A la découverte d’un espoir du cinéma sur Le Blog documentaire… Sebatian Mez, jeune réalisateur allemand dont le dernier film, « Subtanz » est en compétition au festival Visions du Réel 2014, à Nyon. Sebastian Mez qui a auparavant donné une master class lors du festival international du film des Droits de l’Homme de Paris. L’occasion de revenir, à travers plusieurs oeuvres, sur ses choix de cinéaste et sur son rapport au documentaire, où la fiction n’est jamais très loin… Une rencontre proposée par Lucas Roxo.
Il est de ces instants où le documentaire, fidèle compte-rendu du réel, balbutie ses classiques et semble glisser doucement vers la fiction. Mais lorsque la frontière abstraite entre les deux genres est transgressée dans un dessein plus grand, celui de questionner la réalité, alors se poser la question n’a plus vraiment d’intérêt. On prend plaisir à les voir cohabiter librement.
Le premier court-métrage du réalisateur Sebastian Mez, Clean up, est de ces petits bouts de cinéma qui interrogent. Le film donne à voir une salle d’exécution américaine, quelques minutes après le décès d’un condamné à mort. La pièce est vide, le point de vue est celui du public, qui observe à travers la vitre un agent d’entretien nettoyer la table d’exécution. Puisqu’il n’a pas eu l’opportunité de tourner dans les lieux réels, tout ici est recomposition, décors, acteurs.
La scène dure une dizaine de minutes : l’homme nettoie méticuleusement tous les objets présents, sous l’oeil observateur de la caméra. En fond sonore, contrastant avec l’image, un document radiophonique donne à écouter deux hommes qui décrivent une scène d’exécution comme s’ils commentaient un match de football : « L’exécution se déroule normalement, aucun mouvement de la part des témoins ». Le paradoxe est complet : doit-on ici parler de documentaire ou de fiction ?
« Au tout début, lorsque j’ai montré le film aux professeurs de mon école de cinéma, ils m’ont dit que Clean Up n’était pas un documentaire. Mais quelques mois plus tard, le film a remporté plusieurs prix de documentaires… Personnellement, je ne m’étais jamais posé la question. Les gens peuvent l’appeler comme ils veulent », sourit quant à lui Sebastian Mez.
Se défaire des contraintes de format
Et à raison. Car en réalité, la question se pose pour la majorité des films du jeune réalisateur allemand, à l’exception, peut-être, de Metamorphosen. Diplômé de Filmakademie Baden-Wurttemberg de Ludwigsburg, en Allemagne, Sebastian Mez raconte comment il a progressivement compris qu’il voulait se défaire des règles et contraintes du documentaire classique. « Arrivé à l’école, mon premier cours était autour de l’abstraction. J’ai adoré, et je me suis rendu compte de toutes les possibilités qui s’offraient à moi », explique-t-il.
« J’ai réalisé que le langage visuel était extrêmement important, sans doute plus que tout. Généralement, les documentaires qu’on voit sont filmés avec une caméra à l’épaule, ça bouge, ça fait plus authentique. Je ne suis pas forcément d’accord avec cette vision des choses », raconte le réalisateur, qui possède un regard résolument critique sur ses années de formation.
« L’école, c’est une espèce de couvercle. Werner Herzog disait “Film school is a nonsense !” [“Une école de cinéma est une aberration”, NDLR]. Je ne partage pas complètement cette opinion mais je pense qu’il y a du vrai. C’est surtout hors de l’école, dans la vraie vie, que j’ai appris des choses ». Comme son moyen-métrage Une lettre d’Allemagne, réalisé en 2010, et dont l’idée lui est venue lors d’une marche à Stuttgart, où il venait d’emménager. Alors qu’il se balade dans la ville, lui et son ami entrent dans le quartier des prostituées. Une scène à priori banale, à laquelle le jeune allemand ne prête pas plus d’attention.
Ce n’est que quelques heures plus tard, en rentrant chez lui, que Sebastian Mez y repensa. Choqué par sa réaction, il réalise qu’en se contentant d’observer ces femmes pour ce qu’elles font, le trottoir, et non pas pour qui elles sont, il a contribué à les enfermer dans une cage en leur ôtant toute identité autre que celle de prostitution. « Je m’en suis voulu de les considérer comme des prostituées et non pas comme des femmes. Donc je me suis simplement demandé qui elles étaient. Pour y remédier, je voulais connaître leurs histoires », relate le réalisateur.
D’un village hongrois aux couloirs d’une maison close
Ainsi débuta le projet Une lettre d’Allemagne. Ou presque. Car l’une des caractéristiques du travail de Sebastian Mez est qu’il se nourrit des contraintes. Pour Clean Up, c’était l’impossibilité de tourner dans une vraie salle d’exécution. Une lettre d’Allemagne se caractérise par le refus de ces femmes de se laisser filmer ou enregistrer : elles voulaient absolument rester anonymes.
Bouleversé par leurs histoires, il s’agissait dès lors de trouver un moyen de les raconter. Lui est donc venue l’idée de refaire ce parcours, de leur pays natal (Hongrie, Roumanie, Slovaquie) jusqu’aux maisons closes de Stuttgart, à travers des lettres de prostituées à leurs familles. Le résultat est intriguant, et nous fait revenir au questionnement sur la frontière entre documentaire et fiction.
À aucun moment nous ne voyons ou n’entendons les personnes interrogées. Pourtant, elles sont partout. À travers des lettres, récits non exhaustifs de leurs histoires personnelles ; à travers cette route, qui prend comme point de départ un petit village d’Europe de l’Est et s’achève dans les couloirs glauques d’une maison close allemande, aperçue à travers les vidéos d’une caméra de surveillance.
« Je trouve cela plus puissant de ne pas montrer les choses, mais de les suggérer. J’ai donc décidé de transférer mes notes en lettres, car une lettre peut être lue dans sa langue d’origine. Quant aux images, j’ai souhaité refaire le parcours tout en laissant au public la force de l’imagination », explique Sebastian Mez.
Un processus de création autour de l’image
Aujourd’hui, il assume très clairement « qu’il navigue entre fiction et documentaire. Je ne me définis pas comme un documentariste mais comme un réalisateur de films. Il se trouve que mes trois premiers films sont des films documentaires, mais ça ne me dérange pas qu’il y ait de la fiction dedans ».
« Prenons l’exemple du film Il faut sauver le soldat Ryan (Steven Spielberg, 1998) », poursuit-il. « Pendant les 20-30 premières minutes, les gens disent que c’est quasiment un documentaire, étant donné la justesse historique de reconstitution de la scène. Pourquoi est-ce que ça marcherait dans un sens et pas dans l’autre ? Chaque vidéo est un angle, une réalité, un seul point de vue. Un documentaire recrée la réalité, car il est impossible de la capturer ».
Suggérer, faire réagir. Pour cela, le contraste entre l’image et le son est extrêmement important pour l’auteur allemand. « Je commence toujours par penser d’abord aux images. Des photographies, voilà ce qui m’obsède au début. J’en regarde une, et je me demande : que fait-elle ? que va-t-elle faire ensuite ? », détaille Sebastian Mez. « Puis je réfléchis aux sons : j’utilise toujours des sons déconnectés de l’image, parfois n’ayant strictement rien à voir. S’il y a un son de machine à laver que je trouve significatif, je le rajoute au montage ».
Le montage, justement. « Il est très important pour moi de ne pas rester avec la monteuse. Nous regardons les rushs ensemble, je lui donne quelques indications et ensuite je la laisse travailler. Je ne reviens qu’à la fin du processus. C’est incroyable comme émotion de voir son film à la fin de ce petit temps », relate-t-il.
Une indépendance artistique
Metamorphosen, son premier long-métrage réalisé à la fin de ses études (Une lettre d’Allemagne et Clean Up ont également été conçus dans le cadre de sa formation), a lui aussi été un casse-tête visuel. Comment représenter à l’écran quelque chose d’invisible comme la radioactivité ? Le résultat est un long-métrage esthétiquement très beau, doté d’une ambiance particulière, comme si le temps s’était arrêté dans ce petit village de l’Oural russe, où les différents problèmes liés à la centrale nucléaire de la région en ont fait l’un des lieux les plus radioactifs de la planète. « Pour moi, ce n’est pas un film mais un livret de photos », confie Sebastian Mez. « Je suis jaloux des photographes : ils arrivent à ne montrer qu’une seule chose et à nous procurer énormément d’émotions ».
Pour le réaliser, Sebastian Mez est parti avec un visa de touriste, sans pouvoir emporter avec lui énormément de matériel (« Il fallait que tout tienne dans mon petit sac à dos »). Et une fois sur place, hors de question de se barder de protections en tout genre. « Je ne mettais pas de masque ou autre, je ne voulais pas avoir l’air d’un alien, sinon c’est impossible de créer du lien avec les gens », explique-t-il.
Autre particularité de la réalisation de Metamorphosen : contrairement à la grande majorité de ses collègues étudiants, l’auteur a refusé de collaborer avec une chaîne de télévision pour financer son film (l’opportunité est offerte aux étudiants par l’école de cinéma), afin de garder une entière liberté de création. Il a ensuite réussi à le vendre à Arte, qui l’a diffusé le 17 février 2014.
Mais la question va finir par se poser pour celui qui vient de créer sa propre société de production, afin d’être en mesure de garder la main sur tout le processus créatif. Car l’indépendance artistique a un coût : les finances sont maigres. Une des solutions pourrait être de se tourner vers des coproductions internationales. Mais la suite, c’est d’abord un scénario de fiction autour du “suicide” et de la “solitude”. Histoire de voir, cette fois-ci, si on lui reproche d’avoir fait un documentaire ?
Lucas Roxo