Suite des entretiens que réalise Le Blog Documentaire avec les acteurs majeurs (et à la frontière) de la création documentaire et de la création web.
Après Boris Razon de France Télévisions, Upian, Narrative et CAPA, voici la vision d’Arnaud Dressen, tête pensante d’Honkytonk, remarqué notamment pour la production des œuvres du « pionnier du webdoc » Samuel Bollendorff ou de l’enquête interactive de Laetitia Moreau, Le Challenge.
Arnaud Dressen nous parle des projets en cours, de la philosophie web qui anime Honkytonk, des développements du logiciel Klynt ou encore de mash-ups et de l’importance de la diversité de la grammaire audiovisuelle pour la démocratie… Entretien foisonnant et passionnant !
Et puis, n’oubliez pas : pour nous aider sur Ulule, c’est par là ; pour des places à l’Institut Lumière, c’est par ici.
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Le Blog documentaire : Un premier mot d’abord… D’où vient le nom de votre société, Honkytonk ?
Arnaud Dressen : Il est inspiré du très beau film Honkytonk Man, réalisé en 1982 par Clint Eastwood… et un clin d’œil à mon expérience universitaire au Texas !
Le Blog documentaire :Comment a démarré Honkytonk ? Quels ont été vos premiers projets ?
Arnaud Dressen : L’aventure Honkytonk a débuté avec la mise en production de Voyage au bout du charbon fin 2007, suite à ma rencontre avec Samuel Bollendorff, Grégoire Basdevant et Abel Ségrétin.
Un an et demi plus tard, suite sa diffusion sur lemonde.fr, France Télévisions nous a commandé un projet sur le thème de l’obésité. Ils ont laissé carte blanche à Samuel Bollendorff et Olivia Colo, dont ils avaient aimé le travail et l’approche. Nous avons obtenu une aide du CNC et L’obésité est-elle une fatalité ? a été réalisé sur moins de 10 mois, avec cinq semaines de tournage dans cinq pays, et dix semaines de montage.
Un projet ambitieux à double titre, car c’est celui sur lequel nous avons choisi de nous appuyer pour développer le premier prototype de ce qui deviendra Klynt. Le logiciel devait permettre à Samuel et Olivia de gagner en autonomie sur l’écriture interactive et leur donner davantage de liberté sur la construction du récit, tant en terme de structure que de rythme.
Nous avons ensuite rencontré Laetitia Moreau, avec laquelle nous avons produit Le Challenge, pour Canal Plus (voir toutes les précisions sur ce projet dans l’interview de Laetitia Moreau).
Puis, Lionel Brouet nous a proposé de réaliser iRock, un webdoc dans les coulisses du festival des Eurockéennes de Belfort. Ce qui l’intéressait, c’était d’inviter les internautes à la rencontre des artistes et de l’univers de l’industrie du disque, à travers un véritable jeu de piste interactif.
Au total, plusieurs centaines de parcours scénarisés et montés avec Klynt. L’occasion de pousser les développements du logiciel et de pousser l’écriture interactive dans ses retranchements les plus extrêmes ! Un projet qui fut soutenu in fine par le festival, la SACEM et Orange.
Quatre productions qui ont lancé la société et qui nous ont permis d’étoffer l’équipe de production avec l’arrivée de Guillaume Urjewicz, producteur interactif associé et le recrutement d’une première équipe de programmeurs en interne.
Des premiers résultats d’audience aussi. iRock, Le Challenge et L’obésité est-elle une fatalité ? ont atteint les 50.000 visites sur les trois premières semaines de mises en avant sur leur portail respectif et Voyage au bout du charbon plus de 200.000 visites grâce à un phénomène de longue traine (également observé sur Le Challenge lors du résultat du procès évoqué dans l’œuvre). Mais le plus marquant, c’est la durée de visionnage qui s’est située au-dessus des 10 minutes, ce qui constitue un excellent résultat pour nous, surtout si l’on considère que les internautes sont encore peu habitués à consulter ce type de programme sur internet.
Bref, des premières productions qui nous ont permis de saisir les enjeux de notre métier de producteur interactif, tant en ce qui concerne les modèles de financement que l’accompagnement des auteurs tout au long du processus de création.
Comment financez-vous ces projets ?
En bonne partie avec notre passion ! Et des montages financiers qui sont souvent assez proches du documentaire TV. Il y a d’ailleurs de plus en plus de guichets disponibles et les budgets ont tendance à augmenter. Seulement, entre l’intention de départ et la forme que prend le programme à l’arrivée, il peut y avoir un écart important sur les budgets prévisionnels.
La productions de projets documentaires, qu’ils soient interactifs ou non, nécessite un temps de maturation et de réalisation relativement long, surtout si on le compare au temps de réalisation de reportages TV. D’un projet à l’autre, on réutilise bien sûr des astuces de montage et des techniques de navigation, mais chaque œuvre reste singulière. Il n’y a pas de formule qui marche à tous les coups, chaque projet reste un travail d’artisan avec une sensibilité et des questions spécifiques.
On traverse souvent des périodes de doutes, on ne se paye pas beaucoup, mais c’est un choix que l’on fait avec nos auteurs. C’est le prix à payer pour continuer à expérimenter des champs d’écriture et de création nouveaux, en marge des formats audiovisuels préétablis.
Nous y arrivons aussi grâce à nos activités de prestation, comme par exemple avec le Ministère des Affaires Etrangères ou des missions pour des organismes de formation qui souhaitent être accompagnés sur des projets de webdoc, du concept à la mise en ligne.
Quels sont vos projets en cours ?
Nous travaillons actuellement sur plusieurs productions exécutives (pour la Fondation Caisse d’Epargne, WWF, TV5 Monde et l’Institut Français) et en parallèle sur deux projets assez ambitieux.
Le premier, Boomtown Babylon, est en développement depuis un an et demi. Il a été financé par l’aide au développement du CNC, le fonds Média, et nous discutons actuellement avec le la chaine de télévision australienne SBS pour une coproduction.
Boomtown Babylon est un documentaire transmédia, construit autour d’une œuvre collective sur le processus de gentrification dans les grands centres urbains. Le tournage est prévu dans plusieurs grandes villes dont Istanbul, Phnom Penh, Sydney et Paris.
Il s’agit d’une importante production développée avec une réalisatrice anglaise, Lotje Sodderland, Vincent Moon, qui est à l’origine des Concerts à emporter et Grégoire Basdevant, ex-redacteur en chef du magazine Colors.
L’équipe réunie autour de ce projet est très internationale et composite avec des portails d’informations, des associations locales, des chaines de télévision…
C’est également un projet ambitieux en termes de travail collaboratif. Nous avons développé et centré nos efforts sur la capacité à travailler efficacement en amont du projet avec les contributeurs. L’audience se construit de manière très ciblée et s’étend par cercles concentriques. Ce qui nécessite d’accepter d’« ouvrir les portes » de notre atelier de création et de montrer où nous en sommes alors même que l’œuvre n’est pas terminée.
L’enjeu du programme est aussi de poser la question de l’œuvre collective et la valeur que l’on peut créer collectivement autour d’une démarche documentaire. Une œuvre qui laisse en même temps toute sa place au regard singulier de chaque auteur mais où la somme des films proposés est largement supérieure à la totalité des films pris individuellement.
Dans la plupart des projets dits « contributifs » ou « crowd-sourced », on reste finalement souvent dans une logique verticale. C’est le cas du projet – par ailleurs très intéressant – initié par Ridley Scott, qui a réalisé sa propre sélection sur les 10.000 contributions vidéos sur Youtube pour en faire un film de cinéma. Ici, l’approche est différente : il s’agit de laisser la contribution au cœur du processus de réalisation.
Le budget du projet est plus élevé – autour de 300 000 euros – et nous avons encore un long chemin à parcourir. Nous sommes ici sur une autre échelle, dans une économie différente.
Le second projet, j’espère pouvoir vous en dire plus très bientôt…
Quelle est la philosophie d’Honkytonk en matière de projets web ?
Quand on a démarré Honkytonk, tout le monde répétait en boucle qu’une vidéo sur Internet devait absolument durer deux minutes au maximum. C’était vraiment le discours ambiant en 2007 : montage ultra-cut et ultra-short.
Or, on s’est aperçu très vite que c’était faux. Internet permet la création de nouveaux espaces de diffusion et constitue un formidable réseau de distribution. Quand on pense à la façon dont on peut toucher et cibler une audience (à domicile, au bureau, dans sa voiture via les smartphones…), on comprend qu’Internet est extrêmement puissant et permet de multiples usages.
Ce que nous sommes allés chercher sur Internet, c’est d’abord la liberté de création avec laquelle on pouvait aborder nos sujets, loin d’une logique de « cases » et de séparation des métiers. Sur Voyage au bout du charbon par exemple, nous sommes allés très loin en utilisant un univers fictionnel proche du jeu pour traiter d’un sujet particulièrement grave : une façon d’aborder le journalisme d’investigation différemment, et de le sortir de ses canevas traditionnels.
On a aussi très vite vu que l’on pouvait remettre l’écrit au cœur du langage audiovisuel. Que l’on pouvait se passer de la voix-off pour laisser toute sa place à l’image et à l’écrit. Que le rythme avec lequel on racontait notre histoire pouvait être plus lent. Autant d’éléments qui nous ont permis, très vite, de prendre nos distances avec la grammaire audiovisuelle du reportage TV classique. Cette distance est devenue une identité, et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on partage davantage cette approche avec les photographes, des documentaristes ou les journalistes radio ou de presse écrite. Nous avons d’ailleurs vraiment trouvé du répondant sur ces questions à la lisière entre le fond et la forme. Et cela nous encourage à continuer à défricher, à chercher de nouveaux territoires avec nos auteurs.
Propos recueillis par Nicolas Bole
Les précisions du Blog documentaire
1. Le Blog documentaire a lancé un appel aux dons sur le site de crowdfunding Ulule. Il s’agit pour nous de pérenniser et de développer notre offre éditoriale. De nombreuses surprises sont donc à venir, si vous le voulez bien… et toujours des contenus de qualité dont le sérieux restera toujours notre exigence. On compte sur vous, sans qui nous ne serons rien !…
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