Suite des chroniques en direct du festival Visions du Réel 2014 sur Le Blog documentaireAprès des rencontres avec Aman T. Riahi ou Stéphane Breton, Barbara Levendangeur aborde ici les films réalisés par des collectifs, et revient sur les propositions webdocumentaires du festival dont ont attend le palmarès dans les prochaines heures…

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Alors que tout le petit gratin des producteurs et des diffuseurs a débarqué au festival depuis lundi soir pour le sacro-saint « pitching » – une journée et demie marathon, où des duos de producteur/réalisateur viennent « vendre » leur projet aux différents financiers, je poursuis mes quêtes documentaires. Après la « chasse au Breton« , j’ai notamment traqué un nouveau monstre documentaire : les collectifs, qui signent plusieurs films présentés pendant le festival.

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Ana de Manicor et Karim Ahun

Les collectifs en force

Initiateur du projet Masse mystique, impressionnante immersion au sein d’une procession d’automutilations dédiée au martyr d’Ashoura, au Liban, le jeune cinéaste québécois Karim Ahun explique : « Les films collectifs sont une somme de plusieurs subjectivités. (…) Actuellement, il y a un vrai mouvement, un vrai besoin, non pas seulement de faire un documentaire d’auteur, avec un seul point de vue, mais de faire naître un dialogue entre l’initiateur du projet, ceux qui y travaillent et les gens qui sont le sujet du film ». Ana de Manicor, membre du collectif Zimmerfrei à l’origine du moyen métrage La beauté c’est ta tête, poursuit : « Le cinéma documentaire est un bon terrain pour tenter ces expériences de travail en troupe, qui sont plus naturelles pour le milieu du théâtre et de la danse d’où je viens que pour le cinéma ». S’inscrivant dans le cadre d’une série consacrée aux cités temporaires, La beauté c’est ta tête est une description immersive du quartier populaire de Noailles, à Marseille, qui se concentre très vite sur une communauté fragile réunie dans un petit bar : « Se glisser parmi eux en tant que groupe était plus facile qu’en tant que personne unique. Ainsi, eux gardaient leur terrain, leur vigueur de « gens du coin » ; et nous venions avec notre force d’équipe ». 

Une force d’autant plus nécessaire quand on doit faire face à une foule dont Masse Mystique veut décrire la dynamique. « Chacun des cinq réalisateurs du film s’est retrouvé face à 5.000, 3.000 ou 20 personnes, des groupes extrêmement soudées et à fleur de peau en raison de la cérémonie. Et c’est la somme de nos différentes manières d’interagir avec ces groupes qui fait le film », poursuit Karin Ahun. Reste le difficile enjeu du montage : « Comment en effet prolonger l’expérience collective dans un travail d’écriture qui, par définition, est extrêmement solitaire ? Ça reste une question délicate et ouverte pour ce type films », précise Karim Ahun au terme de son face-à-face avec Ana de Manicor (un entretien que je n’ai malheureusement pas pu vous restituer en vidéo tant le son était inaudible – dure loi de l’apprentie-reporter ! Or, si La beauté c’est ta tête peut justement pêcher parfois par le flottement de son montage, Masse Mystique a su trouver son unité, à l’instar de Striplife du collectif italien Teleimmagini, série de portraits sensibles de Gazaouis issus de différentes générations, classes sociales et parties du territoires. Un véritable travail de collaboration entre des cinéastes, mais aussi avec les sujets du film qui ont pleinement participé au casting et à l’écriture. Au final, on découvre la vie à Gaza comme on ne l’a jamais vu, et pourtant Dieu sait si j’ai vu des documentaires sur ce sujet pendant les 7 années au cours desquelles je participais à la sélection du festival !

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Striplife – bande-annonce

D’autres films collectifs sont présents cette année, mais je n’ai malheureusement pas pu encore les voir : Dieu et les chiens des Syriens d’Abounaddara et Propaganda des Chiliens du Mafi Collective, dont l’un des membres est, semble-il, très sensible à l’herbe suisse ! A tel point que sa tête en est tombée sur mon épaule dans le minibus qui nous ramenait à l’hôtel… Heureusement, il n’a vomi qu’une fois arrivé – sûrement le sens du collectif !

Les nouvelles écritures

Dans leur arpentage du territoire marseillais, le collectif Zimmerfrei a rencontré un philosophe, certes de comptoir, mais assurément pertinent pour qui « la caméra, ça ne reflète rien, c’est juste une image de ce qu’on a bien voulu donner… une caricature ! ». Or, autant le cinéaste Pierre-Yves Vandeweerd désire déjouer cette auto-représentation, comme il l’a souligné lors d’un atelier passionnant, et habité – nous y reviendrons en profondeur dans de prochains articles, autant Dominic Gagnon, qui se réclame du « saved footage », en fait la matière même de son film Hoax_Canular. Entièrement réalisé à partir de vidéos amateures qu’il a extirpées de l’oubli du Net, le film raconte la fin du monde annoncée en 2012, que se sont appropriés des ados solitaires aimant à se faire peur. Avec ce film, l’artiste-cinéaste, aussi farfelu que précis, veut « aller en salle de cinéma pour sa capacité en prendre le public en otage », comme il nous l’explique dans un entretien-vidéo exclusif où il évoque comment il a voulu raconter « moins la fin du monde que la fin de l’adolescence » en appliquant un petit manuel des « douze règles d’or pour réussir à Hollywood » (sic !). (Et Dominic Gagnon s’excuse d’ores et déjà pour ses petits yeux de cinéaste qui a passé une nuit blanche et qui vient de dormir en pleine projection d’un film tunisien).


Le « saved footage »
, selon Dominic Gagnon

Les images d’Internet seraient ainsi « distillables » dans le cinéma documentaire ? Pas si simple : si un film réalisé à partir de la matière produite sur le Net a pris sa place en salles ici, les essais interactifs, eux, ont été cantonnés en marge du festival. Quatre jours d’atelier accueillant plus de 13 projets venus principalement d’Europe de l’Est et du Nord, avec des discussions poursuivies tard dans un château situé au fin fond de la forêt, pour être finalement soumis à un jury d’experts. Parmi les mentors, l’inénarrable David Dufresne, auteur du jeu documentaire Fort McMoney, rencontré déjà dans l’épisode 1 de mes aventures, qui appelle ici de ses vœux un nécessaire dialogue entre le documentaire et le webdocumentaire…


« Le documentaire et le webdocumentaire font la même chose : interpréter le réel ! »
David Dufresne

Un mariage encore loin d’être conclu… Mais nous gardons bon espoir ! En tout cas David Dufresne continuait encore à œuvrer à la promotion de ce mariage mixte avec un (ou deux) verres à la main, après deux heures du matin au bien nommé « Bar du Réel » quand je l’ai quitté… Pour ma part, j’ai encore raté pleines choses, dont sûrement les futurs films primés (des rumeurs sont déjà venues jusqu’à mes oreilles). Seule une séance consacrée à des films expérimentaux a eu le don de m’exaspérer, à l’instar de certains discours de producteurs et diffuseurs vite repartis après les sacro-saints « pitchings » sans, pour la plupart, être passés une seule fois en salles ! C’est la dure loi du marché… Heureusement, nous sommes là pour sortir de l’oubli vite advenu de ses moments et films partagés, pour rendre compte de ces territoires temporaires de résistance, si chers à la cinématographie de Pierre-Yves Vandeweerd, dont la foi documentaire est assurément communicative et apaisante dans ce monde de brutes !

Barbara Levendangeur

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