Quatrième séance pour notre désormais traditionnel rendez-vous au cinéma Vidéodrome 2, en plein cœur de Marseille. Les Primeurs du Blog documentaire proposent en mai un film qui mêle l’universel à l’histoire intime : une femme, « La fiancée du Nil » du titre, doit choisir entre un mari qu’elle a à peine rencontré et son premier amour. Dans ce jeu des conventions qui n’exclut pas une forme de marivaudage, le réalisateur Edouard Mills-Affif (par ailleurs responsable pédagogique du Master Documentaire : Ecriture des Mondes Contemporains à l’Université Diderot-Paris 7) convie à une réflexion sur le rôle que tient l’amour au milieu des notions d’honneur, d’engagement et de respect. A mille lieues d’un point de vue ethnographique, voire stigmatisant, sur les sociétés arabes, le réalisateur et son co-auteur, Shérif El Ramly, participant actif du film, livrent une belle chronique sociale dans l’Egypte de l’après-révolution.
C’est un film qui s’avance comme une fausse piste : Shérif arrive au Caire où il vient rendre visite à sa famille. Voyage d’agrément, comme on dit dans les formulaires des compagnies aériennes ? Pas seulement. Car si l’on découvre le decorum de la famille que l’expatrié retrouve avec l’émotion distante de celui qui partage sa vie entre deux cultures, c’est pour très vite en arriver au fait. La fiancée du Nil n’est pas un film d’ambiance ; ou alors l’ambiance est dans la trame narrative amenée avec un air d’évidence, quasi fictionnelle tant elle s’inscrit, limpide, dans les enjeux des personnages. Heba doit se marier avec un homme qu’elle n’aime visiblement pas. Sa mère tente de l’éloigner de son premier amour, icône romantique qui rôde avec son désespoir et une forme de rouerie dans les pattes de Sherif, lequel s’intronise entremetteur entre l’éconduit et la future fiancée qui lui échappe.
Mais difficile de s’y prendre pour le personnage principal, sorte de complice du réalisateur en même temps qu’acteur dépassé par la tournure des événements, quand on adopte une grille de lecture extérieure qui brise les codes sociaux égyptiens. L’amour face à l’honneur, la parole donnée contre le fol espoir de relations libérées des traditions : l’opposition est connue. Mais tout n’est simple qu’en apparence : à rebours des films qui nous content des histoires pour mieux faire de la morale (souvent ethno-centrée, pourfendant avec délice « archaïsmes » et autres « obscurantismes »), La fiancée du Nil développe lentement le récit d’une société prise entre de multiples feux. Ceux du désir légitime de faire parler le cœur ; ceux de respecter autant la tradition que la valeur d’un engagement ; et ceux d’une lutte, féconde, intime, bien plus complexe qu’il n’y paraît, entre personnes des deux sexes.
Il y a dans les relations entre hommes et femmes autre chose qu’une dialectique soumission/domination latente que certains se plaisent à répéter ad nauseam comme l’alpha et l’omega de la « culture arabe ». Il y a des arguties, des silences qui en disent long, des joies non feintes aussi. Ce qu’Edouard Mills-Affif parvient à saisir, c’est cette réactualisation incessante des normes sociales qu’il serait caricatural de voir comme un bloc monolithique. Ici des fissures dans l’entente de la famille, là-bas des désirs de reconquête confiés à Sherif dans une semi-pénombre : autant d’agencements intimes qui disent que le théâtre de l’amour galant peut aussi se jouer sur une partition légère, sans être pour autant anecdotique. Car on sourit souvent avec les personnages, comme on souriait souvent avec Anna Roussillon dans Je suis le peuple. Parce que le fatalisme qui enveloppe l’histoire de ce mariage arrangé n’exclut pas non plus le volontarisme et l’expression des sentiments, on se retrouve au cœur d’une mécanique où l’amour se déclame comme un enjeu social. Ce que nous avons pour une bonne part oublié pour mieux célébrer l’universalité de l’amour, à mi-chemin entre lyrisme échevelé et grands drames passionnels. Ici, le terrain de jeu est plus petit, à l’échelle d’un quartier, et la cause amoureuse se défend plus prosaïquement peut-être, mais aussi avec davantage de ferveur, dans le carcan du réel et des conventions.
Débat sur le film après sa diffusion sur LCP le 29 avril 2016.
Les Primeurs du Blog documentaire sont des événements mensuels mis en place par Nicolas Bole et Claire Lasolle visant à proposer en exclusivité des documentaires rares, en avant-première ou issus de festivals. En mai, La fiancée du Nil sera projeté deux fois, les 18 et 19 mai à 20h30 à Videodrome 2, en présence du réalisateur. L’entrée est à prix libre.
La fiancée du Nil est produit par Temps Noir, avec France Télévisions et en association avec LCP-Assemblée Nationale (qui a déjà diffusé le film) et TV 2M-Maroc.
Le documentaire connaîtra encore de nombreuses rediffusions sur LCP.