L’entretien que nous publions aujourd’hui entre la jeune réalisatrice burkinabè Laurentine Bayala et Beti Ellerson, directrice du Centre d’étude et de recherche des femmes africaines dans le cinéma est l’occasion pour Le Blog documentaire de revenir sur le cinéma documentaire produit en Afrique, particulièrement dans sa relation avec les acteurs occidentaux.

Laurentine Bayala participe au Groupe d’Etude Cinéma du Réel Africain, issu des Résidences d’écriture organisées par Africadoc. Le GRECIREA, coordonné par François Fonty, développe conjointement réflexions théoriques et pratiques cinématographiques pour accompagner l’émergence d’un nouveau cinéma documentaire africain, notamment porté par une nouvelle génération de réalisateurs où les femmes sont plus nombreuses qu’auparavant.

Le GRECIREA est composé de cinéastes, de chercheurs et d’enseignants universitaires, de journalistes, de producteurs vivant et travaillant en Afrique de l’Ouest, en Afrique Centrale et en France. Le groupe est ouvert à tous ceux et celles qui veulent proposer leur contribution, sous réserve qu’elle soit validée par les animateurs du groupe. Par ailleurs, il organise chaque année depuis 2008, pendant les Rencontres internationales du documentaire africain, un Colloque à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal.

Laurentine Bayala a elle-même produit une contribution pour le GRECIREA. Dans son article intitulé « Cinéma documentaire du nord et du sud : quel types de coopération ?« , elle dresse un état des lieux sans concession du paysage audiovisuel africain. Partant du postulat que « L’Afrique est documentaire », elle explique la nécessité de « produire soi-même les images que l’on consomme ». Or, décrit-elle, l’absence de systèmes de financement locaux adossée à l’inexistence d’un marché intérieur de diffusion suffisamment structuré empêchent l’essor d’une vaste filière documentaire en Afrique. Laurentine Bayala dénonce l’inaction des gouvernements africains qui « voient ce genre cinématographique comme une menace à la stabilité de leurs pouvoirs », alors même qu’il devrait bénéficier des mêmes attentions que l’hôtellerie ou l’agriculture.

La jeune réalisatrice critique plus encore les rapports de dépendance et de domination qui fondent les relations de coopération cinématographique entre le nord et le sud. Elle éreinte les télévisions nationales « habituées à la facilité et à l’assistanat », et noyées par les programmes français mis à leur disposition dans des circonstances très favorables. Constat similaire pour la production, où Laurentine Bayala explique que les institutions et partenaires du Nord installent une « coopération [qui] n’est autre qu’une dépendance de l’expression artistique du Sud vis-à-vis du Nord ».

Dans son « manifeste » – « pas un idéal mais une possibilité«  -, la cinéaste propose plusieurs pistes pour se départir de cet état de subordination. De l’écriture à la réalisation en passant par le montage, elle en appelle à la formation d’un « binôme artistique enrichissant » par le biais du développement de coproductions intelligentes ou d’industries techniques africaines.

Laurentine Bayala, qui cite Africadoc en exemple, résume les enjeux par cette citation du réalisateur burkinabè Gaston Kabore : «  Si la coproduction est inévitable, son véritable génie ne doit pas se ramener à une mathématique financière et commerciale, mais doit consister précisément à préserver ce que chaque partenaire a de plus spécifique et de plus authentique dans sa vision du monde « .

L’entretien qui suit a été initialement publié sur le Blog African Women in Cinema. Il porte sur les recherches et les projets de Laurentine Bayala, ainsi que sur l’émergence d’une culture du documentaire en Afrique.

C. M.

Le génie protecteur de la ville – © Laurentine Bayala, 2008 (film de fin d’études)

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Rencontre avec Laurentine Bayala

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African Women in Cinema : Laurentine, votre recherche sur le cinéma documentaire en Afrique, « Cinéma documentaire du nord et du sud : quel types de coopération ? » a été incluse dans le Groupe d’étude Cinéma du Réel Africain. Pouvez-vous nous donner vos réflexions à ce sujet ?

Laurentine Bayala : Je fais l’état des lieux de la coopération Nord-Sud dans le domaine du documentaire. Il ressort de cet état que le cinéma documentaire  en Afrique est tributaire du financement du Nord. Le Sud apporte son soutien à ce genre, mais il est insuffisant. Afin de permettre l’expression artistique réelle des réalisateurs du sud, les Etats africains doivent davantage consacrer des fonds au soutien du documentaire de création.

L’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal est devenue un lieu important pour l’étude du cinéma documentaire, offrant le MASTER II en Réalisation Documentaire de Création. Vous y avez étudié aussi, quelles ont été vos expériences ? Comment le programme est-il structuré ?

Le MASTER II en Réalisation Documentaire de Création est une filière professionnelle qui allie théorie et pratique. Il est logé au sein de l’UFR (Unité de Formation et de Recherche) de Lettres et Sciences Humaines de l’Université Gaston Berger de Saint Louis depuis octobre 2007, grâce à la coopération entre l’Université Gaston Berger  pour le Sénégal, l’université Stendhal de Grenoble et Ardèche Images (AFRICADOC) pour la France.
Ce MASTER accueille chaque année  8 étudiants originaires d’Afrique francophone. Avec le MASTER II en Réalisation Documentaire de Création, j’ai appris à toucher à la chaine de fabrication du film allant de l’écriture, au tournage en passant par le montage. A la fin de la formation, j’ai pu réaliser un film d’école. Le MASTER II en Réalisation Documentaire de Création m’a permis de m’affronter pour la première fois à un exercice de pitch. J’ai défendu un projet de film en vue de trouver un coproducteur,  à la rencontre internationale du documentaire de création organisée depuis 2002 à Saint Louis.

AFRICADOC fait partie du programme, pourriez-vous en parler ?

Le programme AFRICADOC, développé en France par l’association Ardèche Images, mène différents types d’actions visant à créer un réseau humain dans les domaines de la formation, de la réalisation, de la production et de la diffusion des films documentaires de création africains. AFRICADOC organise tous les ans au Sénégal depuis 2002, les Rencontres « Tënk » qui est l’un des rendez-vous professionnels de la coproduction documentaire en Afrique. Ce programme a organisé des résidences d’écritures, puis a favorisé la production d’une cinquantaine de films documentaires à travers une dizaine de pays africains.

En 2010 Les Rencontres Sobatè ont été lancées au Burkina Faso. Lors de la cérémonie d’ouverture il y avait une reconnaissance des anciens du cinéma africain au Burkina Faso. Comment ces aînés vous ont-t-ils influencée en tant que cinéaste ?

Les œuvres de mes aînés m’ont sans nul doute inspirée. Dans le temps, quand la télévision nationale programmait un film africain ou burkinabè, je ne le ratais pas. C’est avec les aînés que j’ai découvert certains pans de la culture burkinabè. Ce qui m’a aidé à me forger une identité culturelle.

Le Burkina Faso est depuis longtemps la « capitale » du cinéma africain, quel rôle a-t-il joué dans votre émergence dans le cinéma ?

J’ai été membre du ciné-club FESPACO. Depuis 2005, je participe à l’organisation du FESPACO dans les commissions TV-Vidéo et presse. C’est dans le ciné-club que le scénariste-réalisateur Guy Désiré Yaméogo m’a cooptée (avec deux autres amies)  pour rédiger des critiques. Il nous a ensuite encadrées pour écrire un scénario qui a remporté un concours. C’est ainsi que j’ai réalisé mon premier court-métrage « Amour sans frontières », financé par une fondation espagnole en partenariat avec le FESPACO. Pour ainsi dire, mes premiers pas dans le cinéma ont été concrétisés grâce au FESPACO.

On note, au Burkina Faso, une présence impressionnante de femmes dans le cinéma. J’ai eu l’occasion de rencontrer et de discuter avec plusieurs d’entre elles. Quelles sont vos impressions sur le rôle et la présence des femmes dans le cinéma burkinabè?

Elles sont nombreuses, les femmes burkinabè qui ont fait du cinéma leur passion. Elles sont aussi présentes dans la chaîne de fabrication de l’image allant de la réalisation au montage en passant par la comédie. Je ne parlerai pas de rôle des femmes dans le cinéma burkinabè , mais je parlerai plutôt de leur apport.  Les femmes burkinabé se sont appropriées la caméra pour apporter leur touche singulière, pour porter leur regard particulier sur le monde. Cela enrichit et diversifie leurs œuvres cinématographiques et c’est le cinéma burkinabè dans son ensemble qui gagne.

La première édition des journées cinématographiques de la femme africaine de l’image a été tenue à Ouagadougou en mars 2010, vous avez participé à l’événement en tant que réalisatrice. Quelles ont été vos impressions ? Quels étaient les buts et objectifs de l’événement ?

Je trouve que c’est une belle initiative qui promeut doublement les œuvres des femmes. La première édition m’a permis de découvrir des films que je n’ai pas pu voir au FESPACO.  C’est aussi l’occasion pour les femmes de mieux échanger sur les défis du cinéma.  Ce festival vise à promouvoir le cinéma africain fait par les femmes.

Pourriez-vous nous parler de vos films : « Amour sans frontières », « Risquer sa peau », « Mon mal, un mâle » et leur réception ?

En dehors de « Amour sans frontières » que j’ai réalisé en 2007, les deux autres titres sont restés à l’état de projet, par manque de financement. Je continue de les réécrire et de les soumettre à des commissions. « Amour sans frontières » a participé à des festivals en Espagne, en France et au Burkina. Il est difficile pour moi d’évoquer le côté « réception », mais je dirai que la réalisation de ce film  m’a donné envie de continuer à réaliser d’autres œuvres.

Propos recueillis par Beti Ellerson (novembre 2011)

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Les précisions du Blog documentaire

1. Pour de plus amples informations sur l’actualité du documentaire africain, se reporter au site d’Africadoc network.

2. Les Etats généraux du documentaire de Lussas offrent chaque année depuis 2 ans une fenêtre sur les plus récentes productions du continent, Lumière d’Afrique #2 proposait par exemple cette année : Bakoroman, de Simplice Gallou, ou Les déesses du stade, de Delfe Kifouani. Ces films devraient être disponibles à la Maison du Doc’.

3. Voyez aussi l’analyse que nous avons consacrée à Koundi et le jeudi national, de Ariane Astrid Atodji, sélectionné dans plusieurs festivals européens.

4. Parmi les productions du GRECIREA, on notera plusieurs textes : Les nouveaux récits cinématographies en Afrique (par François Fronty), La voie de la lutte, ou La situation d’engagement de la nouvelle vague de cinéastes documentaristes africains (par Mamadou Sellou Diallo), ou encore Quand le procès Sud/Nord devient cinéma (par Amanda Rueda).

5. Profitez enfin du Festival BeninDocs pour voir des films produits en Afrique. Rendez-vous à Cotonou, Porto-Novo et Paris entre le 18 et le 28 novembre 2011.

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