Suite du partenariat entre Le Blog documentaireet le Master pro DEMC de l’université Paris VII-Denis Diderot, à l’occasion du FIPA 2014. Les étudiants de cette formation ont été chargés d’écrire des analyses critiques de films vus pendant le festival, et nous vous proposons ici les meilleurs textes. Deuxième exemple avec Marine Louvet qui se penche sur le nouveau film d’Esther Hoffenberg, « Violette Leduc, la chasse à l’amour », diffusé ce 12 mars à 22h45 sur ARTE (puis sur ARTE+7), dans le cadre d’un cycle consacré aux femmes engagées.
Ça commence par des cris et des pleurs comme une naissance, comme une venue au monde. Une voix lit les lignes écrites par Violette Leduc, des lignes pleines de la douleur et du désir de vivre. Une douleur et un désir euphoriques, fertiles, chauds et jouissants qui ne l’ont jamais quittée de toute sa vie. Le film dresse le portrait d’un être qui a trouvé dans l’écriture le moyen de tenir, le lien qui l’attacherait tant bien que mal au monde. L’œuvre et la femme ne font qu’un. Difficile de dresser par les images et les sons le portrait d’un artiste, l’œuvre annule le film, le film fait de l’ombre à l’œuvre. Lorsque cet artiste est un écrivain, la tâche s’avère d’autant plus complexe. Comment transformer le plaisir magique de la lecture en un plaisir d’écouter et de voir, comment rendre les images qui présentent une œuvre et son auteur pertinentes alors que seuls les mots ne peuvent être fidèles et rendre justice à ce qu’un écrivain voulut exprimer ?
Tout en simplicité et en pudeur, sans fioriture, sans commentaire, sans reconstitution, le film d’Esther Hoffenberg parvient à attirer l’attention du spectateur sur une artiste, une femme, l’histoire d’une vie et les traces écrites qu’il en reste. Chaque voix y trouve une place juste. S’articulent avec élégance l’entretien avec des spécialistes, les extraits de textes lus et les images d’archives sur lesquelles nous découvrons Violette Leduc, son visage, ses gestes, le grain profondément sincère de sa voix, images où on la suit se promenant dans un Paris qui n’est plus, témoignage d’une époque, celle du Café de Flore, de Sartre et de Beauvoir, répondant à quelques questions avec une simplicité et une vérité désarmantes, récitant comme un poème les menues activités qui occupent ses journées. Ainsi se tisse en filigrane le portrait complexe d’une femme et d’une œuvre. Le film reste pudique à l’égard de la vie même de l’auteur, évitant appréciablement tout écueil biographique. Quelques touches sont posées, ça et là, au fil du récit, des touches qui ne font pas causes, qui n’expliquent rien, mais, éclairent légèrement le tableau des nuances d’une vie. Ce qui reste, persiste, accroche sont les extraits lus avec justesse par la comédienne Dominique Reymond. Ils ponctuent le portrait avec grâce, lui apportant son éclat, son épaisseur et son rythme, ceux-là mêmes du talent de l’artiste que nous découvrons.
Entre ses/ces lignes, des femmes, chercheuses en littérature, livrent une parole universitaire apportant le fruit de leurs réflexions. Dans la bouche de certaines, elles se transforment en confidences. Elles ne se contentent pas de faire part froidement de l’analyse d’un texte sur lequel elles ont travaillé, tel que le voudrait l’entretien classique, mais expliquent à quel point elles ont été touchées, il y a des années, par la lecture des écrits de Violette Leduc. C’est d’une rencontre qu’on nous parle. Le témoignage froid se transforme ainsi en partage habité. Chaque personne rencontrée dans le film se fait une place harmonieuse aux côtés du personnage principal qu’est Violette Leduc. Chacune d’entre elles explique comment elle lui est liée. Même Simone de Beauvoir, qui aurait pu sans difficulté éclipser le sujet principal du film parce que plus connue et reconnue, parce que dominante au sein de la relation qui liait les deux femmes, tient bien son rôle de personnage secondaire, en toile de fond, froide et maîtresse de l’ordre.
Comme un hommage, comme une proposition ou comme la promesse d’une rencontre à venir entre un lecteur et un auteur, le film dresse aussi classiquement que finement le portrait juste et saisissant d’une femme au visage humide de larmes et à la langue claire et incisive. Elle a pleuré toute sa vie, dit-elle, écrire séchait ses larmes.
A la fin, il y a moins de pleurs, moins de cris. Dans sa chasse à l’amour, Violette Leduc a récolté et a donné vie à suffisamment de fruits, de matières pour survivre sans hurler. Comme elle l’écrit, son amour pour Simone de Beauvoir est un amour de l’ordre. L’ordre qu’elle mit dans ses mots, dans sa tête, et par la dans sa vie. Violette Leduc remplit des pages de ses maux devenus mots pour leur donner un sens et pour les rendre supportables. Nous sommes touchés, heureux d’avoir passé une heure avec elle, avec ceux qui l’ont connue et ceux qui l’ont lue et, avides de la rencontrer à notre tour.
A la sortie du cinéma, la nuit est tombée, je baigne dans le désir de découvrir ses lignes que j’ai entendues, de les retrouver sur le papier, de prolonger le film par la lecture, pour entendre encore cette voix. Je fais quelques pas habitée par le rythme érotique, lent et vaporeux du film, je n’ai pas envie de parler. Bon signe. Plus tard, dans une petite librairie biarrote, juste au dessus de la salle du Casino, The Bookstore, je lis les premières pages de L’affamée assise dans un canapé au milieu des livres.
Marine Louvet
Plus loin…
-> Lire l’entretien avec Esther Hoffenberg réalisé par Cléo Lagrange (dossier de presse)
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très bon billet, merci