Fort de son tout nouveau partenariat avec Ulule, Le Blog documentaire pointe son zoom sur l’un des projets de crowdfunding qui retient en ce moment l’attention. U.S. Caravana est un « web-carnet de route » dans le sillage de la caravane de la paix, menée par le poète mexicain Javier Sicilia, qui parcourt les Etats-Unis d’Est en Ouest pour porter à Washington ses doléances – à savoir : la dénonciation de la lutte contre le narcotrafic et l’urgence d’une politique de contrôle de la consommation de drogue et de la vente d’armes entre les Etats-Unis et le Mexique.
U.S. Caravana est aussi, et peut-être surtout, une nouvelle manière d’appréhender le webdoc. Point d' »oeuvre » à proprement parler ici, mais une utilisation assez juste des nouveaux outils d’aide à la narration pour produire du « documentaire en temps réel ». L’idée est simple, mais il fallait y penser. C’est ce qu’ont réalisé Argelia Valles et Ludovic Bonleux. Entretien.
Le Blog documentaire : Où êtes-vous actuellement ? Comment se déroule le parcours pour l’instant ?
Ludovic Bonleux : Nous sommes actuellement sur la route entre El Paso et Laredo, au fin fond du Texas. Nous avons effectué à peu près un tiers du trajet. Nous allons dans quelques jours quitter la frontière sud pour nous intégrer au Etats du Sud-Est du pays, états pionniers dans la lutte pour les droits civiques.
L’accueil a jusqu’à maintenant toujours été chaleureux, mais on doit dire qu’à El Paso ce fut la première fois qu’une multitude a vraiment accueilli la caravane. Jusque-là, les comités d’accueil étaient assez restreints. A voir si ce nombre s’amplifie au fil des étapes et au fur et à mesure que la caravane est médiatisée… C’est en tout cas ce qu’espèrent les organisateurs.
L’ambiance est toujours très bonne chez les hôtes et chez les caravaniers, même si l’expérience est assez dure (les uns sur les autres 24 heures sur 24, on dort par terre, des jours entiers sur la route qui s’achèvent par des meetings), il n’y a pas de tension insurmontable.
Pourquoi avez-vous décidé d’accompagner cette caravane pour la paix ?… Qu’est-ce qui vous a « pris » ?
D’un côté, il y a l’aventure : traverser les Etats-Unis avec une bande de victimes de la guerre menée par un poète, sorte de troupe de rêveurs qui pensent qu’ils peuvent en finir avec un conflit sanguinaire en allant frapper à la porte du président du monde. Mais dans le fond, il s’agit d’accompagner un moment historique : c’est peut-être la première fois dans l’histoire moderne que des membres d’un pays considéré comme pauvre se permettent d’aller demander des comptes à la première puissance mondiale, dans sa capitale. N’oublions pas que tout ce qui se passe au Mexique a son influence aux Etats-Unis et que cette violence se ressent des deux côtés de la frontière. L’intérêt des populations des deux pays réside dans une coopération saine et non dans une confrontation qui pourrait avoir des conséquences désastreuses. Les progressistes l’ont bien compris et c’est pourquoi de nombreux groupes religieux et politiques soutiennent la caravane ici, aux Etats-Unis.
Où vous situez-vous d’ailleurs, quel est votre point de vue ? Celui de militants engagés dans la croisade de la caravane ou celui de simples observateurs (ou autre chose encore…)?
Notre position est particulière : nous ne sommes pas insensibles aux problèmes du Mexique et nous croyons qu’il y a des actions à mener pour faire pression sur les gouvernants, sur les multinationales mais aussi pour faire prendre conscience aux populations de la situation dramatique du Mexique d’aujourd’hui. Le pays est dans une impasse et peut-être encore plus depuis l’élection en juillet dernier de Enrique Peña Nieto à la présidence. Nous sommes donc en accord avec l’idée qu’il faut agir aujourd’hui pour essayer d’enrayer le cercle vicieux de la violence. Et nous sommes d’accord aussi que le problème vient en grande partie de Washington. Toutefois, nous sommes indépendants et ne comptons pas faire l’apologie de la caravane. Nous découvrons au jour le jour le programme du Mouvement mais aussi son organisation interne ; notre voyage est avant tout un voyage à l’intérieur de la Caravane pour la Paix, à l’intérieur de cette troupe de rêveurs réclamant justice.
Pourquoi avez-vous décidé d’en faire un « web-carnet de route » ? Pourquoi cette forme plutôt qu’un documentaire « classique » ?
A notre avis, un documentaire unitaire pourrait vite devenir redondant, le danger étant de tomber dans une évocation chronologique des évènements, assez répétitifs en somme. En faisant ce web-carnet de route, nous laissons le choix au spectateur de naviguer dans l’espace comme dans le temps. Nous avons bien sûr une unité chronologique qui est celle du voyage initiatique du personnage d’Argelia (co-réalisatrice) au sein de la caravane. Ce voyage culminera à Washington, Argelia se faisant une idée plus juste de la relation entre les peuples mexicain et étatsunien.
Le côté « web » du carnet de route nous permet surtout de pouvoir délivrer un nouvel épisode tous les jours. Chaque épisode qui est conçu à la fois dans une optique générale (ligne conductrice, équilibre entre les séquences, thèmes) et individuelle : nous laissons une grande place à l’improvisation et, nous l’espérons, au suspens. Notre but est de fidéliser le public, de lui donner envie d’ouvrir ce carnet de voyage tous les matins en se disant : « Tiens qu’est-il arrivé à Argelia aujourd’hui ? Qui a-t-elle rencontré ? ».
Vous avez choisi Djéhouti pour l’interface ? C’était par commodité ? Parce que c’est le plus simple des outils d’aide à la narration ?
Enchantée par le projet, l’équipe de Djehouti nous a gracieusement offert son soutien et c’est tout naturellement que nous utilisons cette interface. Travailler avec cet outil est aussi l’occasion de le perfectionner : nous mentionnons les bugs à l’équipe technique qui les corrige. Juan Sebastián Seguin, qui est notre chef de projet multimédia a conçu le site (en se basant sur un graphisme du collectif mexicain Lapiztola) et s’occupe des actualisations. Il est en lien étroit avec Djehouti afin de pouvoir gérer au plus vite toute avarie technique. Comme ce webdoc est le premier à être diffusé au Mexique (sur le site Aristegui noticias), nous pouvons dire que Djehouti devient de ce fait un des pionniers du web-doc en Amérique Latine.
Comment vous travaillez au jour le jour ? Je crois que c’est le premier webdoc réalisé avec un iPhone ?!
Effectivement, 90% des photos et 100% des vidéos sont réalisées avec un iPhone et nous montons directement sur la machine (c’est pourquoi on retrouve souvent des vidéos « tournées/montées » avec des transitions assez rêches et des expositions aléatoires). L’idée est née du fait que nous sommes littéralement tombés amoureux de l’Iphonographie, et que nous avons décidé de créer un web-carnet de route autour de ses caractéristiques : créativité visuelle et dimension de l’instantané.
Nous sommes en pleine recherche créative, il s’agit pour nous de découvrir les avantages et limites de ce « joujou ». D’ailleurs, le public pourra noter l’évolution technique des vidéos entre le premier jour et aujourd’hui. Il s’agit en effet d’un projet en mouvement, tant sur le plan du fond comme de la forme et du financement ! Il est caractérisé par une forte prise de risques dans tous ces domaines, et nous espérons gagner le pari !
Pourquoi d’ailleurs une campagne de crowdfunding pendant le déroulement de l’aventure ? C’est la seule source de financement ?
L’idée d’organiser le crowdfunding pendant et non pas avant la caravane vient du fait que nous croyons qu’au fur et à mesure du voyage le mouvement se fera connaître de plus en plus et que, de ce fait, plus d’internautes auront accès à notre projet que si nous l’avions présenté avant le début du tournage. Aussi, cela nous pousse à donner le meilleur de nous même pour que le public sanctionne de manière positive notre travail sur Ulule.fr.
Notre économie est particulièrement restreinte : le montant demandé de 3.000 euros ne couvre que les frais, et ne permet pas de donner des salaires décents pour toute l’équipe. N’hésitez donc pas à nous soutenir même si le plafond est atteint !
Comment se sont négociés vos partenariats, et notamment pour la diffusion avec Courrier International ?
Nous avons eu en premier lieu le soutien de Tuttle Films, structure de production parisienne qui a notamment produit le webdoc « Les yeux dans la banlieue » en collaboration avec Libération. Ensuite, d’autres soutiens se sont concrétisés et aujourd’hui nous comptons sur l’appui de Djehouti pour le site web, d’Aristegui Noticias pour la diffusion au Mexique et de Courrier International pour celle en France. Concrètement, la coopération avec Courrier International se traduit par un service quotidien de traduction de l’Espagnol vers le Français.
Est-ce que vous envisagez d’autres développements après la fin du parcours de la caravane le 12 septembre ?
Oui, mais cela aura beaucoup à voir avec le crowdfunding. Par exemple, un des cadeaux pour les souscripteurs est un livre de photos prises sur la route. Si le financement le permet, nous pourrions effectivement publier notre carnet de route, cette fois-ci sur un support papier.
Envisagez-vous de monter un documentaire classique à la fin de l’aventure ?
Franchement, monter un documentaire classique, je ne pense pas… L’iPhone reste quand même limité en termes de quantité de rushs et de broadcast… même si les images et le son mériteraient d’être retravaillés. Il y a de plus ici une équipe qui tourne un long métrage… Mais tout est possible quand même !
Propos recueillis par Cédric Mal
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