Le Blog documentaire poursuit ses explorations techniques avec la deuxième partie de cet entretien réalisé avec Arnaud Dressen, qui dirige l’activité production de webdocumentaires chez Honkytonk Films. Ces derniers mois, la société a beaucoup fait parler d’elle avec le logiciel qu’elle a créé, Klynt. Après plus d’un an d’existence, l’application fait peau neuve avec une deuxième version qui intègre le HTML5. Rencontre en forme de présentation de l’outil.
Le Blog documentaire : Comment devient-on éditeur de logiciel quand on est producteur ?
Arnaud Dressen : C’est un peu un exercice d’équilibriste ! Nous sommes retombés sur nos pieds après le lancement de Klynt et la mise en place d’une organisation dédiée, qui est très différente de celle d’une production documentaire : il faut gérer une communauté, assurer la maintenance, etc… Ce ne sont vraiment pas les mêmes timings. Nous avons mis six mois, jusqu’en mars 2012, à nous mettre en ordre de bataille. Nous sommes heureux de l’avoir fait car cela nous permet d’avoir plus de flexibilité et nous avons développé un modèle qui nous donne une certaine stabilité financière. Nous sommes maintenant 6 à temps plein, avec 2 stagiaires. Si on ajoute les freelances et les intermittents, on arrive à une quinzaine de personnes en continu tous les mois.
Quel est votre rôle dans l’organisation ?
C’est difficile de distinguer le temps de chacun sur le développement des projets. Mais de mon côté, je passe moins d’un cinquième de mon temps sur Klynt. Nous avons bien structuré les choses avec Guillaume Urjewicz : je m’occupe du développement éditorial des projets, lui du développement de la prestation Klynt et l’accompagnement des projets. Cela fonctionne bien ainsi. Même physiquement, nous avons des entités séparées entre le studio et la production.
Avez-vous testé les autres logiciels concurrents de Klynt, 3WDOC ou Djéhouti notamment?
J’ai rencontré leurs créateurs, mais je ne sais pas comment les logiciels fonctionnent dans le détail. Notre positionnement a toujours été de créer un logiciel, en complément de l’activité de production, qui permette à des jeunes réalisateurs de se faire la main. Les projets réalisés avec Klynt sont très simples, parfois très beaux, avec un travail de prise de vue ou d’enquête. Tout l’intérêt ne réside pas que dans l’interface ou la technique.
L’ambition de Klynt, c’était que le logiciel soit robuste et simple d’utilisation, pour que ceux qui veulent se mettre à l’écriture interactive puisse le faire. S’ils ont davantage de notions, ils utilisent directement Flash, ou bien ils font du code. Nous avons fait beaucoup d’efforts pour bâtir une interface qui reprenne les éléments (de vocabulaire) d’autres logiciels connus, comme Photoshop, WordPress ou Final Cut. Ce qui fait la force de Klynt, c’est le fait de ne pas l’avoir construit à la va-vite : nous avons développé l’outil pendant deux ans et demi avant sa sortie.
Il n’existe pas de plateforme où on retrouverait l’ensemble des projets Klynt ?
Pas encore, mais ça va venir.
La V2 que nous lançons est plus ouverte, pour que ceux qui ont déjà compris les fonctionnalités de Klynt, et qui ont pu toucher à ses limites, puissent faire davantage de choses. Le code est plus ouvert avec le HTML5 : le langage est génial en cela car il existe des librairies et des communautés d’utilisateurs et de codeurs. Au-delà du fait qu’Apple force son utilisation, c’est un outil très ouvert et donc forcément plus créatif. Et puis, cela nous permet d’être consultable sur davantage de plateformes et notamment sur l’iPad.
Nous n’avons donc pas fait le choix de la création d’un développement spécifique pour l’iPad. Je comprends qu’on puisse développer une application spécialement pour iPad, mais je trouve ça réducteur. Cela veut dire que les possesseurs de tablettes Samsung ne pourraient pas utiliser Klynt. Et que l’application Klynt ne permettrait de diffuser des projets uniquement réalisés avec Klynt, sans intégration de datavisualisations, par exemple.
C’est important que le code soit accessible à tous, open source, que chacun puisse se l’approprier pour pouvoir rajouter des fonctionnalités dans le player.
Les stagiaires avec qui nous travaillons viennent de la photo, de la vidéo ou du journalisme et ils ont appris à coder. Ils ont tous un blog et comprennent quand on parle de Javascript, d’HTML ou de CSS. A priori, on le sait tous, l’avenir pour développer des projets, passe par la maîtrise du code. Cela peut être effrayant mais c’est comme ça.
C’est un peu la future première langue vivante, le code ?
Oui, en quelque sorte. Cela renvoie en tout cas à des questions politiques : la neutralité du net, l’open data… Qui connait mieux la France aujourd’hui que Google et Facebook ? C’est fou ! Les hommes politiques sont dépassés par cela. Ce qu’on cherche à faire avec Klynt, c’est faciliter le travail pour ceux qui voudraient apprendre avec les outils du web.
Vous fonctionnez sur un modèle d’achat de licences alors que vos concurrents sont sur un modèle d’abonnement mensuel. Allez-vous changer votre modèle ?
Non, nous restons sur le système de l’achat de licence.
Klynt fonctionne vraiment comme un logiciel de montage, c’est-à-dire offline. Le montage en webapp [« application web », qui ne nécessite pas de téléchargement mais nécessairement dépendant d’une connexion à Internet, NDLR] n’est pas adapté. La webapp est efficace pour faire de la publication de textes ou de photos. Lorsqu’on proposera un système de publication, nous réfléchirons à un abonnement car le stockage, l’hébergement de l’œuvre et la bande passante utilisée ont un coût qu’il faut pouvoir couvrir.
Mais du montage sur le web, ce n’est pas confortable comme environnement de travail. Les monteurs avec qui je travaille me le disent : ils apprécient d’être offline. Les médias sont sur l’ordinateur, accessibles même s’il n’y a pas de connexion. Et puis, en termes de stabilité, c’est un autre niveau de contrôle : ne pas être dépendant de la bande passante d’Internet pour prévisualiser une séquence (ce qui arrive souvent en documentaire !) est essentiel.
Enfin, aujourd’hui, c’est presque un luxe de se déconnecter. Nous souhaitons conserver ce confort de travail.
A quoi ressemble la V2 de Klynt ?
Cela reste une application à télécharger sur l’ordinateur. Au-delà des fonctionnalités de montage qui permettent de faire de nouveaux effets, de rajouter des briques de code ou de flux RSS, la grosse différence se situe dans le format de lecture. Le projet sur Klynt peut être exporté pour être lu sur un player HTML5.
Concrètement, le storyboard qui constitue le projet est une forme de partition qui pourra être lue presque partout. Bon, évidemment sur IE 7 [navigateur plutôt vieillissant, NDLR], ça risque de ne pas fonctionner !… Mais globalement, le HTML5 est bien lisible aujourd’hui. C’est aussi la raison pour laquelle on a attendu pour l’adopter : on souhaite que quasiment tout le monde puisse le lire, pas uniquement celui qui possède la dernière version de Chrome ou une tablette en particulier.
Qu’apporte le tactile des tablettes selon vous ?
Le tactile génère des comportements différents. L’écriture d’un projet peut même être pensée différemment : ce sont presque deux écritures différentes, un développement spécifique. Si, dans un projet en HTML5 compatible iPad, on intègre beaucoup d’effets de roll-over avec la souris, ça va être horrible en passant au tactile ! La tablette offre de nouvelles possibilités d’écrire : le zoom/dézoom avec les doigts, qu’est-ce qui se passe si je touche l’écran une fois, deux fois, ou si je l’effleure juste… Tout cela augmente les possibilités narratives et permet de continuer à inventer de nouveaux modes de récit.
Propos recueillis par Nicolas Bole
[La photo de Une de cet article est issue du webdocumentaire « Des mots du jazz« , réalisé avec Klynt et diffusé sur Télérama.fr]
Plus loin…
– Webdoc : Arnaud Dressen et les projets de Honkytonk
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