Nouvelle parole rare et précieuse sur Le Blog documentaire ! Après David Carzon et ARTE France il y a quelques semaines, c’est un nouvel entretien-fleuve que nous publions. Entretien en trois grands chapitres, avec l’autre grand diffuseur hexagonal : France Télévisions, où Boris Razon dirige le département « nouvelles écritures et transmédia » depuis la rentrée 2011.
Cette deuxième partie pose la question ô combien importante des curseurs utilisés par France Télévisions pour sélectionner ses projets. Avec également en toile de fond une réflexion sur le crowdfunding, la concurrence avec ARTE ou encore les outils d’aide à la narration…
Le Blog Documentaire : Pouvez-vous d’abord nous présenter l’équipe qui travaille avec vous ?
Boris Razon : Le cœur de l’équipe est constitué de 4 conseillères éditoriales et de mon assistante, réunies autour de moi. Elles effectuent un travail de lecture et de suivi de chaque projet ; elles ont donc cette double casquette de chef de projet numérique et conseiller éditorial. Autour de ce « cœur du réacteur », une infrastructure s’est mise en place, avec 2 chefs de projet techniques, qui font le lien. Nous travaillons également avec 2 responsables de communication.
Question très simple, qui intéresse beaucoup nos lecteurs : par quel biais recevez-vous les projets qui vous parviennent ?
C’est très simple. Nous avons mis en place une adresse mail : nouvelles-ecritures@francetv.fr. Tout porteur de projets peut nous contacter directement. Les projets sont enregistrés, passent en comité de lecture qui se tient toutes les semaines. Certains dossiers arrivent encore en version papier, mais le format numérique est le mieux adapté pour le transférer aux 6 à 8 personnes qui siègent au comité.
Nous avons reçu 260 projets sur l’année. On essaie d’étudier chaque projet dans le mois et de donner une réponse dans un délai maximum d’un mois et demi.
270 propositions pour combien de projets réalisés cette année par France Télévisions ?
Nous avons réalisé 10 projets depuis le début de l’année et un peu plus de 20 sont en production. Mais certains de ces projets ne proviennent pas des dossiers reçus.
Vous développez alors des projets en interne ?
Oui, certains projets « partent de chez nous », pour lesquels nous cherchons une production.
Qui vous envoie des projets ?
On a vraiment toutes les sortes de cas. Beaucoup de sociétés de productions « classiques », ou de sociétés de production plus récentes, plus web. Et des projets émanant d’individuslambdaaussi.
Combien de projets, par exemple, émanent de productions « classiques » ?
C’est vraiment difficile de répondre car je n’ai pas élaboré de diagramme. Je fonctionne au projet, sans me demander d’où il vient. Ce n’est pas un critère pour moi. Mais il est certain que ce n’est pas la même manière de travailler avec les producteurs classiques, surtout quand ils n’ont pas intégré les problématiques web. Ils ignorent des pans entiers du travail, qu’ils découvrent en même temps que le projet se construit. C’est à la fois formidable et parfois compliqué à mettre en place.
Quels sont vos curseurs pour évaluer l’intérêt d’un projet ?
Il y en a un certain nombre : en matière de nouvelles écritures, le curseur principal est l’expérimentation. Le projet de documentaire qui a déjà été refusé, qui a été re-packagé en webdocumentaire, sauf s’il développe une réelle pensée web entre les deux versions, ne va pas nous intéresser. Le projet doit expérimenter, sur la participation de l’audience, la navigation ou l’utilisation de différents médias. Pour les projets transmédia, le curseur, c’est la façon dont on amène l’audience à vivre une expérience de plus en plus riche. Les projets ne doivent pas tous pousser tous ces curseurs. Sur chacun des projets, on pousse un curseur différent pour multiplier les expériences. Mais il doit y avoir un lien entre le sujet et la façon de penser l’expérience utilisateur. Encore une fois, on ne développe pas une collection de webdoc avec un seul mode de narration. On le fera peut-être plus tard, mais pas aujourd’hui.
Le fond doit donc être en adéquation avec la forme ?
Rien ne peut être plus essentiel que cela. La forme prend encore plus d’importance que dans le documentaire classique.
Que pensez-vous des projets nés par le crowdfunding ? Ces plateformes constituent-elles des incubateurs de projets pour vous ?
Je trouve très bien que cela existe. Et bien sûr, toute l’équipe et moi-même, nous suivons de près ce qui s’y passe et on s’y intéresse. Mais en tant qu’acteur de ce marché, j’estime que notre rôle, à France Télévisions, est de constituer une force de stimulations et de propositions. Le crowdfunding représente pour moi un marché parallèle très important, mais sur lequel nous n’intervenons pas.
Ce n’est donc pas une « rampe de lancement » pour des projets que vous pourriez produire par la suite ?
Non. France Télévisions met déjà en orbite de nombreux projets par nos propres démarches.
Les outils de narration, du type Klynt ou 3WDOC, vous intéressent-ils dans votre métier ?
Je leur trouve une limite : ils suggèrent une vraie contrainte, un vrai cadre narratif plus ou moins léger. Cela ne correspond pas à ce que je recherche, par rapport à notre recherche d’expérimentation. Nous avons besoin de logiciels très souples. Il se trouve que quand je travaillais pour Lemonde.fr, nous avions développé une interface en 2004. J’avais donc déjà vécu cette difficulté de la contrainte. Le deuxième biais important, c’est de faire attention à ne pas se retrouver, pour les éditeurs de logiciel, en position de prestataire de services. Ou alors c’est un autre métier, qui peut procurer une vraie rentabilité mais qui n’entre pas dans mes attributions.
C’est donc plus adapté à ce marché parallèle que vous évoquiez ?
Oui, ou pour une logique corporate qui n’est pas la mienne. La logique industrielle, je pourrais la développer, et ces logiciels pourraient m’intéresser si nous créions un modèle de récit chapitré sur le web pour Thalassa ou Envoyé spécial par exemple. Alors je pourrai proposer un prototype narratif identique. Mais je ne suis pas dans cette logique pour le moment.
Peut-on parler de concurrence entre ARTE et vous, comme on en parlerait entre TF1 et France 2 par exemple ?
Non, on vit dans l’univers du web, dont les codes ne sont pas les mêmes qu’à la télévision. La télé fonctionne avec un concept d’exclusivité, d’inédit, qui n’a pas cours dans les usages des internautes. Sur le web, on parle « partage » et « horizontalité ». Avec ARTE, nos visions sont proches, on partage et on échange. L’idée, c’est que ce que l’un défriche profite à l’autre, et vice versa. C’est une vraie dynamique, qui n’a pas grand chose à voir avec la télévision.
A suivre…
Propos recueillis par Nicolas Bole
Plus loin…
– Boris Razon – La production web chez France TV #1
– David Carzon – La production web chez ARTE #1
– David Carzon – La production web chez ARTE #2
– David Carzon – La production web chez ARTE #3