C’est un festival qui démarre à Paris et qui, une fois n’est pas coutume, ne s’y cantonne pas. « Viva Mexico » se poursuit jusqu’à la fin de l’année un peu partout en France. L’occasion, notamment, de découvrir quatre pépites documentaires mexicaines. La présentation est signée Fanny Belvisi.
Du 5 au 11 septembre se tient au cinéma Luminor Hôtel de Ville la 4ème édition de « Viva Mexico ». Lancé en 2010, ce festival promeut la vitalité de la création cinématographique mexicaine et gagne chaque année en ampleur, en offrant notamment une programmation toujours plus ambitieuse et diversifiée. Pour l’édition 2016, « Viva Mexico » permettra au public de découvrir 6 fictions, 4 documentaires et un film en stop motion. Par ailleurs, le festival quittera la capitale pour se promener dans sept autres villes de l’hexagone (Avignon, Bordeaux, Condé-sur-Noireau, Dijon, Lille, Lille-Jourdain, Neuilly-Plaisance) et ce, du mois d’octobre au mois de décembre.
Il faut dire que le cinéma contemporain mexicain gagne à être connu. Le festival a choisi de mettre en lumière quatre œuvres documentaires que le public pourra découvrir durant toute la durée de l’événement : Plaza de la Soledad de Maya Goded, Tempesdad de Tatiana Huezo, Résurrection d’Eugenio Polgovsky etSomos lengua de Kyzza Terrazas. Quatre œuvres délicates, sensibles, comme autant d’irisations d’une même réalité, qui offriront aux spectateurs un point de vue privilégié sur différentes facettes d’une société mouvante et donc pas toujours simple à appréhender. Car les histoires dont il est question dans ces quatre films parlent en creux d’un Mexique froid, dur et violent, où trouver sa place est un combat quotidien. D’un Mexique prêt à sacrifier ses hommes et ses paysages au profit d’une société à l’industrie aussi galopante que sa corruption.
Bien qu’abordant deux sujets très différents, les films Résurrection d’Eugenio Polgovsky et Tempesdad de Tatiana Huezo débutent pourtant presque de la même manière. Des maisons abandonnées, des murs fissurés, des rues esseulées : paysages d’une désolation crasse qui trahissent le mal-être et l’angoisse dans lesquels baignent le pays. Dans Résurrection, cette sensation est d’ailleurs poussée à son paroxysme puisque tout au long de son film, le réalisateur ne cesse de mettre en parallèle ces images avec des archives, présentant les mêmes lieux des années auparavant ; c’est-à-dire avant qu’une zone industrielle ne vienne les saccager, et les anéantir. Eugenio Polgovsky continue ainsi d’explorer une thématique qui lui est chère, celle du monde rural mexicain, qui se trouve ici non seulement spolié par la modernité, mais décimé à petit feu. Résurrection explore ainsi la fin d’un monde, paradis perdu à jamais, et qu’il est justement impossible de faire renaître.
Quant aux bâtiments désaffectés que filme la réalisatrice Tatiana Huezo, ils disent la dureté de l’univers carcéral, le ravage provoqué par la douleur de la disparition. Le film entremêle en effet deux discours de femmes. Le premier fait le récit d’une arrestation et d’un enfermement injuste dans une prison au nord du Mexique. Elle a été arrachée à son petit garçon, et l’histoire débute au moment où cette femme est finalement libérée, entamant alors son long retour vers sa maison. Le deuxième récit est celui d’une mère dont la fille a été enlevée depuis dix ans et qui vit dans la l’attente, dans l’espérance de la retrouver, peut-être, enfin, un jour. Croisement symétrique des points de vue donc, avec deux mères dans les deux cas, mais l’une est « l’enlevée » et l’autre la spectatrice de l’enlèvement. Toutes les deux victimes impuissantes d’un système politique kafkaïen, cruel et corrompu. Ce chœur féminin à deux voix fait ainsi entendre une même réalité, baignée de douleur et de solitude.
C’est aussi de solitude et de femmes dont il est question dans le film de Maya Goded, Plaza de la Soledad, mais cette fois-ci envisagée au prisme d’un petit groupe de personnes âgées de 50 à 80 ans, et forcées de se prostituer pour gagner leurs vies. Le film fait entendre la voix de ces femmes dont la beauté et la lumière contrastent si fortement avec le récit terrible de leurs vies, empreintes de violence et de misère. Maya Goded filme, derrière la rondeur chaleureuse et réconfortante de ces corps dédiés à l’amour, les larges blessures qui les parcourent. Ici aussi, on espère, on attend et on rêve d’une vie plus douce.
Les réalisateurs de ces trois œuvres nous réservent bien – et heureusement – des plages de respirations, des moments d’envols qui arrachent le spectateur à la pesanteur du réel pour l’emmener plus haut, là où les particules d’air semblent plus respirables. Le film d’Eugenio Polgovski se clôture ainsi sur une scène où les habitants intoxiqués par les eaux polluées de la cascade « El salto de Juanacatlan » achètent des glaces à un marchant ambulant. Instant léger et gourmand, dans un univers où les maladies mortelles se rapprochent un peu plus chaque jour.
Dans Tempesdad et Plaza de la Soledad, les réalisatrices filment, elles, des minutes de pure complicité féminine. Assises en rond sur des chaises, en tête-à-tête sur un lit ou autour d’une table, les langues se délient, les visages se détendent. Douceur et rire viennent déchirer, pour quelques instants seulement, le mur de solitude qui les encercle. Si ces trois œuvres brillent par leur intelligence, leur délicatesse et la beauté de leurs personnages, il n’en demeure pas moins qu’elles tirent leur éclat d’un soleil noir, d’un soleil de plomb.
Le film Somos lengua de Kyzza Terrazas est peut-être alors celui qui se différencie le plus du corpus proposé aux spectateurs pour cette 4ème édition du festival. Tout n’y est pas rose non plus. Loin de là. Mais en se proposant de suivre plusieurs groupes de rap mexicains dans l’ensemble du pays, le réalisateur choisit de s’inscrire du côté de la création et donc d’une certaine transcendance. Le soleil noir qui éclaire également les vies de ces jeunes rappeurs, est ici transfiguré, recomposé en rythmes et en mots. Le film tire sa force de cette énergie brute mise en musique.
Promesse tenue, donc, par ce festival « Viva Mexico » qui nous offre, par cette promenade dans le paysage cinématographique mexicain, la possibilité d’explorer des chemins de traverse inattendus et poétiques.
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