Bonnie Parker et Clyde Barrow sont-ils solubles dans un webdoc ? C’est la question qu’explorent Olivier Lambert et Thomas Salva, partis sur les routes du Texas. Le Blog documentaire suit les aventures de leur projet transmédia en train de naître avec attention. Carnet d’écriture, épisode 2. (Le premier est ici). 

chasing BCSur la route de Bonnie and Clyde : du mythe à l’actualité

Gibsland. Louisiane. 34 degrés Celsius. 93 degrés Fahrenheit. Chaleur moite, sans être étouffante.

La bourgade est minuscule, au milieu de nulle part, comme posée sur une route forestière. De part et d’autre de la route 154 se dressent une demi-dizaine de bâtiments. Le diner sur la gauche ; la mairie et le poste de police sur la droite. Puis le Bonnie and Clyde Ambush Museum. Au 2419 Main Street.

Sous le porche à l’enseigne imposante, inlassablement, jour après jour, un homme est assis sur le banc. Il fume. De longues cigarettes fines. Des clopes de filles. Il les enchaîne sans cesse. Toujours affublé d’une casquette ou d’un Stetson, l’oreillette vissée à l’oreille droite, il scrute le passage. Et salue d’une main les voisins, les conducteurs de poids-lourds et bien entendu les inconnus.

LJ Boots Hinton est le fils de Ted Hinton. Ce dernier a participé à l’embuscade fatale à Bonnie et Clyde le 23 mai 1934. Quelques 79 ans plus tard ou presque, Boots gère son musée et accueille tous les passionnés de Bonnie et Clyde, des Public Enemies ou du FBI. D’autres sont locaux ou visiteurs, tenus au courant de « l’événement » par la presse ou la pancarte sur l’Interstate 20. Depuis le début des années 90, l’avant-dernier week-end de mai accueille le désormais traditionnel Bonnie and Clyde festival. Et Gibsland ne s’interrompt plus pendant 48 heures. Ce qui est peu dire…

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17 et 18 mai 2013. Nous sommes également présents. Nous les deux « crazy frogs », « frenchies » « cow-boys », à peine débarqués aux Etats-Unis quelques jours plus tôt, le 13 mai, à l’aéroport de Dallas. Entre temps, nous n’avons pas arrêté.

Le motel Super 8 en bord de Freeway, la machine à gaufres au petit-déjeuner, les fleurs de cactus, un réseau wifi hallucinant, la sensation d’impossibilité de pénétrer Dallas tant les routes qui l’entourent ne paraissent jamais bifurquer vers le centre…

Suivirent quelques achats – pellicules, fixations de travellings, mauvais burger – et déjà une rencontre au Hall of State avec Freda Dillard. Authentique Texane, elle a baigné dans l’histoire de Bonnie et Clyde. Ses grands-parents ont rencontré le couple mythique en 1934 à Lancaster, TX, la veille du braquage de la banque locale. Son père, lui, était officier de police à Dallas. En 1967, il a participé en tant que figurant au Bonnie and Clyde d’Arthur Penn.

Mais Freda raconte bien plus que la légende. En 2009 après trente ans de bons et loyaux services, elle perd son emploi de secrétaire juridique. La crise des subprimes est passé par là. Avec le recul, Freda parle de « bénédiction ». Et on la comprend. Désormais entrepreneuse, elle est guide touristique à Dallas. Ses tours historiques marchent sur les pas de JFK mais surtout de… Bonnie et Clyde.

Photo2A Gibsland elle est bien dans son monde. Aux côtés de Boots, de Buddy Barrow, le neveu de Clyde Barrow, de la comédienne Dixie Sedgwick et de tous les autres qui composent  cette « petite famille » qui aime se retrouver une ou deux fois par an.

Gibsland nous est particulièrement sympathique. Pas de routes dans toutes les sens, un seul chemin pour traverser le centre. Tout droit après la voie ferrée. A vitesse modérée.

Le BLT (club sandwich avec Bacon, Lettuce et Tomato) est délicieux. L’air sent bon.

Nous apprenons que le FBI enquête sur le maire, accusé de détournements de fonds publics. Voilà à quoi se résume la criminalité dans le coin selon les habitants. Quelques trafiquants de drogue aussi, plutôt inoffensifs. Dans le centre comme dans les environs du village, de nombreuses maisons sont à l’abandon. Encore une fois, les subprimes sont passés par là.

Photo3A Gibsland, nous sommes au cœur du mythe. Le festival et ses reconstitutions nous le font bien sentir. A l’excitation de participer à cet événement se mêle notre angoisse de construire un sujet fort. Et si nous nous étions plantés ? Et si tous ces gens n’étaient que des freaks fanatiques de criminels ?

Peu de temps avant d’arriver aux Etats-Unis, nous avons participé au Labo organisé par TIU et le Pôle Média Grand Paris. Sélectionnés avec sept autres projets, nous avons passé une après-midi à pitcher notre projet pour le confronter à des regards de professionnels.

Entre autres, Michel Reilhac, l’ancien Monsieur cinéma d’Arte et créateur de la toute fraîche et jolie expérience Cinemacity ne croyait pas à notre histoire. Zéro fascination pour les Etats-Unis et zéro intérêt pour une collection de témoignages sans recul sur l’histoire de Bonnie et Clyde. Jérémy Pouilloux, producteur à La Générale de production, lui nous défiait sur notre capacité à faire « bander le spectateur pendant 90 minutes » avec notre sujet… Pan sur le bec.

Tout ça nous a évidemment fait réfléchir. Peut-être pas chamboulés. Encore que…

Photo4L’avant-veille de notre départ, nous avons découvert une donnée méconnue. Poussé par la crise financière à faire des économies, l’état du Texas a enclenché des programmes de prévention, réinsertion et réhabilitation pour les criminels. Notamment les jeunes. Au point d’être vu comme un exemple par ses voisins sur les politiques dites smart-on-crime.

Le Texas, l’état américain le plus dur qui soit, celui qui vient d’exécuter son 500ème condamné à mort, serait un exemple ? WTF ?

Bonnie et Clyde sont nés au Texas, ont grandi à Dallas, ont commis la plupart de leurs crimes dans cet état et se sont fait tués sur ordre du Texas. Qu’en serait-il s’ils étaient vivants aujourd’hui ?

Le Texas les aideraient-ils à se remettre dans le droit chemin ?

Eurêka ! Voilà notre sujet. Nous touchons, non pas au but, mais à ce que nous ressentions à 7929 kilomètres de là. Une histoire mythique révélatrice du présent.

« Don’t mess with Texas », la devise s’affiche souvent devant nous et nous la retenons…

Photo5Le mois de mai a marqué un véritable tournant pour Chasing Bonnie & Clyde. Enfin, le terrain.

Chaque jour pendant 20 jours, nous avons enchaîné a minima 2 interviews, trois heures de tournage et 2 heures de dérushage, montage ou retouche – en tout nous sommes rentrés avec 2 To de matières. Nous tiendrons ce rythme jusqu’à notre départ. Sauf une journée de relâche consacrée au montage d’un premier trailer présenté à Austin.

Les 5 jours passés à Gibsland nous ont permis de nous mettre dans l’ambiance. De découvrir les personnages de notre film. D’entendre les premiers morceaux d’Herman Dune consacrés au projet. Mais aussi de goûter aux Crawfish, de rencontrer la sympathique équipe des Studios Moonbot, de manger un gâteau trop grand, de passer des heures à philosopher avec Boots, ou encore de constater que le Holiday Inn est de meilleure qualité que le Motel Super 8.

La suite était de la même trempe. Les quelques tornades – meurtrières dans l’Oklahoma voisin – n’auront pas raison de nous. 8 jours à Dallas-Fort Worth nous permettent d’interviewer tous les personnages que nous souhaitons mais surtout de rencontrer l’équipe du Youth Advocate Program de Tarrant County. La problématique de système judiciaire, de réinsertion et de prévention de la criminalité se met en place.

Deux journées et demie passées à Austin nous paraissent trop courtes. Nous tombons – comme la plupart des européens – amoureux de la capitale texane. Une ville à part dans ce pays. Pour nous accueillir, Daniel Loyd, formidable porte-drapeau de la Austin Transmedia, a organisé une soirée de projection et de rencontres en notre honneur. Un moment exceptionnel où nous rencontrons Cécile Fandos, journaliste française installée sur place et bien d’autres personnages sympathiques. Pour la première fois, nous montrons les images que nous avons pu récolter. Un premier montage, une première discussion à bâtons rompues. Et de premiers bons échos. Austin nous réservera d’autres surprises, qui toutes nourrissent incroyablement le projet.

Trois jours à Dallas pour finir. Avec encore des tournages et quelques interviews. Notamment celle de l’étonnant James White, représentant du Tea Party et défenseure de politiques dures pour les durs mais de prévention et de réinsertion pour les criminels méritants ; ou en encore celle de Jerry Madden, conservateur et ancien président du « Secrétariat d’état » en charge de la répression et des lieux de détention, un dur au cœur tendre, dont la vie a basculé vers les politiques smart-on-crime depuis dix ans.

Notre sujet nous prend maintenant aux tripes. Quelques jours ont suffit pour faire basculer Bonnie et Clyde dans une autre dimension. Loin du folklore et des années 30 mais bien dans cette actualité du Texas et d’une question que se posent toutes les démocraties : comment traiter l’épineux dossier de la criminalité ?

Le chrono tourne. Retour à la réalité. Une incroyable côte de bœuf, quelques achats souvenirs, les bagages. La veille de notre départ, une séance photo s’improvise pour Barney, ami de Freda, chanteur de country. Freda nous aura en fait accompagnés tout au long de notre voyage. Le jour même de notre décollage pour Paris, nous la voyons une dernière fois. Avec le sentiment que nous aurons l’occasion de la revoir encore. Très vite nous l’espérons.

Depuis, nous avons beaucoup parlé du projet. Lors du StoryCode #2 de mai, au DocFest à Sheffield, aux Cross Video Days à Paris, au Sunny Side of the Doc à La Rochelle, au Labo à Paris.

Nous sommes désormais en pleine recherche de partenaires. Diffuseurs, investisseurs, sponsors mais aussi développeurs, graphistes, designers, monteurs. L’argent est le nerf de la guerre. Pour repartir à l’automne, finir le développement du projet et le produire vite.

Toutes les bonnes âmes qui souhaitent travailler avec nous sont les bienvenues. Merci à tous d’ores et déjà pour vos bons moments, vos attentions et le soutien que vous nous apportez via les réseaux.

La route est encore longue mais, nous en sommes convaincus, elle en vaut bel et bien la peine. Bonnie et Clyde peuvent nous apprendre beaucoup sur notre époque et, espérons-le, apporter un regard riche et neuf sur notre société.

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Olivier Lambert & Thomas Salva

A suivre sur FacebookTwitter et sur Le Blog documentaire

-> « Chasing Bonnie & Clyde » – Carnet de route #1

No Comments

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  2. ce billet nous a permis de revivre l’histoire ce couple pas du tout catholique, en découvrant les lieux où ils sont passés.
    j’adore leur histoire,

  3. J’adore aussi cette histoire, une idée très originale cet article ! Merci et Bravo aux journalistes qui l’ont écrit.

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