C’est un documentaire qui a largement séduit les festivaliers de la 50ème édition de Visions du Réel, à en croire le Sesterce d’argent Prix du Public Ville de Nyon qui lui a été décerné. Dans « Midnight traveler », Hassan Fazili filme sa famille sur les routes de l’exil. Trois ans d’épreuves, et une réflexion profonde sur le pouvoir du cinéma. Prochaine projection à la Cinémathèque du documentaire le 6 février, sortie nationale le 29 avril.
Il est difficile d’écrire sur un film comme Midnight traveler (« Voyageur de minuit », en français) comme il est difficile d’en parler en sortant de la projection. C’est un documentaire de « pure vie » contre la faim, la fatigue, la maladie. C’est un film qu’aucun autre, avec des acteurs payés ou dirigés, ne peut égaler. C’est aussi et surtout une oeuvre qu’aucun réalisateur extérieur à son sujet ne peut tenter d’égaler. Midnight traveler est l’histoire d’un couple de cinéastes qui fuit l’Afghanistan avec ses deux filles, et filme son voyage en enfer grâce à trois téléphones portables.
Alors que la tendance est à la perfection visuelle et sonore, notamment pour filmer des parcours de migrants (Fuocoammare en est le chef de file), un film comme Midnight traveler doit convaincre que la beauté du cinéma n’est pas du tout égale au simple rapport de beauté entre une image associée à un son, et qu’en matière de film sur la détresse des hommes, tout ce qui peut décorer, édulcorer ou magnifier une réalité sordide est périlleux. Ici, nul besoin d’apparat, c’est l’échange des regards entre Hassan, sa femme Fatima et leurs deux fille qui compte.
Quelques archives tirées de pellicules familiales. Un manège et une voix d’enfant rappellent l’univers du Petit fugitif (1953), où un enfant erre dans les attractions de Coney Island. Dans Midnight traveler aussi, un enchantement inespéré passe par la voix de l’enfance ; ici : les deux filles du couple cinéaste, Nargis et Zahra, 11 et 6 ans, créditées comme leurs parents au générique en tant que cadreuses. « Notre lit a un toit », s’exclame la plus jeune en découvrant l’un des premiers camps de réfugiés au Tadjikistan. Mais « où on va ? », demande-t-elle. « N’importe où on peut aller, voilà où nous allons », répond sa mère.
Carnet de bord autant qu’autoportrait en cinéastes, le film réussit le pari du cinéma autant que le récit du voyage au bout de l’enfer des chemins migratoires. On est suspendu aux destins des Fazili comme au destin de personnages en périls. Vont-ils arriver à survivre à cette longue route ? Où vont-ils arriver ?
La petite Nargis livre dès les premiers instants les clés du film : « L’enfer, c’est les autres », lui a-t-on raconté. « Je ne pense pas que c’est vrai. J’ai appris plein de choses en traversant le désert et les plaines. Le chemin de la vie serpente à travers l’enfer. L’enfer est en moi. Voici l’histoire d’un voyage au bord de l’enfer. »
Un passeur indique comment éviter les gardes-frontières, mais tous ne sont pas fiables. Ici, on trouve un vrai lit dans un foyer, mais on tabasse aussi des réfugiés ou des migrants. Là, on pense être arrivé, mais on perd ses enfants. La vie continue malgré des mois de voyage. On fait des bonhommes de neige pendant les trois mois de blocage dans une zone de transit, on danse un They don’t care about us de Michael Jackson avec un affront plus grand encore que la petite Olive Hoover de Little miss Sunshine. La vie continue de valdinguer. On en rit, alors qu’on vient d’en pleurer.
Dans le même ordre d’autoportrait en détresse que le terrible Eau argentée (2014), Midnight Traveler saisit par sa retenue, alors que l’enfer traversé par cette famille aurait pu mener à bien des écueils propres à la représentation de la souffrance.
« J’aime le cinéma », remarque Hassan un jour, cet outil qui lui permet de survivre psychiquement, dans un dialogue en miroir avec sa femme Fatima, qui le filme en même-temps. « Je le déteste », assène-t-il le lendemain dès lors qu’il ressent la pulsion de filmer ses filles de manière sensationnaliste. Mais l’écran reste noir.
Cet écran a permis à cette famille de se projeter quelque part. Il servira à se souvenir de cette infernale traversée de trois ans.
Voilà toute l’émotion dont le cinéma est fait.
Cela dit, il faudrait enfin s’interroger sur la part prise par la monteuse du film (Emilie Mahdavian). Pourquoi ne pas avoir laissé le couple afghan réaliser entièrement ce film dont la qualité première est sa forme de journal en fuite ? Fatima Hussaini, la femme de Hassan, ne figure d’ailleurs pas dans le générique de fin en tant que réalisatrice, alors que dans le film, elle dit elle-même être metteur en scène et on voit qu’elle a plus qu’un rôle de personnage dans ce journal filmé. Sans cette absence étrange, le film aurait peut-être alors été encore meilleur. Car, il souffre trop de son aspect « film de festival », c’est-à-dire ajusté pour plaire au public très ciblé des festivals. On peut imaginer qu’il aurait alors été plus proche de ces documentaires qui ont réussi le pari d’être réalisé à deux, en couple, et à monter ensemble deux regards.
félicitations pour votre excellent travail!
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