C’est chaque année un observatoire privilégié du nécessaire et salutaire travail des correspondants de guerre de par le monde. Les 22emes Prix Bayeux-Calavados viennent d’être décernés. Ils récompensent notamment le formidable travail photographique de Heidi Levine à Gaza, l’incroyable documentaire de Xavier Muntz en Irak (rediffusé ce mardi 3 novembre à 21h50 sur ARTE), ou encore le très beau webreportage de Christian Werner à Madagascar.
Communiqué de presse.
Le chaos syrien au coeur du prix
La 22e édition du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre s’achève. À travers les expositions, les débats, les rencontres et les projections, le public et les journalistes présents à Bayeux ont découvert un monde tourmenté. Les visiteurs repartent avec des réponses. De nombreuses questions restent cependant en suspens même si le Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre tente d’apporter d’année en année un large éclairage pour une meilleure compréhension des conflits dans le monde…
Conflits et conséquences
La Syrie a, cette année encore, agité les débats à Bayeux. En témoignent les commentaires empreints de sentiments d’injustice et d’indignation des grands reporters. « Le Régime bombarde les hôpitaux, les mosquées, les boulangeries, tous les lieux civils », contaste la photojournaliste Laurence Geai. Mais le véritable choc de la semaine aura, sans conteste, été la projection en avant-première du documentaire de Sophie Nivelle-Cardinale et Étienne Huver, Disparus. Des témoignages d’une rare violence, presque indicibles, sur les milliers d’enlèvements de Syriens, séquestrés et torturés en toute impunité par les armées de Bachar El-Assad. Le récit de pratiques inhumaines qui ne sont pas sans rappeler les pires atrocités commises par le passé. Mais la Syrie est également victime d’une guerre de religion qui désormais porte un nom, Daesh. Une organisation djihadiste qui se répand au-delà des frontières du pays et envenime le reste du monde. Un sujet plébiscité par les spectateurs, venus en nombre à la soirée grands reporters du vendredi 9 octobre, et présenté dans les rues bayeusaines au travers de l’exposition collective De Mossoul à Rakka.
Dans le reste du monde, les conflits naissent, perdurent et s’éternisent. L’exposition Ukraine d’Ouest en Est du trio Guillaume Herbaut, Jean-Philippe Stassen et Vadimsky témoigne d’un chaos quotidien dans un pays que l’on pensait libre. Moises Saman invite le public au cœur du Printemps Arabe dans Discordia quand Katia Jarjoura partage dans Shoot the war le quotidien de jeunes cinéastes irakiens. Quand le ciel est bleu de Tomas van Houtryve lève le voile sur la genèse d’une nouvelle guerre, invisible et désinvolte. Une guerre de drones menée par l’inconnu.
Les inéluctables conséquences de ces conflits ont été particulièrement dénoncées lors du forum médias et du salon du livre. Jean-Paul Mari traverse la Méditerranée sur Les bateaux ivres. Claire Billet et Olivier Jobard franchissent, eux, les murs de barbelés quand Pascal Manoukian raconte la vie des « échoués ». Des voyages de la peur, des exils désespérés.
Un palmarès indiscutable, des votes unanimes
Pour cette 22e édition du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre, c’est une femme, Carlotta Gall, qui a mené la danse lors des travaux du jury. Sans perdre de vue que « le public doit comprendre le travail de grand reporter car c’est grâce à lui que le métier vivra », les 44 membres du jury ont voté.
Dans la catégorie photo, entre espoir et désespoir, le reportage d’Heidi Levine, La guerre et la guérison à Gaza, remporte pour Sipa Press le Prix Nikon et le Prix du public.
Dans la catégorie télévision, format court, Mikhail Galustov a su convaincre le jury international avec son reportage Russian Roulette. À Donetsk, en Ukraine, la tension va crescendo et le témoignage final boucle en apothéose ce reportage poignant. Dans la même catégorie, les lycéens ont décerné leur Prix à Alex Crawford pour son reportage Le viol en République Démocratique du Congo. Un huit clos oppressant qui a bouleversé et choqué les élèves bas-normands.
En télévision grand format, Xavier Muntz impressionne le jury grâce à Encerclés par l’État Islamique, diffusé sur ARTE en juin dernier. Seul, au cœur du mont Sinjar en Irak, « il aura eu le courage de capter des images inédites » qui ont fait l’unanimité.
En presse écrite, l’État Islamique toujours avec le reportage de Christoph Reuter pour Der Spiegel, Haji Bakr, le cerveau de la terreur, qui remporte le Prix du Département du Calvados. Le Prix Ouest-France Jean Marin est, quant à lui, décerné à Wolfgang Bauer pour son travail sur les réfugiés syriens.
En radio, le Prix du Comité du Débarquement est attribué à Emma-Jane Kirby pour la BBC. L’opticien de Lampedusa revient sur l’afflux des migrants qui affecte la vie quotidienne d’Italiens ordinaires sur les côtes du sud du pays.
En web journalisme, Christian Werner remporte le Prix Nikon avec Black Death et oblige le jury à s’interroger sur la forme que prendra le webreportage dans les années à venir.
Enfin, retour en Ukraine à travers le Prix du jeune reporter, parrainé par Capa Presse TV. Le jury a, de manière quasi unanime, voté pour Pierre Sautreuil et son reportage de presse écrite Nouvelle Russie.
Les noms des dessinateurs de Charlie Hebdo assassinés le 7 janvier dernier sont désormais gravés sur la stèle 2014/2015 du Mémorial des reporters aux côtés des autres journalistes tués pour avoir exercé leur métier. Plus que jamais, la liberté d’expression doit vivre. Le Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre défend avec force ce pilier de la démocratie qui, à travers le monde, vacille trop souvent.