Ils ont fait les joies de l’Internet naissant, ont survécu quand de vénérables institutions du web, comme MSN Messenger, Lycos ou Caramail, figurent désormais au cimetières des sites… A l’heure du tactile et des programmes à la complexité grandissante, les GIF animés reverdissent (GIF pour « Graphics Interchange Format »). Et ils ne stimulent pas uniquement l’imagination des blogueurs qui réalisent des Tumblr hilarants. Car, pour ceux qui s’étonneraient de voir le GIF animé honoré ici sur Le Blog documentaire, affirmons-le une nouvelle fois : nous cherchons à explorer toutes les potentialités narratives et esthétiques singulières et intéressantes, y compris les plus surprenantes ! Dont on retrouve d’ailleurs la marque dans certaines œuvres de l’ONF canadien…
Son caractère viral n’est plus à démontrer : le GIF animé traîne ses guêtres sur la toile depuis suffisamment longtemps pour qu’il évite le statut de technologie « has been » qui aurait pu lui pendre au nez. Au contraire, par la magie des inventions qui durent et traversent les époques, le GIF est même (re)devenu complètement « in » en 2012. Pour preuve : le GIF a été élu « mot de l’année » par l’édition américaine du dictionnaire d’Oxford University Press. En France, des petits malins ont eu la bonne idée de créer un festival du GIF animé à… Gif-sur-Yvette, et il ne se passe pas une semaine sans que d’éminents représentants de ce qu’on appelle les « nouveaux médias », Arnaud Colinart d’AGAT Films ou Pierre Cattan de Small Bang en tête, publient sur Facebook des liens vers le meilleur de la création GIF.
Pourtant, cette image, dont un élément tourne en boucle de manière répétitive et infinie, avait tout de la technologie minimaliste appropriée au modem 56K de papa… dont on aurait du théoriquement à peine remarquer la fin anonyme avec l’accélération des technologies. Oui mais voilà : le GIF animé est devenu, grâce à l’inventivité de ses utilisateurs, un langage narratif à part entière. Un usage même que le web, dans sa plasticité naturelle, a immédiatement intégré et qui constitue un mode de récit, aussi minimaliste soit-il, dont les artistes, réalisateurs ou autres photographes devraient s’emparer.
Pour se convaincre de ce que peut générer le GIF animé, il suffit de se plonger sur ses blogs Tumblr qui se chargent d’évoquer un thème par des images glanées sur le Net et qui répondent, en écho, au thème exploré. Le Tumblr sur la vie des parisiens n’est qu’un îlot parmi tant d’autres de cette créativité récréative que constitue ce format par essence profane et, à ce titre, encore boudé par les tenanciers d’une certaine culture légitime.
Le GIF animé se cantonne encore beaucoup à la sphère des vidéos humoristiques et des LOL cats : le festival sus-mentionné de Gif-sur-Yvette affiche un partenariat avec le site 10minutesaperdre.com, ce qui donne une idée de la valeur accordée à ce petit objet web. Pourtant, derrière son caractère foutraque et amateur, volontiers de mauvais goût, d’une qualité d’image douteuse, le GIF animé possède des atouts narratifs qui pourraient lui permettre d’investir d’autres espaces créatifs.
Bien sûr, le retour en grâce du GIF animé s’explique en grande partie par sa compatibilité avec l’attention de plus en plus restreinte que les réseaux sociaux et le zapping à outrance nous ont laissé. D’une durée d’environ 5 à 10 secondes, il remise presque le format court, programme star des télévisions, au rang d’épopée dostoïevskienne ! Ce mois-ci, le calendrier de l’avent des GIF, savante trouvaille d’une agence de communication, s’est taillé un beau succès par son interface suscitant l’attente du petit film en GIF animé qui, chaque jour, se déployait derrière chaque case. Mais cet aspect, qui penche davantage du côté de la communication ou de la publicité que des possibilités narratives, n’est pas celui qui a le plus retenu notre attention.
Car, à bien y réfléchir, l’extrême brièveté du GIF animé lui confère paradoxalement un intérêt dans le temps : à ces programmes courts que l’on consomme vite et parfois sans s’y attarder, s’oppose avec le GIF une logique de réception de l’image qui ne correspond pas à une unité donnée (la durée du film), mais à une expérience (le nombre de fois où l’on regarde le film). Autrement dit, si le format court reste dans une logique narrative classique (une histoire racontée en tout petit), le GIF animé détient, lui, une potentialité de perception bien plus vaste pour l’internaute. Un coup, nous regardons la micro-séquence une fois, juste pour savoir de manière informative de quoi le programme est fait. Un autre jour, nous décidons de la revoir huit fois de suite pour en apprécier la répétitivité mécanique. Une autre fois encore, c’est à un détail différent et minime que l’on s’attache à chaque fois que l’on visionne le GIF animé, sans même plus songer à compter le nombre de visionnages en boucle.
Et puis, une autre dimension s’ouvre avec le GIF animé : une potentialité moins narrative que poétique, de laquelle émane une beauté étrange, contemplative. Dans Autour de Saint-Tite, webdocumentaire sur ce petit village québécois accueillant chaque année un festival de country, la contemplation d’images qui bougent à un rythme lent et qui se répètent provoque une sensation hypnotique qui rend le témoignage oral proposé avec l’image d’autant plus fort. L’image, dont on est pour une fois presque « sevré », contient un hors-champ, rendu plus présent encore par la répétition entêtante de l’image. Sortie de son carcan purement illustratif, l’image interroge ou berce le regard du spectateur.
Avec les photographies de Jamie Beck, le GIF animé parvient même à contrer le risque d’overdose provoqué par notre monde saturé d’images et de représentations. Comme une véritable économie de moyens narratifs, il tente de toucher le spectateur davantage par l’émotion d’une photographie en mouvement que par un flot logorrhéique d’images. Jamie Beck « filme » un coup de vent anonyme dans les cheveux d’une passante, un clignement d’œil impromptu mais qu’on feint de redécouvrir à chaque fois, ou le stroboscope elliptique d’un projecteur de film sur le corps d’une femme : ces œuvres s’apparentent à des plans, tous singuliers, comme on rêve parfois d’en voir encore au cinéma : des plans pensés pour leur valeur esthétique, leur impact cognitif sur le spectateur. Sortir de l’utilitarisme de l’image pour réintégrer le cinéma, voilà ce que propose Jamie Beck avec ces créations… qu’il rebaptise d’ailleurs avec à-propos des Cinemagraphs.
Gageons que cette écriture nouvelle, élevée au rang d’art, promesse d’une narration ou d’un esthétisme presque méditatif soit explorée par d’autres artistes : puissent les photographes, auteurs de documentaires ou de récits interactifs s’en saisir pour délaisser quelque peu le format court !
Nicolas Bole
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