Nous avons le grand plaisir de donner la parole à Mosco Levi Boucault dans ce nouvel épisode de notre série de podcasts L’Atelier du Réel. Le cinéaste nous a fait l’honneur de nous accorder un entretien à l’occasion de la diffusion sur ARTE de son dernier documentaire, « Mafioso, au cœur des ténèbres ». En sélection au festival Cinéma du Réel en mars dernier, il est désormais visible en ligne sur le site de la chaîne franco-allemande et sera diffusé à la télévision le mercredi 20 juillet à 23h05. Extension ou suite cinématographique de son précédent film, « Corleone, le pouvoir par le sang »(2019), « Mafioso, au cœur des ténèbres » se concentre sur le témoignage de trois repentis de Cosa Nostra et nous permet de mieux saisir les spécificités de « l’être mafieux ».
Un podcast exceptionnel, réalisé en partenariat avec la SCAM, pendant lequel Mosco nous parle aussi de son rapport à l’Italie, de sa méthode de travail, de son goût pour la lecture, de sa relation au « mal » (ce « cœur des ténèbres » qui traverse son œuvre) et… de son possible prochain film.
Mosco Levi Boucault est né en 1946 en Bulgarie et c’est à l’âge de 10 ans qu’il arrive en France. Il est passé par l’IDHEC, l’ancêtre de la Femis actuelle, et c’est dans les années 70 qu’il commence à faire du cinéma, mais surtout en 1985 avec son premier long métrage Des « terroristes » à la retraite, film incroyable et bourré d’audaces cinématographiques sur les survivants de l’Affiche rouge, ce groupe de résistants à l’occupant nazi, tous étrangers, tous communistes et juifs pour la plupart. Le communisme est d’ailleurs un des grands sujets de sa filmographie, avec sa série Mémoire d’ex sur le Parti Communiste Français ou Ils étaient les Brigades rouges en Italie. Il a également réalisé plusieurs documentaires sur des enquêtes policières et judiciaires, à Roubaix, à Abidjian, à Philadelphie, à Milan, ainsi qu’en partie dans son pays natal, la Bulgarie. Puis c’est à la Mafia sicilienne qu’il s’attaque quand il commence à rassembler les morceaux de ce qu’a été la vie au 20ème siècle de l’ancien chef de cette organisation criminelle Salvatore Riina, pour le film Corleone, le pouvoir par le sang, diffusé en 2019 sur Arte.
Ils se disaient “hommes d’honneur”. C’était en réalité des tueurs de Cosa Nostra en Sicile. Arrêtés au début des années 90, ils ont choisi de collaborer avec la justice italienne et de bénéficier du statut de “repentis”. Trois d’entre eux se racontent : comment ils sont devenus mafieux, comment ils l’ont été, comment ils ont décidé de trahir l’organisation et d’en sortir.
« Je n’ai utilisé, dans le montage de ‘Corleone le pouvoir par le sang’, le témoignage des repentis que la partie concernant Toto Riina. Et je n’ai pas utilisé la partie qui les concernait eux. Et je me suis dit que c’était dommage car la matière était importante. J’ai eu la chance de pouvoir enregistrer pendant 8 jours Giovanni Brusca, qui est considéré comme un abominable boucher qui a étranglé et dissout dans l’acide un gamin de 14 ans, qui a appuyé sur la télécommande qui a assassiné le juge Falcone. Et donc j’ai passé 8 jours avec lui, et pendant ces 8 journées, il parlait de Riina, mais il parlait aussi beaucoup de lui, de son parcours. Et donc je me suis dit que ce serait intéressant d’utiliser ce ‘pain perdu’ pour qu’il parle de son parcours à lui, et que les autres aussi parlent de leurs parcours à eux. Et donc raconter un peu ce que ça veut dire que d’être mafieux, et non plus qui a été Toto Riina, quel a été son cheminement. Et donc, oui voilà, je me suis replongé dans ses témoignages pour faire un documentaire sur ‘l’être mafieux’. »
« La chronologie ici est plus existentielle. C’est : qui est-on ? Comment on entre ? Comment on est ? Et comment on en sort ? Donc il y a une entrée et il y a une sortie. Chaque vie est une chronologie. Disons que c’est une chronologie personnelle, psychologique. Ils sont singuliers mais en même temps ils évoquent une histoire plus générale. Néanmoins il y a quand même des dates dans le film : la date de naissance, la date de l’arrestation et il y a la date de la collaboration. Il y a une sorte de chronologie si vous voulez, ce n’est pas atemporel… Du moins, c’est atemporel par rapport à nous peut-être car qu’importe que ce soit en 1982 ou 1992, mais il y a une chronologie qui est dû à : mon entrée, mon être et ma sortie. »
« C’était des pauses [les plans d’insert], et avec la monteuse Tania Goldenberg on avait décidé que ces pauses seraient nocturnes. C’est-à-dire : les ténèbres. Et donc je suis retourné là-bas, à Palerme, pour tourner des plans de nuit de cette ville mais aussi de Corleone. Par exemple, quand l’oncle d’Anzelmo lui dit : ‘mon neveu n’ira pas aux États-Unis car les États-Unis pour mon neveu c’est ici à Palerme’, je suis monté au sommet du mont Grifone et j’ai filmé Palerme de nuit. Mais cette ville ressemble un peu à New-York de nuit, en quelque sorte. Donc, l’idée c’est d’avoir des pauses, qui permettent d’assimiler ce qui vient d’être dit, de l’interpréter, de le retenir. Et des pauses qui évoquent ce qui va être dit. »
« En principe, quand je prépare un nouveau documentaire, je lis des ouvrages sur le sujet, en l’occurrence sur Cosa Nostra, mais pas juste l’histoire de Cosa Nostra, mais plutôt sur comment on est un membre de Cosa Nostra, donc j’essaye de trouver un livre qui raconte ça. Les livres de confessions par exemple, ce qui était le cas du livre de Delphine Saubaber [avec Henri Haget, ‘Vies de mafia’, Stock, 2011]. Et après, une fois que je suis sur place, comme je ne peux pas tourner tous les jours, je m’accorde un plaisir qui est : monter au sud de Palerme aux Cantieri de la Zisa, c’est-à-dire des entrepôts qui ont été transformés en école de cinéma, en école des beaux-arts, etc, et il y a là une bibliothèque communiste, celle de l’institut Gramsci qui a conservé tous les jours des exemplaires du journal communiste ‘L’Ora’, ‘L’heure’. Un mélange de ‘L’Humanité’ et ‘France-Soir’. Enfin, les journalistes étaient les meilleurs journalistes sur la Sicile, qui ont plus tard travaillé dans les grands journaux nationaux, ‘La Répubblica’, ‘La Stampa’, ‘Le Corriere’… Et donc j’aimais bien aller là et feuilleter les journaux. Je sortais l’année 1963, je prenais le premier trimestre et je feuilletais. J’ai même pris des photos. Voilà ma manière de procéder : je lis les journaux comme si je vivais à l’époque où les événements se sont passés. »