La vieillesse au-delà du folklore
Après Voyage au bout du charbon et À l’abri de rien, le nouveau webdocumentaire de Samuel Bollendorff est sorti le 5 avril sur le site du Figaro. À l’occasion de la journée mondiale de la santé consacrée cette année à la vieillesse et en partenariat avec la Fondation Caisse d’Épargne pour la Solidarité, l’auteur nous livre une œuvre tout en pudeur et en sensibilité. Si vieillir m’était conté nous entraine dans un voyage au bout du temps… éternel et suspendu.
Samuel Bollendorff place les questions sociales et humaines au cœur de sa réflexion artistique et documentaire. En 2002, il avait déjà porté un regard profond sur le thème de la vieillesse dans un documentaire intitulé « Ils venaient d’avoir 80 ans ». Dans ce nouveau webdocumentaire, il interroge des retraités et des professionnels de la santé sur une question a priori simple : « Qu’est-ce-que vieillir ? ». L’auteur étudie les rapports que les personnes âgées entretiennent avec la mémoire, la séduction, le corps, la famille, leur place dans la société, ou encore le regard de l’autre.
Le Dr Maurice Mimoun, le Dr Etienne-Emile Baulieu, la fondatrice de la Maison des femmes Thérèse Clerc, le Pr Françoise Forette et les retraités Claude Lebélian, Jeanne Halas et Stanislas Pavlik : six portraits pour six visions de la vieillesse.
Les limites d’une forme très souple
Le webdocumentaire s’ouvre sur un air d’accordéon. Au cœur d’une salle de bal, nous naviguons à travers ces danseuses et ces danseurs invétérés sur un flot de citations liées de près ou de loin au thème de la vieillesse, comme autant de pistes à explorer : « Alhzeimer », les regrets (« si j’avais su ») ou encore le grand âge (« tous centenaires »). À l’internaute de faire son choix parmi cette valse de mots. L’intérêt de cette mise à plat des citations réside essentiellement dans son caractère aléatoire. Nous ne savons pas à quel portrait se rattache le mot sur lequel nous venons de cliquer. Ce choix de navigation, qui laisse une grande liberté à l’internaute, a le mérite de ne pas classer les citations selon un ordre de priorité dans le discours : tous les témoignages sont sur un même pied d’égalité.
Ces « tranches de vie » de quelques secondes, choisies au hasard des mots, peuvent néanmoins s’avérer frustrantes voire démobilisateur puisque le récit s’arrête à chaque minute pour nous laisser à nouveau le choix de la citation à écouter. C’est obliger le webspectateur à cliquer là où il aurait pu se laisser entraîner par un récit, une parole laissée dans la longueur. Une solution s’offre cependant à l’internaute qui désirerait écouter l’interview en intégralité : télécharger le fichier mp3 sur son ordinateur…
« Je vois les reflets d’une aurore
dont je ne verrai pas se lever le soleil » (Châteaubriand)
Samuel Bollendorff a choisi de donner la parole à trois intervenants professionnels qui, chacun dans leur domaine, nous éclairent sur les changements profonds induits par la vieillesse dans notre société. Ainsi, Maurice Mimoun, chef du service de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique à l’hôpital Saint-Louis, évoque le rapport au vieillissement par rapport au dépérissement du corps. Il explique que « pour certains, le geste de chirurgie esthétique est comme un recul à cet échéance ».
Le docteur Étienne-Émile Baulieu, professeur de biochimie et fondateur de l’institut Baulieu, porte la réflexion sur le terrain cognitif. L’analyse est clairement développée, le vocabulaire n’est pas jargonneux mais compréhensible. Françoise Florette, professeur de gériatrie, directrice de la Fondation nationale de gérontologie, propose également de changer notre regard sur la vieillesse. Selon elle, notre vision est faussée par notre peur de vieillir dans des conditions de dépendance alors que seulement 7 % des personnes de plus de 60 ans sont effectivement dépendantes. (On consultera, en contrepoint, la très récente étude sur l’espérance de vie sans incapacité, qui place la France très en deçà de ses résultats sur l’espérance de vie classique).
Thérèse Clerc, fondatrice de la Maison des femmes de Montreuil et de la Maison des Babayagas (une maison de retraite pour femmes, autogérée, citoyenne et écologique), élargit la réflexion sur la façon dont nous percevons le temps, avec cette belle phrase : « On commence à rentrer dans un éternel présent ». A cela, elle répond : « Mourir vieux, c’est bien, mais mourir bien c’est mieux ! ». Elle semble alors plaider pour une nouvelle perception de la vieillesse, et sa traduction en actes dans la vie publique. Hélas, on n’en sait pas réellement plus sur ses revendications…
Plusieurs autres portraits, des « vieux » eux-mêmes cette fois, sont enfin proposés. Claude Lebélian, 81 ans, veuf depuis 16 ans vit seul dans son petit appartement où il reçoit la visite régulière de ses sept enfants et treize petits-enfants. Avec lui, on est loin du cliché que l’on peut se faire des personnes âgées. Sa devise : « On a l’âge qu’on se donne… tant qu’on peut se débrouiller soi-même, on n’est pas vieux». Jeannine Halas et Stanislas Pavlik, un couple d’amis, se sont rencontrés à la résidence du Château, à Écaillon, dans le Nord. Ils aiment se retrouver à l’occasion des fêtes organisées dans l’établissement pour chanter et surtout pour danser. C’est l’occasion pour Stanislas Pavlik de se mouvoir avec « les jeunettes qui préparent le dîner ». Dans son regard, on entrevoit le souvenir de la séduction mêlé à la nostalgie des flirts d’antan. À l’écouter, on se dit que la vieillesse n’écorche pas la volonté de plaire.
Un sujet sur le vieillissement est évidemment complexe à traiter. Samuel Bollendorff nous offre un récit délinéarisé, cohérent et juste. Sans voyeurisme et sans clichés, Si vieillir m’était conté s’attache à donner une meilleure image des personnes âgées dans une société effrayée par l’idée de vieillir, et qui connaît mal ses ainés. Un petit bémol néanmoins : on apprend finalement peu de choses sur les conditions de vie quotidienne des personnes âgées dans ces interviews. Mais c’est peut-être cela la réussite de ce webdocumentaire : un voyage conté qui force chacun de nous à réfléchir aux questions posées et à forger un nouveau regard sur la vieillesse.
Sibel Ceylan
ah bon… vos articles me laissent perplexes par moment
« Ce choix de navigation, qui laisse une grande liberté à l’internaute, a le mérite de ne pas classer les citations selon un ordre de priorité dans le discours : tous les témoignages sont sur un même pied d’égalité. »
Au temps pour moi, j’ai de prime abord cru à un non-choix de navigation et à l’absence de narration interactive, mais non !
Hâte d’avoir votre analyse détaillée de http://moderncouple.arte.tv/fr/ !
Bonjour Adrian,
Ca vient, pour Modern Couple. Le temps de visionner le tout ! 🙂
Merci de nous suivre,
Nicolas Bole