L’événement était attendu par de nombreux producteurs – et par Le Blog documentaire… Le centenaire de la Grande Guerre coïncide avec l’arrivée à maturité, parmi les acteurs de l’audiovisuel, d’auteurs et de créatifs capables de développer des propositions interactives qui vont plus loin que le webdoc hérité du CD-ROM. Résultat : l’année 2014 sur le web sera parsemée de webdocumentaires, sites ou applications participatives, que les principaux diffuseurs ont tous savamment pensés et orchestrés. Première chronique avec « 1914, dernières nouvelles », l’une des facettes du dispositif d’ARTE diffusée depuis le tout début de l’année.
A tout seigneur tout honneur : dans la course effrénée aux célébrations interactives de la Première Guerre mondiale, ARTE a dégainé le premier en mettant en ligne 1914, dernières nouvelles… dès le 1er janvier 2014 ! Une précocité qui s’explique par l’ADN même du projet conçu par Bruno Masi (connu dans le monde de la création webdocumentaire depuis la sortie de La Zone en 2011) pour les Films d’Ici et son producteur Laurent Duret. L’idée du projet est en effet de raconter non pas la guerre en elle-même mais ce qui la précède : cette inquiétante montée vers le conflit, faite de petits riens au regard de l’Histoire mais qui prennent une autre dimension avec le regard téléologique que nous pouvons porter sur eux.
En ligne depuis trois mois, le principe du site est d’une simplicité assumée, à l’heure où nombre de productions interactives cherchent la dernière innovation en date pour raconter une histoire. A chaque jour jusqu’au déclenchement de la guerre en juillet, 100 ans après, une archive sous la forme d’une photo : la promesse revendiquée d’une consultation « feuilletonnée » constitue bien la principale singularité de ce projet. Chaque week-end, les photos laissent place à une courte vidéo conçue comme une revue de presse de l’époque. Tous les thèmes, toutes les histoires oubliées, laminées par la terreur de la Guerre, s’y retrouvent et c’est un bonheur d’historien amateur que de redécouvrir des archives qui ne disent pas l’évidence, mais le conflit larvé, et les antagonismes qui s’exacerbent.
Fruit d’un patient travail de documentation et d’orchestration des informations davantage que réflexion sur l’interaction, 1914, dernières nouvelles propose également de retrouver des articles de presse de l’époque qui, dans leur jus (à l’exception de certains, légèrement retouchés quand des mots aujourd’hui péjoratifs comme « nègre » sont employés), expriment les maux et les préoccupations de l’époque. Exemple parmi tant d’autres : l’obsession de la croissance, déjà brandie il y a un siècle comme une condition sine qua non par le patronat, rappelle un fait volontiers désespérant : si les manières et les moyens ont évolué, les mentalités, elles, résistent au temps et se recyclent aujourd’hui sous d’autres formes.
C’est tout le mérite de ce projet web patient, austère aussi, que de mettre au jour discrètement ces preuves d’un véritable récit documentaire, où la sur-signification n’a pas sa place. La progression des thèmes, l’atmosphère qui peu à peu s’alourdit des faits d’avant-guerre dressent un portrait glaçant d’une montée inexorable vers les armes. Loin des effets, loin d’un storytelling brossé parfois à coups de mélopées dramatiques, c’est au contraire l’apparent silence de la mécanique irrémédiable du conflit que souligne 1914, dernières nouvelles. Le FIPA, festival des programmes audiovisuels de Biarritz, ne s’y est pas trompé en décernant fin janvier son prix Sm@rt FIPA au projet.
Revers de la médaille : la plateforme ne fournit pas la béquille tant prônée sur le web du récit haletant et joue, avec une sobriété presque contre-productive, la carte de la confiance en la fidélité de l’internaute. Misant sur l’expérience fragmentaire (2 minutes de consultation par jour), 1914, dernières nouvelles nécessite malgré tout un effort important pour que le projet survive médiatiquement, dans un monde saturé de propositions. Peut-être aurait-il fallu ici davantage de roublardise dans la façon de mettre le fil à la patte de l’internaute, de manière à lui amener l’information, par le biais par exemple d’un « abonnement » mail qui lui aurait permis de retrouver chaque matin l’archive dans la boite que le « mobinaute » consultera dans les transports en commun.
Reste que l’angle pris par le projet le distingue du bruit et de la fureur en décalant le regard sur l’avant ; puissent quelques auteurs, producteurs et diffuseurs penser parfois à réitérer cette promesse sur d’autres événements-anniversaires en s’intéressant non pas seulement au « pendant », mais aussi à « l’avant » ou à « l’après ».
Nicolas Bole
@Nicolasbole
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