Le Blog documentaire s’associe cette année avec le Festival des Nouveaux Cinémas Documentaires organisé par Belleville en vue(s), à Paris, pour une après-midi consacrée au webdocumentaire, le 17 novembre dès 14h aux Ateliers Varan. Un festival qui édite également un journal, dans lequel vous pourrez notamment retrouver Méline Engerbeau, productrice et scénariste chez Once Upon, qui a répondu aux questions de Clara Guillaud, l’une des directrices artistiques de la manifestation.
Once Upon, « atelier d’architecture transmedia »…pouvez-vous nous expliquer ce que vous faites ?
Méline Engerbeau : Nous nous définissons comme un atelier parce que nous sommes une petite structure de production de deux personnes et demi, qui travaille « sur-mesure » pour chacun de ses projets. Notre travail consiste à créer de la narration, réfléchir et produire la structure des récits (documentaires ou de fiction) en fonction des nouveaux usages de consultation des nouveaux médias. Cela s’apparente à un travail d’architecte : pour découvrir un récit, quelle est le meilleur schéma de circulation du public, sur quelles plateformes ? Quelles seront les interactions du spectateur avec l’histoire, des spectateurs entre eux? A quelle fréquence, pendant combien de temps ? Nous définissons ces schémas en affinité avec le récit lui-même et avec le public visé, en collaboration avec les auteurs quand nous ne sommes pas nous-mêmes auteures du propos. Ensuite arrive la deuxième partie du travail d’architecte : trouver les artisans compétents dans les spécialités exigées, et coordonner les travaux. C’est ce que nous avons fait pour garedunord.net. En langage audiovisuel, nous sommes à la fois les auteures du scénario interactif et les co-productrices du webdoc.
En quoi l’usage du web a modifié, selon vous, l’approche documentaire ? Quels sont les apports des nouveaux médias dans cette pratique ?
Cela ouvre avant tout un champ d’expérimentations ! Le web bouscule les auteurs, les producteurs, les développeurs d’interfaces, en proposant un champ énorme de possibles dans l’interaction et la narration. C’est très déroutant et très stimulant à la fois de pouvoir interagir avec le spectateur, qui devient une part du récit. Laquelle ? Il revient aux auteurs, en fonction de leur approche documentaire, de leurs sujets, de leur sensibilité, de répondre à cette question. Et c’est aux scénaristes de l’interactif et du transmédia, comme nous, de les accompagner dans cette recherche.
A notre avis, il faut se garder de la tentation d’utiliser tous les possibles de la technologie. Il faut se garder aussi de l’envie confortable de voir le webdoc comme un « genre » déjà établi et de se couler dans les moules narratifs de ce qui a déjà été fait, comme s’il y avait déjà des codes d’usage. C’est trop tôt ! Il y a trop de possibilités à explorer encore et de nouveaux usages émergent tous les jours ! La qualité (et par conséquent l’audience) viendra des auteurs qui auront su, en affinité avec leur univers, leur récit, proposer des expériences accessibles et généreuses, donner au spectateur l’impression d’exister, de VIVRE quelque chose. Immerger le spectateur sans lui compliquer la vie, se mettre dans son rythme, interagir selon son temps et ses compétences technologiques, ça veut dire faire simple, et c’est souvent le plus compliqué.
Comment avez-vous accompagné le webdocumentaire « Gare du Nord », de Claire Simon, en tant que concepteur de narrations nouvelles ? Qu’est-ce qui vous intéressait dans la démarche « transmédia » de la réalisatrice ?
La démarche transmédia de Claire existait, avant notre arrivée sur le projet, dans son désir de montrer la gare sous différentes lumières, de la prendre pour sujet et non pas pour décor, et de la raconter différemment – sous forme de fiction, de documentaire, de pièce de théâtre (un travail qui n’a pas été poursuivi)… Nous y avons rajouté le récit interactif. Nous ne sommes donc pas les « architectes transmédia » du projet, mais nous avons travaillé spécifiquement sur le récit interactif comme lieu de croisement des autres écritures. C’était un privilège de collaborer avec une cinéaste de cette envergure, ayant une telle précision de regard sur les histoires humaines, et souhaitant impliquer le spectateur dans une nouvelle forme de récit. Nous avons visité la gare avec elle, nous avons lu et vu le documentaire et la fiction à différentes étapes et énormément échangé sur ce qui se vit à la gare quand on s’y trouve, qu’on s’y déplace. Claire parlait d’étages, de moments, d’apparitions, de disparitions, et ça a immédiatement suscité l’idée d’une interface « espace/temps » dans laquelle on déambule, grappille, croise des histoires, des gens, qu’on écoute ou pas… Le visiteur était un voyageur, et une fois ce « statut » posé, toute la narration en découlait. L’idée du scroll qui anime le lieu, pour créer cette impression de marcher, de se déplacer, la structure en descente continue vers les profondeurs du RER depuis le parvis, l’organisation en trois moments de la journée ayant des rythmes et des teintes différents (qu’on espérait continue et sans rupture, mais la technique a ses limites !). Nous avons demandé à Claire Simon d’investir chaque unité « moment/lieu » en proposant des films courts, et nous avons ensuite imaginé le décor et les storyboards de l’interface pour y introduire les protagonistes de ces films. Nous devons tout le reste à des spécialistes que nous avons sollicités : le magnifique travail d’illustration et d’interprétation graphique de ces storyboards (réalisé par le studio Les Freds), celui d’illustration sonore (réalisé par Marie Guérin) et l’énorme travail de développement et d’ergonomie (accompli par l’équipe de Djéhouti).
Pensez-vous que le webdocumentaire a une place en salles, ou du moins dans un dispositif de diffusion publique collective ? Pourquoi ?
On répond souvent aux questions par « ça dépend… », en voici un bon exemple ! Ça dépend. Pour nous, ça dépend du statut qu’on donne au spectateur, de l’expérience qui lui est proposée. Dans le cas de garedunord.net, ce n’est pas adapté, justement parce que chacun doit se perdre et tracer son propre chemin. L’intérêt de l’expérience est de zapper, de revenir en arrière, de cliquer sur une silhouette ou une autre… De rester deux minutes et de revenir plus tard… Parcourir un chemin unique et partiel fait partie de l’expérience elle-même. Bien sûr, pour un webdocumentaire comme celui-ci, ou comme Alma par exemple, une projection peut fonctionner avec un Monsieur Loyal qui tient la souris, mais c’est du « visionnage », soumis à l’appréciation de quelqu’un d’autre qui fait les choix de parcours. Ça peut être très agréable, mais ça n’est pas conçu pour en ce sens. En revanche, quand il est intéressant de faire « voter » le public pour un choix ou un autre dans la narration, que ce « vote » lui même fait sens dans le récit, qu’il s’adresse à un « spectateur collectif » et non pas individuel, ça peut être intéressant, via des systèmes de pointage à l’écran, d’applications sur mobile ou boîtier… Et dans ce cas, l’interface devra avoir prévu cette possibilité pour que le visionnage sur ordinateur ne soit pas une « sous-expérience » de la version cinéma, ni l’inverse. Si ça n’est pas « pensé pour », ça n’a pas sa place en projection. Nous défendons vraiment une recherche d’affinités entre la forme et le fond, le support et le récit.
Est-ce que vous concevez vos productions uniquement dans une démarche de diffusion individuelle, ou est-ce que la notion « collective » prend forme dans vos nouveaux projets ?
Ça dépend ! Bien entendu il est moins risqué de s’adresser à un spectateur unique, car si l’on table sur un certain nombre de spectateurs pour créer du contenu ou de la narration dans le récit, il faut aussi créer le moment, les rassembler… et l’échec ne pardonne pas si l’histoire n’existe pas sans un public minimum. Nous avons travaillé il y a déjà quelque temps à un webdocumentaire d’un tout autre ton, Mödern cøuple, qui sollicitait le vote des visiteurs pour marquer avec ironie les différences homme/femme à l’arrivée d’un premier enfant. Ça ne représentait qu’une petite partie du contenu, mais on a longuement hésité à afficher le nombre de votants (qui était une donnée intéressante pour le spectateur). On a pris ce (petit) risque, et comme le public était au rendez-vous, on a aujourd’hui des statistiques sur un bel échantillon, qui donnent encore un peu plus de saveur au contenu. Tout miser sur un nombre minimum de personnes faisant simultanément la même expérience, ça peut être un très beau risque à prendre, si l’on se donne tous les moyens de les rassembler au moment M. Pour l’instant, nous ne menons pas de projets de cette nature, mais ce n’est pas exclu à l’avenir.
Propos recueillis par Clara Guillaud
*
A paraître dans le journal du Festival des Nouveaux Cinémas Documentaires, spécial « Docs 2.0 », consacré au webdocumentaire. Journal disponible du 15 au 24 novembre sur les lieux du festival, et notamment le 17 novembre aux Ateliers Varan pour la journée consacrée au « documentaire à l’épreuve d’Internet » en partenariat avec Le Blog Documentaire (détails ci-dessous) et en ligne sur www.belleville-en-vues.org où vous pourrez retrouver le programme complet du festival.
*
Pingback: Le webdoc à l’honneur au festival Bellevilles en vues | FocusDoc
Pingback: Théorie | Pearltrees