Le Blog documentaire à nouveau partenaire du festival Silhouette, à Paris ! Et cette année un peu plus que les autres, la programmation fait la part belle aux documentaires. Du 29 août au 6 septembre au parc de la Butte du Chapeau Rouge, des concerts, des projections en plein air et en salle, avec pour thème : Faites le mur !
Cinq pass « invités » sont à gagner pour l’événement. Un tirage au sort départagera les plus rapides à envoyer leurs coordonnées à : leblogdocumentaire@gmail.com.

Capture d’écran 2014-08-26 à 16.39.20Parcours subjectif dans la programmation documentaire
du festival Silhouette

Pour sa 13ème édition, Silhouette consacre deux séances spéciales à la création documentaire. Ce sont huit films français, mais aussi cubain, québécois ou italien, qui seront projetés sur l’écran du centre d’animation Louis Lumière, à Paris, le 30 août et le 6 septembre [1]. Les formats sont variés, du très court-métrage au film de quarante minutes ; les genres également divers : film d’observation, documentaire expérimental, glissements vers la fiction… La programmation témoigne d’une conception ouverte et avertie du documentaire contemporain, au-delà d’un réalisme convenu. Chaque séance tisse plusieurs fils autour d’une question très large : « quelle place occupe-t-on dans le monde ? ». Cette ouverture permet aux films de dialoguer, tout en déployant leurs singularités en dehors des restrictions thématiques. Petit parcours au fil de quelques lieux cinématographiques…

Prendre place

Cadono Pietre s’ouvre sur une citation des Villes invisibles d’Italo Calvino : « Une ville est faite (…) des relations entre les mesures de son espace et les événements de son passé ». Dans ce film, Francesca Bertin et Karsten Krause explorent une petite ville d’Italie du Sud par une succession de plans fixes. Peu peuplées, ces longues prises installent durablement le regard dans l’espace. Au fil de découpes spatiales, le montage esquisse une topographie de la ville. Le regard s’attarde sur les formes et les textures du bâti. Les lignes architecturales et la lumière du sud viennent structurer l’espace du cadre. Enfin, les lieux s’animent peu à peu. Quelques présences les traversent, et y réintroduisent le temps et le mouvement du cinéma. C’est un jour de cérémonie religieuse. On aperçoit finalement les bribes d’un rituel : une narration s’amorce. Filmer la ville est ici une manière de palper et de mesurer son espace, pour tenter de creuser la surface du présent, comme le suggérait Calvino.

La Casona - © Juliette Touin
La Casona – © Juliette Touin

Au fil de la programmation, la caméra prend place dans des lieux où affleurent des temporalités vécues. Dans La Casona, Juliette Touin s’installe dans un foyer de La Havane, à Cuba, où vivent plusieurs femmes enceintes ayant besoin de soins particuliers. Chacune est dans une situation sociale difficile. La réalisatrice y filme, entre autres, la fin de la grossesse d’une adolescente qu’elle suit au quotidien dans les différents lieux de la maison. La présence prolongée de la cinéaste à la Casona lui permet de capter le moment difficile et émouvant qui s’y déroule. Elle accompagne la maternité précoce de Yudi jusqu’à la naissance de son enfant : le temps et l’espace du film se font à la mesure de ceux du personnage. De manière plus légère, dans la fiction documentaire Nevermind, Jean-Marc E. Roy met en scène une femme revenant dans un lieu marquant de sa jeunesse. La rencontre entre l’espace du motel et le corps du personnage ravive en elle les souvenirs d’un épisode de son adolescence, « l’après-bal ». Son récit oral, relayé par les images, enrichit le lieu filmé d’un passé invisible à l’œil nu.

Transformations subjectives

Aux espaces géographiques localisables se superposent des espaces mentaux, qui y prennent source et les affectent en retour. C’est ce que rend sensible Talia Lumbroso quand, dans Le Champ de Bataille, elle filme son héroïne, Lola, de retour dans la maison de son enfance. Face caméra, celle-ci explique : « Tu sais ce que ça fait ? Ça fait comme quand tu rêves… T’es avec des gens, tu connais leur nom, tu sais qu’ils existent dans la vraie vie… C’est eux mais c’est presque pas eux, dans le rêve. Tu vois ?… C’est un peu les endroits que tu connais, mais pas vraiment ». Les souvenirs de Lola s’hybrident au lieu présent et font naître, à l’écran, un espace intérieur en chantier. Le film explore la subjectivité de Lola, qui lutte pour se réconcilier avec le réel de sa vie, et entre autres, celui de sa famille.

Renée R. - © machinette
Renée R. – © Lise Reboulleau

Le cinéma se fait alors espace transitionnel, entre le monde du dedans et celui du dehors ; un espace de jeu depuis lequel l’héroïne s’élance dans le réel. Spectateurs, nous sommes invités à plonger dans cet espace intermédiaire. Nous suivons Lola dans son passage des lieux confinés du drame familial aux espaces ouverts et vertigineux de la piscine ou d’un toit surplombant la ville. Autre voix féminine, autre drame intime. Dans Renée R., Lisa Reboulleau donne vie aux écrits d’une femme des années 1950, divorcée puis morte de chagrin. Elle retrace son itinéraire malheureux, en agençant voix et images d’archives. Le film devient l’espace où déployer une subjectivité réduite au silence.

Espaces intermédiaires

La programmation témoigne de la capacité du documentaire à saisir des dynamiques spatiales et subjectives. Mais aussi, elle s’intéresse à la manière dont le cinéma crée activement des espaces où le réel peut se mettre en scène. C’est cette dimension performative du documentaire qu’on voit à l’œuvre dans le film d’Eleonor Gilbert Espace. Dans ce court-métrage programmé au dernier festival Cinéma du Réel, une petite fille nous explique les conflits entre filles et garçons qui structurent l’espace de la cour de récréation. L’auteur met en place un dispositif simple mais efficace pour catalyser la démonstration de son personnage : le cadre cinématographique et celui de la feuille blanche créent un espace graphique et oral où le personnage peut librement se mettre en scène. D’ailleurs, dès le début du film, le contrat est clair : la petite fille tourne vers elle l’écran LCD de la caméra, et dit « Si je me vois, je veux bien ». Le partage de l’espace – vécu et cinématographique – s’affiche comme enjeu politique. Deux autres films programmés à Silhouette proposent de réinterpréter des espaces réels par le biais de dispositifs réflexifs.

Dans Le Rappel des Oiseaux, également présenté au Cinéma du Réel en mars dernier, Stéphane Batut nous donne à voir les images qu’il a tournées au Tibet, parmi les touristes, lors de funérailles célestes. Au cours de cette cérémonie, les corps des défunts sont donnés à dévorer aux vautours. L’auteur nous livre ces images choquantes par l’intermédiaire d’un espace fictionnel où il se met en scène, regardant son montage, avec un traducteur tibétain. Ensemble, ils interrogent le geste de filmer et partagent leurs impressions et souvenirs. Cet espace entre la fiction et le réel a été scénarisé par le réalisateur à partir de plusieurs rencontres avec des Tibétains. À l’image puis en voix-off, ce dispositif crée une zone de distance réflexive dans la confrontation avec les images de la mort. Loin de trahir le contrat documentaire, cet espace permet au spectateur d’avoir accès à des interprétations multiples du rituel, culturelles et subjectives. La réécriture fictionnelle nous permet de dépasser la violence des images, pour questionner notre propre rapport au regard et à la mort.

Le film de Teboho Edkins, Gangster Backstage, retourne cette imbrication de la fiction et du réel. À l’occasion d’un casting pour un film de gangsters en Afrique du Sud, plusieurs hommes livrent face caméra leurs sentiments et leurs modes de vie, entre violence et repentance. De ces entretiens poignants en face à face, on glisse régulièrement vers des reconstitutions d’épisodes vécus par les personnages. Sur une scène de théâtre, ils sont invités à tracer un espace au sol dans lequel ils rejouent ou imaginent des moments traumatiques. La scène abstraite devient tour à tour cellule de prison ou lieu du crime. Cette fois, le tournage documentaire englobe l’espace fictionnel. Ce processus est-il censé être thérapeutique ou simplement spectaculaire ? Ce dispositif hybride rejoue la violence, sans nécessairement la désamorcer. Cette ambiguïté nous engage pleinement en tant que spectateurs, mais aussi en tant qu’habitants d’un monde commun. Cette capacité d’interpellation, parfois dérangeante, est ce qui fait la force et la difficulté du cinéma documentaire.

Camille Bui
@ext_nuit

 

[1] Programmation documentaire 1 : Samedi 30 août à 15h. Programmation documentaire 2 : Samedi 6 septembre à 17h30. Au Centre d’animation Louis Lumière, 46 rue Louis Lumière, 75020 Paris.

Voir aussi

Le court-métrage documentaire au Festival Silhouette (2013) – Camille Bui

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