Nous aurions aimé découvrir « Thun-Le-Paradis ou la balade d’Éloïse » d’Eléonor Gilbert aux États généraux du film documentaire de Lussas l’an dernier où il fût programmé ; nous aurions aimé le voir sur grand écran dans une salle pleine et brûlante d’humanités rassemblées pour célébrer la magie toujours renouvelée des projections collectives… mais Le Blog documentaire était passé à côté de ce film ! Nous nous sommes bien rattrapés depuis puisque nous vous proposons de le voir en ligne gratuitement pendant trois semaines (jusqu’au 21 août 2023, ensuite il faudra le découvrir dans d’autres circonstances).
Ce documentaire est accompagné d’un entretien audio avec la cinéaste, dans le cadre de notre série de podcasts L’Atelier du Réel. Nous revenons ici avec elle sur son parcours et surtout sur son excellent dernier film : une ode aux voyages ferroviaires comme contre-offensive à la numérisation généralisée de nos existences.
Après avoir suivi les cours de Sciences-Po à Grenoble et étudié une année en Espagne, Eléonor Gilbert entame des études de cinéma pendant deux ans à l’ESAV de Toulouse. Elle a ensuite réalisé des films institutionnels et des captations de spectacles, avant d’effectuer une résidence d’écriture à Lussas en 2010. Son travail cinématographique prend depuis des formes diverses, aussi bien dans l’échange et la co-réalisation que de manière plus solitaire. Ses documentaires se promènent ainsi du côté de la fiction et des expérimentations formelles, avec un goût prononcé pour le commentaire et l’écriture. Depuis 2007 à Grenoble, elle partage un atelier, Utopia 182.
Sa filmographie est à consulter ici.
Thun-le-Paradis ou la balade d’Éloïse
par Eléonor Gilbert (32 min / 2022)
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« Sortant d’un tunnel percé de lumière, Montastruc, petite gare d’Occitanie, est le point de départ d’un trajet qui nous fera finir à Thun-Le-Paradis, en passant entre autres par Choisy-le-Roi, Noisy-le-Roi, Mouchard, Aime, et en nous faisant traverser des bribes de vies, vacances à la mer, promenades, couchers de soleil. Éloïse parle. Elle est la voix qui nous emporte et nous tire dans ce voyage ; elle parle d’abord des trains, des déplacements, des accès, des barrières, puis de toutes sortes de situations quotidiennes prises dans les usages et le contrôle du numérique. »
À noter : Le film sera projeté le 10 septembre prochain aux Rencontres Ad Hoc.
Podcast
« Je suis allée vers cette forme [le cinéma documentaire] pour sa légèreté. Bien sûr, il y a le tournage, on va dehors, on rencontre des gens. Ensuite, il y a tout un processus pour faire aboutir un film. Mais ce type de cinéma, le documentaire, qui se fait avec une certaine légèreté me plaît pour le moment parce que je me sens très libre dedans. Même si j’aimerais parfois bénéficier des compétences d’autres personnes. Je trouve intéressant de convoquer le talent d’autres personnes qui amènent quelque chose, et c’est vers ça que j’ai envie d’aller. Mais jusqu’à présent, c’est comme si je m’étais fait la main à la manière du croquis, du croquis qui va un peu plus loin, qui se transforme de film en film. »
« Moi, ça m’intéresse tout autant de faire du cinéma plus direct comme avec « Espace » que d’expérimenter et d’être dans quelque chose de plus écrit avec de la voix-off. Mais on fait avec ce qu’on a, avec ce que l’on est. C’est vrai que « Thun-le-Paradis ou la balade d’Éloïse » est le premier de mes films où des personnes sont venues filmées avec moi [NdA : Matthieu Chatellier notamment] mais j’aime bien écrire, je peux m’enregistrer, ça peut se faire comme ça, avec un côté « travail qui sort du tiroir ». C’est assez intime cette façon de travailler. L’écriture est quelque chose d’intime. Et pour le moment, les films que j’ai faits sont assez radiophoniques, comme des textes qui rencontrent des images ».
« « Thun-le-Paradis ou la balade d’Éloïse » est venu d’un texte aussi. C’est un film qui se base sur quelque chose de très anecdotique. C’est venu de pleins de petits heurts ressentis dans le quotidien, pleins de moments où je me disais : « Mais comment ça se fait que ça se passe comme ça ? » et « Tiens, il y a ça qui a changé ». De me dire que c’était important ce qui se passait alors que c’était immédiatement aspiré par un phénomène de fluidité, de technologie, et on n’en parle plus. Enfin, il y a des gens qui en parlent. Mais j’ai eu envie de m’arrêter sur des choses qui m’ont semblé très violentes et qui passent à l’as, comme ça, comme si de rien. »
« Quand le mot « dématérialisation » est apparu, je l’ai trouvé très beau. Je trouvais marrant qu’on dise ce grand mot gigantesque si joli. Mais en même temps, je me suis dit : « Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ?! ». Ce truc qui nous dit que c’est mieux quand on n’est pas ici et maintenant. Qui nous dit toujours : « Allez sur un site ». Il y a quand même une idée de ne pas être là, quoi. Et je trouve ça extrêmement troublant alors j’ai essayé de faire un film avec cette parole-là, cette parole qui est un peu simple, celle de madame tout-le-monde, mais il y a quand même des aspects politiques qui sont derrière la dématérialisation : un rapport à la liberté et au contrôle est mis en œuvre. »
Podcast réalisé par Benjamin Genissel
Merci à Eléonor Gilbert et l’Atelier documentaire
Thun-le-Paradis ou la balade d’Eloïse (2022, 32 min)
Image : Eléonor Gilbert, Jivki Darakchiev, Mathieu Chatellier
Montage : Luc Forveille
Montage son : Xavier Thibault, Sono Sapiens
Direction de postproduction : Lisa Delpech
Etalonnage : Lucie Bruneteau
Mixage : Pierre George