Retour sur les frigos ! Le Blog documentaire s’arrête ici sur le webdocumentaire réalisé par Antoine Veteau et Gaël David. Frigos à nu, qui s’inscrit clairement dans une veine sociétale, a commencé sa vie sur Facebook avant de devenir un webdoc, puis de trouver ensuite d’autres prolongements « in real life ». Comment cette démarche s’est-elle développée ? Pourquoi utiliser le web de cette manière ? Sibel Ceylan est allée poser ses questions à l’équipe de cette originale aventure…
Le Blog documentaire : Revenons sur le sujet que vous avez choisi d’aborder, à savoir : les habitudes alimentaires et la consommation en temps de crise. Il y a quelques mois, vous affirmiez ne pas vouloir aborder le sujet sous l’angle politique. Vous ne vouliez pas dénoncer, mais juste faire une sorte d’état des lieux. Pari tenu ?
L’équipe des Frigos : Oui ! Il ne s’agissait pas simplement d’aborder la question de la consommation en temps de crise, mais également de la confronter aux différentes intimités et habitudes alimentaires de nos co-citoyens. Frigos à nu est un croisement entre cette intuition sur l’évolution du pouvoir d’achat et la manière dont il est ressenti au jour le jour à travers des témoignages. Le but n’était pas de faire de ce webdocumentaire un objet à charge ou à décharge contre une quelconque politique économique. En revanche, le parti pris de l’échange, notamment via l’onglet participatif, permet de recréer cette notion de partage et de convivialité qui manque dans la société de consommation pour répondre de manière sensible aux problématiques soulevées par la crise.
Vous avez été sélectionné au Festival du Film d’Environnement… Comment avez-vous vécu cette nomination ?
Cette vision large (l’environnement n’est pas réductible à l’écologie ou au développement durable, comme c’est souvent le cas dans l’imaginaire collectif) et la confrontation au regard du public a conforté notre intuition : tirer sur la corde sensible de la vie privée pour encourager à s’ouvrir un peu plus aux autres et à échanger à travers le prisme des habitudes alimentaires.
Les enjeux de ce festival étaient donc multiples pour nous : une présence soutenue et en prise directe avec le public, loin de la virtualité du webdoc. De plus, cet évènement a suscité des rencontres professionnelles, que ce soit avec des réalisateurs, des producteurs, ou des associations. Et bien sûr la reconnaissance de la pertinence de l’approche et du travail accompli.
Revenons sur le fond maintenant. Pourquoi avoir scindé les frigos en trois vidéos courtes ?
Les formats courts permettent de capter l’attention de l’internaute et de la conserver, en adéquation avec les habitudes de consommation sur le web et du temps de navigation moyen. Nous avons ensuite favorisé des allers-retours entre la photo plein cadre du frigo et les « photo-films » pour enclencher l’aspect ludique. Cette fragmentation narrative permet aussi d’instaurer une forme de suspens pour donner envie à l’internaute de revenir, et à terme de partager.
Le frigo n’est-il pas un prétexte pour parler de la vie « privée » des consommateurs ?
Il ne s’agit pas de s’appesantir sur la vie privée, mais plutôt de la suggérer, de créer des hors-champs. Il s’agissait plus de l’opportunité de devenir les hôtes de nos portraiturés plutôt que de faire irruption gratuitement dans leur intimité.
N’est-ce pas réducteur de lier une personne uniquement à ce qu’elle mange. Je pense notamment au jeu de devinettes que vous aviez lancé sur Facebook. Avec le recul, que pensez-vous de cette façon d’appréhender les choses ?
Nous ne cherchons pas à réduire une personne à ce qu’elle mange, mais à mettre en perspective la société de consommation à partir de l’intimité. Le jeu de devinettes sur Facebook a justement pointé du doigt les clichés et les idées reçues sur les habitudes alimentaires liées aux catégories socio-professionnelles. Nous avons ainsi pu amorcer une réflexion périphérique et singulière en amont du webdoc.
Beaucoup d’internautes ont été surpris en prenant connaissance des réponses au jeu de devinettes. Ils ont confronté leurs commentaires et leurs propres préjugés au regard des autres membres de la communauté. C’est cette dynamique que nous cherchons à développer à travers le webdoc. Au fond, ce jeu de devinettes était une introduction ludique au webdocumentaire qui a beaucoup interrogé, voir dérangé. En cela, une partie de notre objectif a été atteint !
Vous avez expliqué dans un entretien que le webdoc était surtout un « prétexte ». Que vouliez-vous dire ? Que vous auriez pu ne poster que des vidéos sur Facebook par exemple, étant donné que le jeu des devinettes avait bien fonctionné ? Qu’est-ce qui était important pour vous dans le fait de réaliser un site à part entière ?
Nous voulions favoriser l’accès au contenu pour tous et par tous. Il ne faut pas oublier que tout le monde n’est pas sur Facebook, ni ne souhaite s’y inscrire. Nous n’avions aucun public cible. Il s’agit d’un volet bien distinct du webdoc qui, lui, répond à une continuité narrative spécifique. Il s’agissait aussi d’être cohérent avec les supports utilisés. Le webdoc et les « photo-films » sont pour nous le format idéal pour créer ce rapport d’intimité et de connivence que nous recherchons. La page Facebook ,quant à elle, se prête davantage à la spontanéité du commentaire, du like et des interactions entre les internautes.
Cela légitime complètement la construction d’un site à part entière, même s’il « compile » les possibilités qu’offrent Facebook, Flickr, Google maps ou Viméo – ce que n’aurait pas permis Facebook. Loin de l’agitation des réseaux sociaux, les « photo-films » favorisent à tous points du vue l’immersion dans l’intimité sans susciter le voyeurisme et la dispersion présents sur Facebook.
Le webdoc n’est donc que le début de quelque chose de plus vaste ? Vous allez continuer à traiter ce sujet sous d’autres formats?
Le webdoc est pour nous une forme évolutive encore en devenir : d’autres portraits viendront encore s’ajouter et une V2 est envisagée. C’est une question que nous portons à l’heure actuelle. Nous voudrions que cet objet fonctionne en parallèle à d’activités pédagogiques et évènementielles que l’association Frigos à nu aimerait mettre en place autour des questions alimentaires.
Et puis pourquoi ne pas collaborer avec d’autres structures existantes qui partagent notre philosophie de l’échange autour des questions alimentaires et des plaisirs de la table, le tout à travers un aller-retour permanent entre le web et des rencontres physiques ?
Propos recueillis par Sibel Ceylan
Un concept intéressant pour générer du buzz. On s’appuie sur les habitudes des gens, leurs actions de la vie quotidienne pour qu’il se reconaissent afin de créer une proximité. Bien vu!