Le Blog documentairepoursuit cette année son partenariat avec le Master pro DEMC (le Documentaire : Ecriture des Mondes Contemporains) de l’université Paris VII–Denis Diderot, à l’occasion du 27ème FIPA, qui s’est tenu fin janvier à Biarritz. L’enjeu est simple : les étudiants de cette formation ont été chargés d’écrire des analyses de films vus pendant le festival, et nous vous proposons ici les meilleurs textes. Premier exemple avec Raphaëlle Irace qui dresse ici un intéressant panorama international des films d’écoles.
Au FIPA, pour qui cherche une expérience cinématographique qui s’affranchit un tant soit peu de la simple nécessité d’illustrer un récit, mieux vaut se tourner vers le programme « Jeune création ». Ces films de fin d’études ou films d’école s’inscrivent dans les contraintes d’une consigne propre à chaque établissement, mais sont libres de la contrainte du public et en ce sens, contrairement à la majorité des autres programmes audiovisuels du FIPA, ils laissent affleurer des libertés d’interprétation et des moments de pure contemplation que ne se permettraient pas des films de télévision soumis à l’obligation de clarté et d’univocité du point de vue.
En effet, si l’on prend trois documentaires qui ont fait salle comble lors de leurs projections : Once my mother (de Sophia Turkiewicz), Héritages (de Philippe Aractingi) et le FIPA d’or Chante ton bac d’abord ! (de David André), on observe qu’au delà des intérêts singuliers de chaque film, même si le dispositif fait preuve d’innovation et de fantaisie, la narration opère finalement toujours sur le même mode. Dans ces trois cas et dans d’autres, une voix-off à la première personne expose en début de film la genèse de son projet, justifie son intérêt et expose les enjeux et problématiques qui se posent, à la manière d’un parfaite note d’intention explicite. Ce qui prime, c’est alors le caractère exceptionnel du sujet ou encore l’incarnation forte du narrateur qui participe à cette histoire. Seulement, à trop vouloir expliquer son interprétation du réel, l’auteur ne laisse aucune place à l’imaginaire du spectateur et le documentaire perd sa force transcendantale. La photogénie, le rythme du mouvement, l’orchestration plastique des formes, des couleurs et des lumières ne sont travaillés que dans un second plan, illustratif de l’histoire racontée.
Les auteurs de la section « Jeune création », réalisant leurs films dans le cadre d’exercices qui consacrent l’étude d’un champ artistique sous tous ses paramètres, se risquent au contraire à rendre signifiants les silences, les ombres, les très gros plans ou les coupes en tant que telles. Si chaque école est marquée d’un emprunte forte, témoignant de l’influence de l’enseignement sur l’expression personnelle du jeune auteur dans son film, l’ambition qui pousse ces artistes en devenir aboutit à des essais originaux.
Quatre écoles internationales de cinéma ont présenté une projection de leurs courts-métrages : la Kunsthochschule für Medien Köln d’Allemagne, l’INSAS de Belgique, la Wajda School de Pologne et la Stanford University des Etats-Unis. Concernant la France, le Fresnoy, l’Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs et quatre masters professionnels de documentaire étaient représentés : Paris, Aix-en-Provence, Evry et Bordeaux. Mais je vais m’en tenir aux quatre écoles non françaises, en excluant les courts-métrages de fiction pour me focaliser sur le documentaire.
Pour l’Allemagne et la Belgique, qui n’ont présenté qu’un seul documentaire et de nombreuses fictions, il serait difficile de repérer la marque de fabrique de l’école sur les créations qui en sont issues. Pourtant, chacun de ces deux films s’inscrit dans un héritage très différent, qui n’est pas sans lien avec la culture propre à chaque pays et avec les valeurs de chaque école.
Tama Tobias-Macht, la réalisatrice du documentaire 2000 m2 mit Garten, présenté par l’université d’Allemagne, dresse le portrait d’une immense villa dans une banlieue de Cologne, habitée par deux grandes collectionneuses d’art contemporain. Le choix du sujet n’est pas étonnant pour une école qui a la particularité d’enseigner à la fois le champ des médias et celui les beaux-arts. Le sens de la composition du cadre, que la jeune réalisatrice a pu acquérir alors qu’elle étudiait la photographie, s’accomplit dans le choix d’une succession de tableaux, en longs plans fixes, des différents espaces de la propriété. Le cadre s’accorde avec le design de chaque pièce dans des jeux de symétrie et de reflets, plutôt que de se focaliser sur les personnes qui se meuvent dans le champ : les employés qui s’acharnent à entretenir les lieux dans un état irréprochable ou les propriétaires qui apprécient le silence pendant leur petit déjeuner. Le tout, dans un montage de 40 minutes, filmé en pellicule, invite à la contemplation. Cependant, l’intérêt de ce qui est montré est relatif. Sur 100 minutes de tournage, la réalisatrice en a sélectionné presque la moitié, si bien qu’on peut penser que la contemplation porte moins sur ce qui est à l’image que sur le dispositif de réalisation lui-même.
Pourtant, ce dispositif n’a rien de nouveau, il s’inscrit totalement dans la lignée de la nouvelle école autrichienne, celle des héritiers de Michael Haneke qui figurent une image édulcorée et déshumanisée de la société occidentale contemporaine. On pense aux cadres d’Ulrich Seidl ou à Notre pain quotidien de Nicholas Geyrhalter. Alors que le synopsis de 2000m2 mit Garten prétend qu’il « sublime le banal pour le transformer en expérience esthétique », c’est bien l’inverse qui se produit et qui marque l’intérêt du film. L’esthétique des œuvres collectionnées est plongée dans la banalité d’un quotidien qui interroge sur le malaise d’un confort excessif. Le calme est pesant, la propreté et l’ordre sont maniaques, la quantité d’objets à déplacer pour un déménagement est vertigineuse. On plaint les employés méticuleux qui passent leurs journées à arranger un détail que personne ne verra, mais on plaint aussi les propriétaires qui, condamnées à voir leurs désirs parfaitement satisfaits, n’ont pour seule issue que l’ennui. C’est ce sentiment de désœuvrement, qui constitue la seule profondeur du film, si seulement il n’était pas commun aux films de toute une génération de cinéastes germanophones.
Anima, le documentaire de Simon Gillard, étudiant à l’INSAS dè Bruxelles, est un film où la contemplation n’est pas sans objet. Filmées dans l’Ouest africain, la beauté des couleurs et la sensibilité aux différentes textures permettent de faire resurgir l’aura d’un lieux mystérieux. Le film est quasiment muet. Le montage, qui ne revendique pas de continuité, mais où se répondent les formes et les mouvements, où se confrontent graphiquement les très gros plans et les plans plus larges, plonge le film dans un imaginaire onirique. Le réel est épuré de son contexte et les gestes quotidiens de la mère imités par sa fille deviennent les gestes primitifs de l’Homme ; le petit fruit qui pivote comme une toupie devient le mouvement de la vie. Simon Gillard, ancien activiste pour le Front de Libération de la Bretagne, est parti étudier le cinéma à Bruxelles. L’INSAS est parfois le choix des étudiants français qui cherchent une école de cinéma publique reconnue, mais qui n’exige pas forcément un bagage scientifique et technique préalable comme à Louis Lumière, ni ne pousse à une constante réflexion artistique introspective, comme le ferait la Fémis. À l’INSAS, on demande à l’étudiant de développer une pensée critique sur le monde contemporain, un regard davantage ouvert sur l’extérieur qu’auto-centré. L’école recrute des profils en grande partie intéressés par le documentaire et des nationalités très différentes. De nombreux films de fin d’étude, dont Anima, imposent ainsi la présence belge dans les festivals de documentaire.
Je passerai rapidement sur les films de la Stanford University, puisqu’il n’y avait dans ces propositions rien de plus que ce qui était déjà explicité par la voix-off. Cela dit, c’est à cette séances que le public a applaudi avec le plus d’enthousiasme, notamment pour Bug People, un film qui vise à l’humour, en développant un arsenal de films d’archives, d’animation, de mise en scène du réalisateur lui-même qui « teste pour nous », à défaut de ne jamais dépasser le brassage des préjugés sur les insectes.
Les documentaires polonais de la Wajda School, en revanche, sont sans conteste les plus rayonnants. L’école, fondée en 2001 par Andrzej Wajda et Wojciech Marczewski, est la vitrine du cinéma polonais, et les films produits par le Wajda Studio disposent d’un temps très long (jusqu’à 4 ans et de moyens techniques importants pour atteindre une certaine excellence à l’image et au son). Aussi, les jeunes documentaristes ont pu disposer de l’aide de chefs opérateurs professionnels, qui avaient déjà l’expérience de plusieurs films.
Le film Kiedy bede ptakiem (When I am a bird), de Monika Pawluczuk, nous met face à une photographie envoûtante, où la faible lumière vacillante d’une bougie éclaire les visages soucieux dans les insomnies de la nuit, où la pluie battante de Thaïlande isole le premier plan d’un voile gris-beige, dans une myopie qui rend trouble le discernement de l’environnement et nous confine dans la maison de MuLa. Le film est le portrait de cette femme Kayan qui espère pouvoir ramener sa seule fille en Taïlande, pour qu’elle ait de meilleures conditions de vie qu’en Birmanie. Impuissante depuis chez elle, les nouvelles lui parviennent par le son brouillé d’une radio, qui se mélange aux bruits continuels de la nature, de la pluie, des oiseaux, des crapauds. Le téléphone portable, fixé à une poutre du toit comme le seul endroit où il peut capter un signal, ne semble rendre aucune réponse à ses supplications. Elle fait vivre sa famille, son mari, ses huit enfants qu’il lui reste, en partie grâce aux touristes attirés par le folklore étrange de ce village aux « femmes girafes ». La tradition des colliers à spirale déposés dès cinq ans chez les filles Kayan, et progressivement remplacés par de plus longs pour donner aux femmes un cou très allongé, n’est abordé que vers la fin du film, alors qu’on voit toujours MuLa avec son collier. La réalisatrice décide d’abord de donner la parole à une mère qui témoigne de sa souffrance avant de montrer sa communauté sous les flashes des touristes, cet écart rendant totalement absurde la représentation superficielle qu’ils s’en font. Un portrait humain, donc, qui sait dépasser la fascination première pour un corps déformé au profit d’une histoire universelle. Celle d’une mère réfugiée qui vaut sauver sa fille, celle de l’extinction d’une culture qui doit lutter pour sa transmission à la génération suivante.
Je n’ai malheureusement pu voir que quelques images de Mòj Dom (My House Without Me), de Magdalena Szymkòw, et je ne pourrais en décrire que l’hypnose dans laquelle chaque plan nous plonge, alors que le film mériterait sans conteste une critique intégrale.
J’en arrive donc au troisième film présenté par la Wajda School : 3 Dni Wolnosci (3 Days of freedom), de Lukasz Borowski, un documentaire de 30 minutes qui montre les trois jours de permission d’un criminel récidiviste, après 15 ans de détention ferme. La caméra portée est virtuose. Elle saisit les gestes, les regards et les détails avec une rapidité extrême. Le montage précis fait disparaître les ellipses et c’est comme si notre regard se promenait dans un espace-temps défini et continu, comme s’il était possible de changer d’axe, se rapprocher, prendre du recul, sans perdre une miette du réel. Comme Piotr, le personnage en permission, le spectateur est pris dans un une succession d’événements en constant mouvement qui rappelle sans cesse le caractère infime du délai de trois jours, et nous plonge dans un empressement constant. Piotr vit des bonheurs amers, dans la conscience qu’ils ne peuvent pas durer. Ce n’est pourtant pas un bonheur idyllique qu’il rencontre, mais seulement la réalité de la Pologne aujourd’hui. Il s’étonne de toutes les nouvelles technologies et des nouveautés apparues dans les 15 dernières années : le GPS, les tourniquets des métros, les frontières ouvertes, les nouveaux commerces issus du monde libéral. Piotr est un des seuls témoins qui puisse comparer la Pologne d’il y a 15 ans, celle qu’il connaît, à celle d’aujourd’hui qu’il découvre tel un ingénu. Tout comme celui de Voltaire, il nous met face aux absurdités de notre société, sans lui même être un personnage doué de morale.
Mais le film reste très mystérieux sur le passé de Piotr. Ce dernier montre le lieu d’un crime dont il tait la nature et les circonstances. Le film laisse poindre les zones d’ombres de ses anciennes relations sociales, sans chercher à les clarifier, ou à justifier la condition de détenu de Piotr. Il n’est pas une victime, mais il n’est pas non plus insensible. Dès lors qu’il franchit les grilles de la prison, il pleure devant ses amis, il passe des heures à contempler la simplicité d’un champ dans l’hiver Slovaque. Il semble bien plus doux que sa sœur, qui est loin de se précipiter à la porte pour lui ouvrir, puis lui étale ses malheurs et se plaint qu’il ne la console pas. Pourtant, on découvre par saillies l’humiliation réelle vécue par les prisonniers : un salaire dont le montant ne vaut pas le prix d’une chemise, une fouille méticuleuse, filmée dans toute sa longueur, qui va jusqu’à trifouiller l’intérieur des saucisses. Si Piotr a appris en 15 ans à se taire et à obéir, il a bien plus de mal à se représenter comment planifier une vie quand la prison en a déjà englouti 28 ans.
La section « Jeune créations » du FIPA était donc très inégale, tant en termes de moyens techniques et de durées de développement, qu’en termes de styles d’écritures ; chaque école accordant une priorité à un aspect cinématographique différent. Les films semblaient d’ailleurs rarement destinés à la télévision.
Raphaëlle Ibrace
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