Troisième acte de notre rendez-vous marseillais… Avec une séance de deux films proposée ce dimanche 10 avril dès 18h à Vidéodrome 2. Et encore deux expériences rares issus de festivals : « À cru » de Cyril Laucournet, Grand prix du festival Traces de Vie (Clermont-Ferrand), projeté en sa présence, et « Alphonsine », court-métrage documentaire signé Matthieu Raulic. Bonne séance !
À cru, Cyril Laucournet (2016 – France – 56 min.)
Production : Pages et Images
À cru, c’est à la fois monter sans selle et prendre le risque de parcourir un chemin sur une monture non équipée et par conséquent prendre le risque d’accroître la chute.
À cru, c’est aussi la forme passée du verbe croire : à un phantasme pour les uns, à un délire au sens clinique pour les autres, dont on est revenu.
Ce film visite à la fois des moments de réalité où le vécu de la folie a transformé la vie et des moments de fictions imprégnés de sa présence.
Un côtoiement, où réalité et fiction tendent à être poreux et à se contaminer l’un et l’autre.
Une expérience cinématographique qui souhaite approcher son sujet dans le cœur même de sa construction narrative.
Une étrangeté, une perte de repère, une déstabilisation peut-être qui poussera le spectateur à s’interroger sur les représentations qu’il a de la folie et des personnes qui la vivent ou l’ont vécue.
« C’est un projet, une aventure qui vient de loin dans le temps avec un groupe de cinq acteurs. Nous nous sommes connus voici quelques années à l’hôpital psychiatrique La Colombière – CHRU de Montpellier – dans différents projets artistiques. La confiance réciproque, la connaissance mutuelle et une solide expérience construite dans le temps de nos aventures et rencontres dans et hors de l’hôpital m’ont donné envie de faire un film à partir de leur richesse intérieure qui a fait naître des images chez moi que j’ai envie de partager et de montrer. »
Cyril Laucournet
Alphonsine, Matthieu Raulic (2015 – France – 12 min.)
« Rouspète pas comme ça, tu vas fausser la photographie ! », grogne Alphonsine à son chien alors qu’elle avale un kebab-frites sur le seuil de sa maison. Dans son approche de la vieillesse et de la solitude, Matthieu Raulic ne choisit pas entre l’attendrissement et l’aversion : Alphonsine est un personnage entier que le réalisateur filme comme un bloc, une vieille femme à la fois touchante et horripilante, à la fois attachée à sa solitude et facétieuse devant la caméra. Même Poussin, son cabot un peu timbré, avec qui elle partage son pain quotidien, est tour à tour hargneux et joueur. S’il lui arrive de montrer les crocs, il se détourne vite de ses instincts agressifs pour courir en rond après sa propre queue. Maîtresse et chien se donnent ainsi la réplique. Le réalisateur belge filme la petite femme bossue dans sa maison, en vase clos, loin des regards. Très contrastée, l’image est attentive aux rides, aux joues fendues et aux grimaces de l’âge. Mal à l’aise, presque voyeur, le spectateur assiste au quotidien d’Alphonsine. Observée de derrière le grillage d’une clôture en ruine ou dans sa salle à tout faire, la vieille dame acariâtre crispe, tend, effraie. Matthieu Raulic porte un regard brut et sans ambages sur la misère recluse et cruelle de cette femme. Son intérieur est parsemé de sacs-poubelle et de déchets ; mais elle y semble à l’aise. À l’inverse, dans ce décor gris, l’aide-ménagère semble débarquée d’une autre planète. Le dénuement d’Alphonsine s’explique sans doute : on n’en connaîtra pas l’origine. Ce n’est pas l’objet du film. Matthieu Raulic ne cherche pas non plus à caricaturer son héroïne, à dévoiler une improbable face sombre de cette vieille femme. Dans le même temps où elle effraie, elle séduit. Le cinéaste aide le spectateur à se faufiler entre les grimaces et invectives pour déceler les petits charmes d’Alphonsine. La petite bonne femme nous fait sourire quand elle lorgne avec gourmandise un quatre-quart encore emballé : « Les p’tits gâteaux, j’aime ça ! ». Une autre séquence dévoile une Alphonsine enfantine : avec maladresse, elle cherche à préserver son intimité et son autonomie. Quand l’aide ménagère entre dans la chambre en quête d’un pantalon à repriser, elle peste : « – Vous savez pas où c’est ! – Je sais qu’il est juste derrière la porte. – Non – Si – Non – Si – … Vous allez tout me déblayer et après je m’y retrouve plus ! ». Matthieu Raulic a gagné la confiance d’Alphonsine avec qui il partage des séquences complices, souvent cocasses.Il braque son projecteur sur une intimité faite de « petits riens ». L’héroïne à la tignasse hirsute est belle quand elle s’endort sous nos yeux, alors que son toutou lui lèche la jambe. Des petits riens qui deviennent tout, c’est peut-être ça le charme d’Alphonsine. Comme un dimanche chez sa mamie, ça agace et ça réjouit.
La Vieille et la Bête, par Thomas Denis
Pour « Hors Champ » (Lussas 2015)
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Dimanche 10 avril 18h
Videodrome 2, 49 Cours Julien, 13006 Marseille
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Entrée à prix libre
Adhésion annuelle à l’association : à partir de 5€
Ouverture de la billetterie 30 minutes avant le début de la séance
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