Quoi de neuf du côté du Sunny Side ? A une semaine de l’ouverture de l’événement (dont nous sommes partenaires) à La Rochelle, où sont attendus plus de 2.000 professionnels, voici un rapide tour d’horizon avec Yves Jeanneau, commissaire général de la manifestation. Où l’on évoque les nouvelles manières de raconter l’Histoire, des expériences inédites autour des réalités virtuelle ou augmentée, ainsi que la réforme du soutien au documentaire adoptée début juin par le CNC…
Le Blog documentaire : Cette année, après les Sciences, l’Investigation et la Nature, c’est au tour de l’Histoire d’être mise en avant par le Sunny Side. Avec cette ambition : « revamper » la thématique… Qu’entendez-vous par là ?
Yves Jeanneau : En bon anglais, le revamping, c’est le renouvellement, la redynamisation des choses. C’est comme une renaissance, ou un rajeunissement. Il s’agit pour nous de mettre en avant les programmes d’Histoire qui s’adressent à des publics plus jeunes, avec des formes vraiment renouvelées. Ça va de l’utilisation de l’animation, des techniques propres aux jeux vidéo voire empruntées aux reality shows – et qui ramènent bien sûr aux contenus historiques. C’est ce que Channel 4 a expérimenté et réussi en Angleterre avec Mutiny, qui revient sur l’histoire des révoltés de la Bounty. On peut bien sûr discuter du fait de savoir si on apprécie, ou pas, ce type de propositions, mais elles existent et leur modernité redonne du « peps » au genre.
Vous allez effectivement vous attirer les foudres des « puristes », documentaristes ou historiens, un peu comme l’a essuyé la série Apocalypse au début de sa diffusion…
C’est parfait s’il y a de la foudre ! Nous sommes là pour nous poser des questions. Nous discutons, nous comparons, nous essayons de comprendre comment nous pouvons continuer à produire des programmes historiques dont l’audience moyenne s’élève aujourd’hui à plus de 63 ans. Et force est de constater que cette nouvelle version autour de l’histoire de la Bounty a attiré les jeunes sur Channel 4.
Ce sont là des programmes linéaires pensés pour la télévision, qui ont d’ailleurs un coût certain… Ne faudrait-il pas changer de support pour rencontrer ces audiences plus jeunes ?
Ce sont évidemment des programmes linéaires pour la télévision, qui incorporent cependant des propositions sur Internet. Pour Mutiny, on pouvait par exemple suivre ce qu’il se passait sur le bateau quasiment en temps réel sur le web. Tous les écrans, toutes les techniques sont mobilisés dans ce genre de programmes.
On n’en est pas encore à raconter l’Histoire sur Snapchat…
Non. Et les programmes d’Histoire coûtent cher. Ils nécessitent des recherches, des archives, l’intervention d’experts, etc. Je ne suis pas sûr que Snapchat soir la bonne fenêtre pour ce genre de propositions, mais il ne faut rien exclure a priori.
Cette focalisation sur les programmes historiques est aussi une réponse à l’époque des fausses informations et des contre-vérités médiatiques ?
Bien sûr. Il y a une cohérence. On ne raconte pas n’importe quoi sur l’Histoire, à moins de tomber dans la dénégation voire le négationnisme. C’est ça le début des fake news : « Il ne s’est rien passé à Auschwitz ». Valoriser le documentaire, notamment historique, c’est pour nous un positionnement politique. D’ailleurs, quand on regarde les chiffres des délégations étrangères attendues à La Rochelle cette année, on constate que les Nord-américains sont deux fois plus représentés que l’an passé.
C’est l’effet Trump ?
Les documentaristes américains ont manifestement besoin de venir chercher un peu d’oxygène ici. Même chose avec les Britanniques. Et je pense que c’est effectivement lié au contexte politique du moment. Par exemple, l’IDA [International Documentary Association, basée à Los Angeles, NDLR] voulait venir cette année. Ils ont eu des problèmes de financement, mais la volonté était là ! C’est un signe. Ils n’avaient jamais envisagé de venir jusqu’à présent. Pour le Sunny Side, tous les indicateurs sont au vert. La manifestation devient vraiment un lieu où on se regroupe pour faire du business, mais aussi pour se serrer les coudes.
En parlant de voyants au vert… On se souvient de la timidité, ou de la prudence, du Sunny Side au début de l’émergence des programmes interactifs… Le Sunny Lab n’apparaît qu’en 2014, mais aujourd’hui vous mettez manifestement le paquet sur la réalité virtuelle… L’industrie croit aux « nouvelles réalités », qu’elles soient virtuelles, augmentées, mixtes, etc. ?
Et tout le reste ! Ce qui m’intéresse, c’est tout ce qui vient offrir de nouveaux modes d’expression, et de monstration, en dehors du linéaire télévisuel. Et ce n’est pas forcément de la VR ! Pour être caricatural, je dirais que cela va de la BD interactive à la VR. Il ne faut pas s’enfermer dans cette unique « VR ». Je ne sais pas ce que ce marché va devenir, mais je suis certain que de nouvelles formes plus adaptées aux programmes et aux lieux dans lesquels on les montrera aux publics vont s’imposer. Ce sera tantôt de la VR, tantôt de l’AR, tantôt du 360, tantôt de l’interactif… Ce sont des formes nouvelles, et hybrides. Je refuse de m’enfermer dans des déclarations définitives du type : « La VR est le marché de demain ».
Ceci étant dit, avec l’ouverture de PiXii, nous proposons aussi bien des expériences en son binaural que de formes pédagogiques qui ne sont pas forcément de la VR. Nous essayons d’être les plus ouverts et les plus divers possibles.
La programmation de PiXii est d’ailleurs très « grand public », ce sont des propositions essentiellement basées sur l’effet d’émerveillement plutôt que sur des narrations un peu plus exigeantes… On pense par exemple à Notes on blindness ou à Carne y Arena…
Nous allons aussi vers des formes de partage qui ne sont plus individuelles. Nous cherchons des modes de consommation qui soient les plus collectives possibles, et c’est la grande nouveauté qui émerge. D’où l’importance du Cube que nous allons inaugurer cette année au Sunny Side. C’est un dispositif qui permet à une quinzaine de personnes – une trentaine à terme – de partager une expérience sans casque dans un cylindre de réalité virtuelle.
Il y a aussi les « accélérateurs de culture digitale », qui constituent une petite nouveauté cette année au Sunny Side. Vous vous inscrivez là aussi dans une approche très pro-active. Il y a 4 ou 5 ans, les producteurs qui allaient vers l’interactif étaient avant tout, pour le dire vite, « technophiles » ; aujourd’hui, force est de constater que tout le monde s’y met…
Ce marché va se structurer petit à petit, essentiellement sur ce que les Américains appellent le LBA : Location Based Entertainment. Cela regroupe tous les endroits (musées, châteaux, monuments, etc.), tous les lieux remarquables comme la grotte Chauvet, le Mont Saint-Michel ou le château de Chambord, qui ont besoin de montrer des choses qu’ils ne peuvent pas physiquement représenter.
Prenons par exemple un endroit où l’on veut montrer des dinosaures. Difficile à réaliser dans la réalité… On peut imaginer avoir recours à des robots, on peut essayer de reconstituer des paysages disparus, mais on peut aussi imaginer un dispositif AR ou VR qui sera une expérience originale de compréhension, de connaissances ou de jeux, autour des dinosaures.
C’est un pôle d’attraction qui va devenir très important, et qui l’est déjà aux Etats-Unis ou au Japon. En France, ça émerge. Particulièrement dans les zoos ou les aquariums. Comment montrer des baleines ? Une partie de la réponse se situe dans ces nouveaux dispositifs.
Dans cette « culture digitale », de nouveaux « donneurs d’ordre » apparaissent donc. Et ils viennent au Sunny Side pour découvrir des exemples, et des solutions aux besoins qu’ils formulent. Je pense que nous sommes en train d’ouvrir là un nouveau secteur d’activité.
Deux mots pour finir sur la réforme du soutien à la production documentaire du CNC. Vous avez piloté la « mission d’exploration » à partir de laquelle les décisions ont été prises. Est-ce que vous jugez ces aménagements satisfaisants ?
Le calendrier a été tenu, ce qui constitue déjà une petite victoire ! Le statu quo n’était plus possible. A ma connaissance, les différentes parties ont donné leur accord à la réforme, ce qui constitue un deuxième bon point. Les décisions prises ne correspondent pas terme à terme aux préconisations que j’avais faites, mais c’est normal : je n’étais pas chargé de rédiger la réforme mais d’éclairer un certain nombre de points.
Je ne suis pas entièrement d’accord avec tous les changements, certains auraient pu être plus radicaux, mais il faudra évaluer cette réforme à l’usage. Ce qui est important, c’est d’avoir évité une situation de blocage.
Plusieurs aspects saillants apparaissent dans cette réforme, comme la prime au succès et à la capacité des projets à s’exporter, qui privilégient les entreprises d’envergure.
C’est important, et cela correspond à l’une des recommandations que j’avais formulées.
Par ailleurs, pensez-vous que le documentaire d’investigation, qui était aussi au cœur des sujets de cette réforme, soit désormais mieux valorisé ?
Oui, les critères sont aujourd’hui mieux énoncés. Le classement entre ce qui est réellement du « documentaire » et ce qui n’en n’est pas est, de mon point de vue, plus facile qu’avant. Il y a eu suffisamment de discussions et de débats pour qu’il y ait un vrai progrès en ce domaine.
La distinction entre « documentaire » et « reportage » d’investigation a fait l’unanimité. Nous avons simplement essayé de lever les lièvres en expliquant les manières dont le dispositif avait été contourné dans les années passées. J’espère en cela que les pratiques deviendront plus justes et plus raisonnables, mais nous sommes en France, et le saut par-dessus les barrières reste un sport national. Nous n’empêcherons pas les petits malins… mais le « vrai » documentaire d’investigation est reconnu aujourd’hui à la mesure des documentaires d’Histoire et de Sciences. Ce n’était pas le cas avant.
Rendez-vous dans un an pour évaluer la réforme, alors…
Oui, mais je pense que tout le monde a tout de même compris, aujourd’hui, qu’il fallait faire attention. Nous reposons sur un système de financement qui n’est peut-être pas éternel. J’espère que les abus constatés dans le passé ne se reproduiront plus. Il faut veiller aux actes à court terme pour ménager le long terme. Je pense qu’il y a un mûrissement professionnel. La réforme n’a pas été violente pour personne, tout le monde en est ressorti sans se sentir lésé. Ça pacifie le secteur. Est-ce que ça va durer ? Je ne sais pas.
Ce que je constate en tout cas sur ce Sunny Side, c’est que tous les diffuseurs de documentaires (pas seulement la TV), et tous les producteurs (même ceux qui font du documentaire « un peu moins documentaire »), tous les organismes professionnels sont là, non pas pour s’opposer, mais pour avancer ensemble. C’est une très bonne nouvelle.
Propos recueillis par Cédric Mal
Pingback: Sunny Side 2017 : Le numérique augure-t-il de nouvelles manières de raconter l’Histoire ? - Le Blog documentaire