Le Blog Documentaire vous offre ici un entretien précieux, et en trois parties, de David Carzon, l’homme qui a pris la suite de Joël Ronez à la tête pôle web d’ARTE France.
Précieux, car ARTE constitue l’un des principaux moteurs de la création web en France, au même titre que l’ONF au Canada. Précieux aussi, car on y découvre quelques indications sur la manière dont ARTE France conçoit ses projets web.
Première étape aujourd’hui, avec un retour sur Code Barre, le webdoc événement coproduit par ARTE et l’ONF, et sur cette notion d’investissement dans le financement d’œuvres web…
Le Blog documentaire : Pouvez-vous nous présenter l’équipe du Pôle web d’ARTE France ?
David Carzon : Le Pôle web d’ARTE France représente une équipe d’une vingtaine de personnes aux métiers très divers. Je supervise une équipe composée de 6 éditeurs web, 1 rédacteur en chef, 1 chef d’édition, 1 graphiste, 1 community manageuse et 1 responsable de la distribution et de la diffusion des contenus web. Les éditeurs de sites accompagnent les programmes de l’antenne et les séries documentaires en produisant des objets multimédia ou des fresques interactives.
L’équipe dédiée aux programmes web originaux est composée d’une responsable des programmes web et transmédias, Marianne Lévy-Leblond, qui est assistée de deux chargés de programmes web, qui travaillent sur la dizaine de projets que nous développons.
Revenons d’abord sur l’expérience Code Barre, qui a marqué la fin de l’année 2011 en termes d’innovation dans les usages…
Code Barre est un programme spécifique réalisé en coproduction avec l’ONF. Nous avons signé avec l’Office canadien un accord pour produire deux programmes web originaux sur 2 ans. Code Barre est le premier, sur lequel ONF était leader. Le deuxième projet, sur lequel ARTE est leader, est en cours de développement.
Avant sa sortie, nous avons positionné Code Barre comme un « objet » à part entière, qui avait vraiment vocation à faire sortir le public des écrans. C’est pour nous un webdoc mobile, dont l’intérêt ne réside pas tant dans le site web de l’œuvre que dans l’application iPhone que l’on a développée. Celle-ci permet de scanner les objets du quotidien qui nous entourent et de regarder le film lié à cet objet n’importe où, au supermarché, au bureau ou dans le métro… Le projet avait donc une vocation très forte à sortir de la consommation habituelle de ce genre de programmes et faire vivre une expérience physique nouvelle du documentaire.
Le programme a donc été accompagné d’une exposition physique, présentée à l’IDFA où le webdoc était en compétition. Cette installation permettait de déclencher la lecture de films sur un écran en forme de code-barres en posant des objets sur un socle. Le tout était encore une fois de proposer une autre manière de vivre l’expérience documentaire, d’explorer les nouveaux usages. Bien sûr, le thème proprement dit de Code Barre est aussi très contemporain : il s’agit de redonner de la chair aux objets du quotidien qui, dans notre société de consommation, perdent de l’existence. Nous, consommateurs, devons reprendre conscience des objets qui nous entourent.
Nous sommes plutôt contents du résultat, puisque plus 350.000 objets ont été scannés par un Smartphone. C’est un chiffre intéressant, d’autant plus que l’on est typiquement dans l’optique d’un webdoc longue traine, pour lequel le trafic va continuer à progresser. Les utilisateurs de la plateforme viennent bien sûr du Québec et de France, mais aussi d’endroits plus surprenants, où nous n’avions pas réalisé de promotion du projet : en Afrique du Sud ou au Japon par exemple.
Notre objectif, sur ce projet, était donc de voir si le public allait s’emparer de cette nouvelle manière de « consommer » le projet : de ce point de vue, ça a fonctionné et, à l’échelle du webdoc, les chiffres sont encourageants. Tout le monde, surtout, a saisi l’enjeu du programme qui était de proposer une expérience physique nouvelle, en temps réel, délinéarisée. On ne fait pas du webdoc pour réaliser des CD-Rom et, en ce sens, Code Barre rejoint le but que nous nous étions fixés avec l’ONF. Mais cela ne veut pas dire que tous les projets que l’on va développer vont conserver cette trame : chaque projet est une expérimentation unique.
Les professionnels aussi ont suivi : Code Barre a obtenu le premier FIPA d’or de la webcréation à Biarritz. Nous étions nommés au Digital Emmy Award du MIP TV à Cannes. Le site américain FWA, qui génère un trafic énorme, l’a élu site mobile du jour courant mars… Bref, il y a eu une belle exposition médiatique autour du projet.
Est-ce que ces bons résultats ont incité des chaines de télévision étrangères à s’investir dans la création web, comme ARTE le fait ?
Je ne peux pas répondre en détail à cette question car rien n’est encore concret, mais certains producteurs et diffuseurs étrangers ont fait part de leur intérêt pour signer un accord ressemblant à celui que nous avons avec l’ONF. Nous espérons que ces discussions aboutiront à des partenariats ou à des accords de coproduction sur ce type d’objets web. Nous savons par exemple que la chaîne australienne SBS [NDLR : qui avait produit le très intéressant Goa Hippy Tribe) s’investit. Ils sont impliqués sur un webdoc, Boomtown Village, avec Honkytonk (nous en parlions là).
A l’heure actuelle, les objets web natifs sont cependant encore difficiles à vendre à l’étranger s’il n’y a pas de composante antenne au projet. De notre côté, Code Barre proposait 100 films d’une minute chacun : 15 sont passés sur l’antenne d’ARTE. Il existe au sein d’ARTE une volonté de travailler ensemble, entre le pôle web et le pôle audiovisuel.
Justement, sur l’exemple de Code Barre, la production des films était-elle partagée entre le pôle web et le pôle audiovisuel ?
Non, l’antenne a acheté les films, que le pôle web a produits.
Le pôle web d’ARTE France regroupe trois types d’activités de production de programmes web originaux :
- Des programmes web natifs, comme Code Barre ou Prison Valley, qui sont entièrement produits par le pôle web. Si ces programmes font l’objet d’une diffusion antenne, c’est parce que la chaine décide d’acheter le programme pour sa grille.
- Des projets cross média, qui sont développés en commun avec les programmes de l’antenne, comme Adieu camarades. Il s’agit ici de thématiques fortes, sur lesquelles le pôle web est associé pour réaliser un webdoc. Le producteur est généralement le même pour le doc et pour le webdoc, afin de conserver la synergie avec l’antenne. Mais le financement du webdoc est bien assuré par le pôle web dans ces cas de projets cross média.
- Des projets hybrides que le pôle web et le pôle antenne mènent conjointement et qui sont construits de telle façon que les deux sont impliqués. Nous sommes en développement sur ces projets, qui sortiront en 2013.
Voyez-vous la politique d’ARTE en matière de projets web comme un investissement ?
Oui. ARTE a vocation à explorer de nouveaux usages, essayer des dispositifs techniques innovants ou encore tester des nouvelles arches narratives. La production web-native est là pour ça, pour tester des projets utilisateurs qui pourront être développés à plus grande échelle plus tard.
Nous produisons aujourd’hui annuellement, documentaire et fiction confondus, 5 à 6 projets web-natifs, 1 à 2 projets cross média et 4 à 5 projets hybrides, en collaboration avec l’antenne.
Ces projets hybrides ont été institués en objectifs par Véronique Cayla lorsqu’elle a pris la tête d’ARTE. Construire des programmes communs avec l’antenne, comme nous essayons de le faire avec la suite de la fiction 60 secondes, est une évolution naturelle. Nous développons actuellement des projets hybrides avec chacune des unités de programmes d’ARTE France, des projets que nous allons tester pour déterminer ceux qui peuvent entrer en production.
Nous travaillons actuellement sur deux projets avec l’unité fiction, qui imbriquent totalement le web et l’antenne. Le premier se situe dans l’univers du polar et devrait entrer en production d’ici la fin d’année 2012. L’autre projet en développement est la suite de 60 secondes, pensée là encore sur l’antenne et sur le web. 60 secondes est un programme très léger, initié pour le web avec une diffusion sur Facebook. L’antenne a trouvé le résultat intéressant en termes d’audience et d’exploration du champ de la sitcom courte. L’objectif est donc de réaliser, non pas une simple « saison 2 », mais quelque chose de nouveau, avec un dispositif web original. Là encore, nous sommes en phase de test pour voir si cela fonctionne.
Nous développons également 3 projets documentaires dont le développement arrivera à terme à la fin du premier semestre 2012. J’ai bon espoir que ces projets débouchent en 2013.
Nous sommes enfin en phase de recherche sur un projet transmédia centré sur le cinéma. L’idée est développer une application géolocalisée qui permettrait de découvrir des films en arpentant virtuellement Paris. Sur ce projet, nous travaillons avec Michel Reilhac, directeur du cinéma à ARTE France.
A suivre…
Propos recueillis par Nicolas Bole
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