[Cet article a été initialement publié le 29 juin 2017, mais a disparu après un important problème technique chez l’hébergeur de ce site]
Et si au lieu des problématiques strictement professionnelles, nous évoquions les projets documentaires présentés à La Rochelle cette année ? Le « Sunny Side », on l’a vu, a mis l’Histoire en vedette pour cette 29ème édition, avec une question : comment renouveler le genre, à l’ère des narrations sur téléphone et de la réalité virtuelle ? Panorama signé Xavier de la Véga.
Des Histoires à réinventer
A quoi peut bien ressembler « le futur de l’histoire » ? Parmi les nombreuses questions abordées lors de l’édition 2017 du Sunny side of the Doc, celle-ci n’était pas la moins passionnante. Le marché de La Rochelle a laissé entrevoir des continuités – le film documentaire d’Histoire tel qu’on le connaît se porte fort bien – tout en explorant de nombreuses pistes de réinvention, depuis l’évolution des formats jusqu’aux multiples promesses du numérique. Ainsi la réalité virtuelle introduira-t-elle un nouveau rapport à l’histoire ? Ou encore, verra-t-on bientôt un documentaire d’archives sur un smartphone ? La réponse à ces questions est tout simplement oui. Le futur de l’histoire, c’est déjà aujourd’hui.
Mais commençons par les continuités. Vous êtes un peu lassés par les documentaires sur la Seconde Guerre mondiale ? Eh bien tant pis pour vous, car le genre a plus que jamais le vent en poupe. Le producteur Stephen Hunter (Shunter media), qui modérait la table ronde Le futur de l’histoire, a listé pas moins de six séries documentaires sur le sujet qui s’apprêtent à débouler sur les écrans, parmi lesquelles : Nazi treasure hunters (History Canada) ou Hitler circle of evil (ZDF et Netflix UK). Au delà d’un appétit insatiable pour ces sujets, les téléspectateurs semblent, à en croire S. Hunter, raffoler aussi de films sur la guerre. Autant de projets qui tendent le plus souvent vers la superproduction destinée au Prime time.
La session de pitch des films historiques proposait pour sa part un éventail plus riche de sujets. A commencer par The rise and fall of Bhutto (Bew Corp), une ambitieuse fresque retraçant le parcours du premier dirigeant élu du Pakistan, Zufikar Ali Bhutto (le père de Bénazir), depuis son arrivée au pouvoir jusqu’à son exécution par les militaires en 1979. Un projet qui a raflé pas moins de quatre prix au Sunny Side, dont le prix du pitch d’Histoire. D’autres projets n’en ont pas moins retenu l’attention comme La double vie. Petite histoire de la sexualité en URSS (Les Films du Balibari), ou encore The enigma of Mikhail Gorbachov(Spring Films), enquête sur l’homme qui a mis à bas l’Union soviétique…
Mais l’Histoire, lors de ce Sunny Side 2017, c’était parfois un fil plus ténu qui reliait deux films pitchés lors de sessions différentes. Ainsi China’s Forgotten Daughters (Han Meng), prix du pitch asiatique, documentaire saisissant par sa puissante sobriété, met en scène la volonté de réparation de ces femmes chinoises abandonnées par leurs parents parce qu’elles étaient nées filles. Un film qui trouve écho dans une histoire d’aujourd’hui, celles de petites filles abandonnées à la naissance dans l’Inde rurale, mais recueillies dans un village atypique, où les filles sont considérées comme des déesses et ont droit chacune à un arbre. Une histoire émouvante et lumineuse qui a valu à The daughter tree (Trineta Productions) le prix du pitch social.
Autre fil, l’affirmation des identités noires. Joséphine Baker, An American in Paris (Képler 22), prend le parti de voir dans la célèbre danseuse une pionnière du « Black is beautiful », slogan énoncé bien plus tard par Malcolm X. Ce film d’archives destiné à la télévision s’est trouvé un compagnon de route inattendu dans un projet numérique destiné aux smartphones. Pitché avec brio par Laurent Duret (Bachibouzouk), Panama Brown raconte l’histoire d’un boxeur né pauvre au Panama et devenu quelques années plus tard champion du monde à New York, avant de devenir une star du Paris de la Belle époque, ami de la même Joséphine Baker et amant de Cocteau. Une trajectoire tout à la fois glorieuse et précaire d’un entertainer noir adulé par les blancs un jour, et oublié aussi vite. Une histoire violemment actuelle que Jacques Goldstein, Alex Widendaele et Camille Duvelleroy ont choisi de destiner aux smartphones, dans une narration mêlant bande dessinée et archives. De quoi donner un sérieux coup de jeune au traditionnel film d’archives du mardi soir.
Réinventer l’histoire par le numérique était clairement l’un des angles de ce Sunny Side 2017. On le retrouvait tant dans l’espace PiXii, qui faisait la part belle aux contenus en réalité virtuelle sur le patrimoine historique ou naturel. Le thème revenait dans les tables rondes plus professionnelles comme Héritage et tourisme ou Edutainement. Mais c’est sans doute dans une session consacrée à la Réinvention de l’histoire à l’âge de la disruption que la question a été posée avec le plus d’acuité, avec l’évocation d’un projet de réalité virtuelle comme Replay memories (Andres Jarach, Caméra Lucida).
Imaginez que l’on vous plonge au cœur d’Internet, un espace à 3 dimensions dans lequel vous pouvez confrontez vos souvenirs à la mémoire du web. Quelle part d’arbitraire préside à la construction de cette mémoire ? L’Histoire devient une matière que vous pouvez toucher, manipuler pour mieux l’interroger et la mettre en question. Le XXème siècle nous a raconté l’Histoire en une infinité de films. Le numérique augure-t-il un rapport plus actif, et donc critique à nos récits collectifs ? La question valait d’être posée.
Xavier de la Vega