante canadienne est venu y délivrer un discourstranscrit sur le site de The Nation. Elle y loue notamment le courage des manifestants, souligne l’importance de la non-violence et assure que ce « beau mouvement » est aujourd’hui « la chose la plus importante au monde ».

Parmi les nombreuses photos du rassemblement (voir notamment The Big Picture), celle-ci. Vous connaissez peut-être davantage ces films expérimentaux que son visage, mais c’est bel et bien Jonas Mekas qui brandit cette pancarte « L’argent n’a jamais produit quelque chose de beau, mais le peuple si ! Voilà !« .

A son image, nombreux sont les cinéastes (indépendants) à mettre leurs forces et leur créativité au service du mouvement. Alexander Ramírez-Mallis par exemple, qui s’est notamment fait remarqué pour avoir remporté le Doc Challenge international du festival Hot Docs en 2011, propose ce regard sur Occupy Wall Street. Un film aux antipodes de la plus attentionnée des couvertures médiatiques.

Les vidéos de ce type sont nombreuses sur Viméo. On notera également celles, abondantes, de Kristopher Rae qui s’illustre dans une forme plus proche de celle du clip, mais toujours avec Fox News dans le viseur.


Ida Radivojevic
et Martyna Starosta
proposent de leur côté « We the people have found our voice ». Une vision plus nocturne qui fait la part belle aux sons du mouvement, sans distinguer les porteurs des voix... La forme se plie au fond.

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Bien évidemment, le mouvement squatte aussi les réseaux sociaux, à commencer par Facebook et Twitter. Plusieurs sites internet lui sont également consacrés, et servent à centraliser les informations, comme occupywallst.org.

Mieux, au lendemain de l’arrestation de 700 personnes début octobre sur le Brooklyn Bridge, près de Wall Street – arrestations couvertes par le silence assourdissant des médias américains -, David Dufresne détaillait très bien sur davduf.net l’ensemble des outils disponibles en ligne pour suivre le mouvement.

Last but not least, un film collaboratif et participatif a été lancé sur Internet par Audrey Ewell et Aaron Aites. Le projet, qui entend « donner une voix aux sans voix« , ne se cantonne pas uniquement à New York.

99% – The Occupy Wall Street Collaborative Film en appelle ainsi à toutes les bonnes volontés (réalisateurs, producteurs, monteurs, techniciens… etc) pour construire cet objet filmique inédit en regard du mouvement qui l’inspire. Un documentaire qui recherche aussi dans son mode de production une réponse formelle aux questions de fond que soulèvent ses instigateurs.

Vous pouvez appuyer l’initiative sur Kickstarter où le « teaser » de cette entreprise collective est également disponible. Une chaîne Youtube a également été créée pour l’occasion. Et pour tout contact, une seule adresse mail : 99percentfilm@gmail.com.


D’Ava Duvernay à Michael Galinsky en passant par Maria Breaux ou Tyler Brodie, ils ont d’abord été 35 à se lancer dans cette aventure, mais le réseau s’étend de jour en jour. Les initiateurs expliquent que tous les contributeurs seront rétribués à hauteur de leur participation dans le film final – qui pourrait être distribué en 2012 -, et tout dépendra des sommes qui seront recueillies sur Internet. « Tous les formats sont acceptés, tous les points de vue sont les bienvenus et tous les cinéastes seront crédités« , indiquent les organisateurs.

Pour importants qu’ils soient, ces détails restent bien évidemment secondaires. Il s’agit avant tout de saisir « l’Histoire en marche », et d’en proposer un récit que les grands médias américains s’avèrent bien incapables de produire. Le théoricien Douglas Rushkoff explique sur CNN (traduit par Courrier International) que, pour les reporters des grands journaux US, il reste « difficile de comprendre un mouvement du XXIe siècle en se fondant sur des schémas de pensée du politique et de la presse hérités du XXe ».

Autrement dit : les journalistes sont « largués » par la culture des réseaux permise par Internet, et désorientés par un mouvement « sans tête » qui n’aspire à aucune victoire électorale et dont le but est davantage de durer que de vaincre. De plus, l’hétérogénéité des militants et de leurs revendications ne peuvent pas se résumer à 1 minute 30 de JT.

C’est là une des nombreuses limites du journalisme télévisé ; là où, bien sûr, l’œuvre des documentaristes est particulièrement salutaire. Dédramatiser l’information vendue en continu, creuser, approfondir, prendre le temps d’écouter la parole – ses silences, ses hésitations plutôt que ses slogans et ses formules chocs –, cultiver la longueur des plans (séquence) contre le hachage du montage médiatique… A New York, il s’écrit aussi une nouvelle page de l’histoire de la représentation des luttes sociales.

C. Mal

Les précisions du Blog documentaire

1. Une mobilisation mondiale de tous les Indignés est programmé ce samedi 15 octobre. Elle concerne 869 villes réparties parmi 79 pays. Plus d’informations sur http://15october.net/fr/.

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