Certains les connaissent très bien, d’autres ignorent encore leur existence… Ils sont pourtant derrière la majorité des œuvres web que vous avez pu expérimenter ces dernières années… Le Blog documentaire présente ici l’un des premiers panoramas d’ampleur jamais réalisés sur les « webproducteurs » français. Une somme inédite initiée par l’Institut Français, réalisée par Claire Leproust et les équipes de Fablabchannel, avec Cédric Mal, fondateur de ce site, et l’Apprimerie. Le livre numérique est disponible sur le site de l’Institut Français ; il sera ensuite publié sur l’iBookStore d’Apple.
Ils sont une trentaine, de taille, d’histoire et d’horizons divers. Producteurs et productrices de créations documentaires, fictions ou hybrides d’abord pensées par et pour Internet, ils participent tous à leur manière à la (re)définition des contours de la webcréation française. Et c’est sans doute l’une des premières fois qu’ils sont ainsi rassemblés dans une publication interactive (voir bien sûr aussi ce livre). Alors, quel constat ? Quel état des lieux pour un secteur en constante évolution ? Quelles forces ? Quelles faiblesses ? Que découvre-t-on, finalement, dans ce livre ? Présentation en primeur sous forme de premier aperçu.
Elles sont précisément 28 – liste absolument non exhaustive, et tout à fait subjective… Et les 28 sociétés présentes dans cet ouvrage ont toutes été cuisinées de la même manière pour des entretiens sans tabou, assaisonnés de chiffres, de savoureuses anecdotes et de retours d’expériences pimentés.
On découvrira d’abord une palette très variée de modes d’organisation. Certaines sociétés assument une petite taille qui, si elle limite bien sûr la quantité de réalisations possibles, présente l’incontestable avantage de l’adaptabilité. Ces structures « accordéon » comme décrites par Darjeeling, ou en forme d' »orchestre » comme revendiquées par Small Bang, ont la particularité d’évoluer au fil et en fonction des projets qu’elles produisent. Mais à côté de ces petites unités malléables, on retrouve aussi des entités plus nombreuses qui, souvent, mêlent des activités plurielles : webdesign (interactif), webcréations originales, production audiovisuelle, développement de logiciels, services aux institutions culturelles ou aux entreprises, etc.
Ce livre numérique sur les « nouveaux producteurs » recense également les œuvres phares des producteurs et productrices interrogées qui détaillent – fait rarissime – les budgets, les financements et les audiences de ces programmes. On apprendra par exemple que le développement et la production de Stainsbeaupays (Narrative) a mobilisé 142.000 euros financés par France Télévisions et le CNC ou que le budget de 1914, Dernières Nouvelles (Les Films d’Ici 2) s’est élevé à 370.000 euros grâce aux apports d’ARTE, du CNC, du SCEREN-CNDP, du CNRS, de la Mission Centenaire ou encore de la région Rhône-Alpes.
Dans un effort similaire de transparence, on notera que l’application produite par Caméra Lucida sur Le Carnaval des animaux a été téléchargée 18.000 fois à l’été 2014, que La Duce Vita (Darjeeling) affiche 200.000 visiteurs uniques – dont la moitié le mois suivant la publication du programme, ou que Easy Coming Out a comptabilisé 45.000 visiteurs pour 54.000 sessions lors de ses trois premières semaines d’« exploitation ».
Les producteurs et productrices rassemblés dans ce livre évoquent également très franchement la façon dont ils recrutent leurs collaborateurs, le type de projets auxquels ils sont sensibles (et la meilleure manière de s’adresser à eux), ainsi que leurs propres rapports aux diffuseurs. A ce sujet, le constat est globalement partagé : les différents interlocuteurs que l’on peut rencontrer à ARTE, France Télévisions ou Radio France sont loués pour leur professionnalisme, leurs expertises et leurs apports aux projets qu’ils diffusent et/ou coproduisent. Ainsi, Once Upon explique : « Les diffuseurs sont des coproducteurs actifs, ils sont force de propositions, ils donnent leur avis, sur le plan éditorial comme sur le plan technique, en essayant toujours de tirer le projet vers le haut. Ils ont un rôle fondamental, chez ARTE comme chez France Télévisions ; ce qui justifie leur statut de coproducteur, et non de simple “acheteur”. » Même son de cloche chez Caméra Lucida : « Ces partenaires sont davantage que de simples diffuseurs, ils participent activement au travail de conception et à l’orientation stratégique des projets ».
Ceci étant dit, les diffuseurs ne sont pas exempts de tous reproches, ce qui s’entend aisément en cette période où chaque projet est quasiment une expérimentation en soi. Cinétévé, par exemple, considère que les diffuseurs n’ont pas tout à fait pris la mesure de l’importance de l’audience sur Internet : « Ils n’ont pas suffisamment mis en oeuvre les outils ou les recettes nécessaires pour rencontrer les audiences qu’ils visent. Or, il existe des expériences, souvent à l’initiative d’agences web, sur lesquelles nous pouvons nous appuyer ». Remarque de la même veine du côté d’Upian : « Nos projets ne peuvent pas se réduire à des cases d’exploitation très définies. Le métier du producteur sur le web, c’est aussi la diffusion. Nous avons donc aussi besoin d’avoir la main sur l’outil de diffusion. Aujourd’hui, le diffuseur n’est plus l’unique diffuseur, et le travail continue bien après la mise en ligne ».
Bien sûr, cette publication fourmille d’anecdotes (saviez-vous par exemple que Chris Marker fut l’un des premiers bêta-testeurs de Klynt ?) et regroupe nombre d’informations instructives (sur les formations, les écoles, les partenariats presse ou les festivals), mais elle s’aventure aussi sur des terrains moins évidents, et plus expérimentaux. Ainsi en va t-il des coproductions internationales, encore peu nombreuses dans le domaine des webproductions documentaires. Pourtant, comme le remarque Upian – pionnier en la matière : « C’est la voie de développement la plus intéressante et la plus pertinente. (…) Nous avons la conviction que le web est fait pour l’international. En élargissant les frontières, nous accédons à davantage de financement et, surtout, nous pouvons toucher de nouveaux publics. Et sans diffuseur local, nous n’atteignons que très peu d’audience dans les autres pays ».
Agat Films ne dit pas mieux : « C’est une hérésie de sortir des programmes qui n’aient pas au moins une version en anglais. Il est aberrant de financer des webdocumentaires qui n’envisagent pas une « adaptation internationale ». L’Institut Français pourrait d’ailleurs nous aider à trouver des partenaires dans cette optique. Nous avons besoin d’une aide à l’exportation des productions interactives ! Et tous nos projets ont d’emblée une ambition internationale, ne serait-ce qu’en raison de leur espace de diffusion. De plus, quand on affiche des objectifs d’audience ambitieux, il faut nous tourner vers l’ensemble du monde connecté ». L’orientation n’est bien sûr pas sans poser problèmes, juridiques ou techniques, comme vous pourrez le constater tout au long de la lecture de ce rapport…
On lira aussi quelques exclusivités ! Par exemple, sur Imprudence, la nouvelle société fondée par Eric Viennot. Après la liquidation judiciaire de son ancienne entreprise Lexis Numérique, le directeur de création de In Memoriam ou encore de Alt Minds rebondit avec une structure mutli-générationnelle et aux profils complémentaire pour nourrir de nouveaux projets ; « un éventail de profils capables ensemble d’anticiper ce que sera le monde digital de demain. Nous considérons en effet que tout devient média, les individus, les marques, les villes, les territoires, et que le média du futur se situe à la convergence de tous ces domaines ». Nous en reparlerons très vite ici-même…
On retiendra enfin, et peut-être surtout, cet exercice de style qui clôt chaque entretien. Quelle vision de la webcréation ont ces producteurs et productrices, à 3 ou à 5 ans ? C’est ici que les pistes d’avenir et les perspectives créatives sont les plus intéressantes. On évoque pêle-mêle : l’influence des jeux vidéo, l’arrivée des casques de réalité virtuelle, la quête de la TV connectée ou encore l’essor des intelligences artificielles.
Si l’enjeu général, pour Small Bang, c’est de « mélanger la culture populaire et la culture numérique, coller le digital sur les territoires, accélérer l’émergence d’une économie collaborative et circulaire », il convient de rester prudent, et humble : « Il faut repenser au décalage entre l’invention de Gutenberg et l’émergence de la littérature. Si on transpose la situation au cinéma, nous serions 20 ans après le premier film des frères Lumière. On déchiffre actuellement un code dont on ne mesure pas encore le potentiel et dont on ne comprend pas encore le langage ».
Red Corner, de son côté, estime que « le champ sur lequel il y a aujourd’hui le plus à faire, c’est le rapport aux audiences. (…) Ces deux piliers, la production et la valorisation des programmes, sont intimement liés. Nous devrons nous orienter vers des projets créatifs accessibles pour le grand public et vers des outils de marketing innovants pour le grand public, et cela dans un contexte nouveau : la multiplication des type de partenariats possibles et de plateformes disponibles ».
Préoccupation partagée par Upian, qui résume : « Nous devons continuer de travailler sur les innovations et les rapports aux audiences en capitalisant sur nos savoir-faire, et en étant toujours plus attentifs à la qualité de nos programmes. (…) Nous ne sommes plus dans l’expérimentation ou dans la recherche ; nous sommes sortis du laboratoire. Nous ne sommes plus dans le tâtonnement ; nous avons désormais des convictions. (…) Rappelons-nous seulement que l’Histoire des Arts a évolué grâce à des innovations techniques réalisées par des artistes déjà confirmés… ».
Impossible ici, vous l’aurez compris, de résumer l’ampleur et la richesse de cette publication… Difficile, aussi, d’en rendre compte de manière exhaustive… Un seul conseil, donc : lisez-la !
Cédric Mal
Plus loin…
Ce livre numérique sera présenté en live ce mardi 16 décembre dès 19h19 à la Gaîté Lyrique avec, au programme : des rencontres, des invité-e-s, des surprises, quelques exclusivités… Apéro-concert à ne pas manquer, in situ ou via le live stream sur Internet.
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