PRESUNTO CULPABLE
le documentaire qui a fait exploser le box-office au Mexique
C’est l’histoire d’un type qui est en taule, condamné pour homicide, et qui clame son innocence. Sa fiancée tombe sur un documentaire intitulé « El túnel » et décide de rentrer en contact avec ses réalisateurs, Roberto Hernández et Layda Negrete [la productrice de « Presunto Culpable », NDLR]. Les avocats-réalisateurs prennent le dossier en main et par la même occasion leur caméra. Le type est libéré et le film fait près de deux millions d’entrées en salles au Mexique, plus que la dernière fiction d’Iñaritu. Mais que s’est-il passé ? On croit rêver ! Qu’est-ce qui a bien pu pousser les Mexicains à aller voir, en masse, un documentaire au cinéma ?
En premier lieu, l’histoire ; une histoire tellement commune au Mexique qu’elle parle à tous : Un jeune homme, Toño Zuñiga, qui n’a semble-t-il rien d’un délinquant, est accusé d’un meurtre par des flics véreux d’Iztapalapa, quartier populaire de Mexico. Un témoin, menacé semble-t-il par les enquêteurs, le reconnaît, et voilà que notre Toño est condamné par des juges corrompus jusqu’à la moelle à vingt de prison. Si Roberto et Layda n’avaient débarqué avec leur caméra et leur hargne, il serait encore derrière les barreaux.
Les réalisateurs confient que, lors de sa projection en salles, sept spectateurs du film sur dix viennent des classes populaire et moyenne. Et ces proportions ne tiennent pas compte du boom qu’a fait le film sur les stands pirates que l’on retrouve à chaque coin de rue et dont les clients sont issus des mêmes classes sociales. Roberto et Layda affirment avoir ouvert une brèche en ayant réussi à intéresser un public qui, d’accoutumée, ne s’intéresse que très peu au documentaire. C’est que le sujet est parlant. En discutant, en sondant un peu, on a l’impression que la prison est une sorte de service militaire ici : tout membre d’une famille de bas revenus est susceptible d’y tomber, après avoir, ou non, commis un délit. Et une fois qu’on tombe dans le trou, difficile d’en sortir avant une période de cinq ans, au moins, passée à l’ombre. Les fausses déclarations validées par le juge mettent la machine en marche et les avocats véreux qui soutirent l’argent aux familles font le reste. Une période minimum de cinq ans. Comme le service militaire. Mais un peu plus long.
En second lieu, il faut dire que Roberto et Layda on su trouver leur personnage principal et c’est là que les rushs sont passés du document au documentaire : « Presunto Culpable » s’appuie sur le parcours de Toño Zuñiga, donc, jeune vendeur d’Iztapalapa, se battant contre un système corrompu et inhumain. C’est que Toño est le protagoniste idéal qui permet aux jeunes des quartiers pauvres de s’identifier : beau gosse, sensible, Toño sait s’exprimer et, en plus de cela, il chante le rap et danse le hip hop. C’est le « chavo » d’Iztapalapa qui pourrait réussir mais qui est condamné à faire son service militaire : cinq ans de prison. Avant d’être innocenté bien sûr, grâce au soutien de ses amis, avocats et réalisateurs. Il demande d’ailleurs à la procureure, une fois son innocence reconnue, pourquoi elle s’est tant acharnée sur lui alors que les preuves manquaient ; elle lui répond : « J’ai simplement fait mon boulot ».
Bande annonce (VO)
Le film se base sur ces confrontations, entre Toño et ses juges, entre Toño et les policiers, entre Toño et son témoin à charge… Des confrontations qui ne se font pratiquement jamais car elles ne sont pas obligatoires et parce que, souvent, les inculpés ne savent pas qu’elles sont possibles. Des confrontations qui, cette fois-ci, ont été filmées, dans une société où la confrontation est à éviter à tout prix… En ce sens, le portait de la justice mexicaine dépeint dans « Presunto Culpable » serait-il un portrait de la société mexicaine tout entière ? Une société où les exactions et les injustices sont monnaie courante, au vu et au su de tous, mais où la dénonciation publique de ces mêmes exactions reste anecdotique… A la question sur la possibilité du pays de rénover sa justice et son système politique les réalisateurs répondent : « Chaque peuple a le gouvernement qu’il mérite. Au Mexique, nous avons accepté durant longtemps des dirigeants corrompus, en nous plaignant, certes, mais sans faire grand chose pour combattre cette corruption ».
Mais rassurez-vous, le film finit bien. Toño est libéré et retrouve sa famille. Et c’est certainement la raison pour laquelle le film a reçu tant de soutiens, des deux côtés du Río Grande. Même Marguarita Zavala, l’épouse du président Calderón, a répondu à l’appel et a parrainé le film. Un des opposants au gouvernement fédéral, Marcelo Ebrard, maire de Mexico, est lui aussi rentré en lice. Il faut dire que sa police et son système judiciaire étaient sérieusement éclaboussés par « Presunto Culpable ». Ces soutiens montrent qu’au final, le film, même s’il dénonce la corruption qui gangrène le pays, reste tout à fait acceptable, il n’échappe pas au cadre du « politiquement correct » : si Toño a été victime d’une injustice, il réussit, légalement, à se faire innocenter ; preuve qu’en fin de compte, les institutions fonctionnent, ou peuvent fonctionner avec un peu d’aide.
Et c’est ainsi que 120 copies ont été mises en circulation en mars 2011, préalablement annoncées par une imposante campagne publicitaire. La première semaine, 128.000 spectateurs ont répondu à l’appel. Le documentaire, contrairement à beaucoup de productions nationales, avait réussi à se tenir en lice et allait aborder sa troisième semaine dans les salles quand un évènement a tout mis en suspens : une juge fédérale a demandé de retirer le film des écrans.
La censure est venue, semble-t-il, du pouvoir judiciaire. Difficile de penser que le pouvoir fédéral qui avait soutenu le film par l’intermédiaire de la Première dame ait fait marche arrière. Le maire de Mexico aurait lui aussi peu intérêt à faire censurer un film qu’il avait activement parrainé… A moins que ces parrains n’aient pas imaginé le succès du film en salle. Comment pourrait réagir toute une génération de jeunes, possibles « présumés coupables », après avoir vu ce film qui démontre qu’il est possible de faire plier le système ?
Concrètement, la censure a pris la forme d’une plainte du principal témoin à charge contre Toño : celui-ci n’avait pas signé de décharge de droit à l’image et s’est donc opposé à la diffusion de celle-ci. On se demande bien comment un gamin des quartiers d’Iztapalapa a pu être au courant de son droit à l’image et comment sa plainte a pu monter si rapidement au plus haut des instances de la justice fédérale… Le film a été retiré des salles pendant une semaine mais, face à la pression citoyenne et médiatique, les copies ont été remises en circulation avec, cette fois-ci, une publicité encore plus importante grâce à la controverse.
En septembre 2011, on comptait pratiquement deux millions de spectateurs au Mexique, deux-cent copies en circulation. « Presunto Culpable » avait reçu l’EMMY dans la catégorie « investigation journalistique » et il avait bénéficié d’une première télévisée en « prime time » sur la plus grosse chaîne du pays, Televisa.
Dans les sombres couloirs du documentaire mexicain, certaines mauvaises langues vous diront que IMCINE, le CNC local, a soutenu le film à hauteur de 16 millions de pesos (environ 1 million d’euros) alors que le budget de ce dernier était déjà bouclé. Il est vrai qu’on peut s’offusquer que la grande majorité des documentaires ne reçoivent pas un peso de cet institut, et que cette somme soit rarement accordée aux fictions (elle représente le budget total d’une fiction de faible coût), mais il est important de rappeler que, grâce à tous ces soutiens, le film a pu être vu par un public pour qui la seule référence en terme de documentaire était jusqu’alors le « Main Stream » des chaînes nord-américaines spécialisées… A ce sujet, je laisserai conclure les réalisateurs : « Nous pensons que le documentaire est le genre [cinématographique, NDLR] qu’il est le plus nécessaire et urgent de soutenir aujourd’hui pour que le Mexique ait des citoyens bien informés. Au lieu de s’auto-promotionner [allusion aux spots de propagande du gouvernement fédéral, NDLR], l’Etat ferait bien d’amplifier les capacités de l’Institut Mexicain de Cinématographie [IMCINE, NDLR] pour que cette organisation puisse financer et soutenir la réalisation de beaucoup plus de documentaires. ».
Ludovic Bonleux
Les précisions du Blog documentaire
1. Réalisateur et photographe, Ludovic Bonleux vit et travaille au Mexique où il a réalisé Le Crime de Zacarias Barrientos (Images Plus, K production, CDP, 52´,2008) et Souviens-toi d´Acapulco (Novanima, Terra Nostra Films, 73´, en post-production). Vous pouvez retrouver certaines de ses photographies par ici. Il a également signé un compte-rendu du Festival DocsDF de Mexico sur Le Blog documentaire.
2. Vous pourrez trouver davantage d’informations sur le site officiel de « Presunto Culpable ».
3. Le film se trouve quelque part en ligne sur Internet, mais nous vous rappelons que c’est illégal.
4. Ci-dessous, un entretien avec Roberto Hernández et Layda Negrete réalisé par PBS (en anglais).
5. Voyez aussi les spots de « propagande » du gouvernement fédéral du Mexique (en VO).
6. Fiche technique de « Presunto Culpable » :
Réalisation : Roberto Hernández, Geoffrey Smith.
Image : John Grillo,Amir Galván Cervera.
Montage : Felipe Gomez, Roberto Hernández.
Musique : Lynn Fainchtein, Alejandro de Icaza.
Production : Layda Negrete, Yssel Ibara, 2011.
87 min, vidéo, Mexique.