Nouvelle édition des Écrans documentaires en ce mois d’automne particulièrement chargé… Toute l’équipe du festival, dont nous sommes partenaires, vous attend à Arcueil du 13 au 19 novembre, avec encore une fois une programmation riche et diverse. Présentation.
L’édito : « Impatiences »
Oui, aujourd’hui, nous nous demandons où en seront les « contextes » géopolitiques et sociaux à l’heure où vous lirez ces lignes tant leur célérité s’accompagne d’inquiétude au fil des jours. Impossible de ne pas évoquer la situation du peuple Kurde (nous repensons au film Meteors de Gürcan Keltek que nous présentions lors de notre édition 2017), insupportable jeu de pions sur les cartes d’état-major américaines et turques. Impossible, non plus, de ne pas s’indigner quand l’Europe, croyant agir d’une seule et même voix, échoue à décréter un embargo sur les ventes d’armes à cette même Turquie. En cause, le veto posé par le Royaume-Uni, ultime faire-valoir d’un statut européen bientôt aboli par le Brexit.
En France, nous ne cessons de nous demander quelles formes de revendication et quels degrés de contestation il faudra atteindre dans les écoles, les lycées, les universités, dans les hôpitaux, les structures culturelles et tant d’autres lieux pour faire entendre leur détresse à un gouvernement qui en claironne la nécessaire rentabilité. Et combien de mobilisations supplémentaires seront-elles nécessaires pour soutenir les réfugiés politiques et économiques, imposer des mesures concrètes pour enrayer le réchauffement climatique, lutter contre le retour décomplexé de valeurs morales archaïques ?
De ces brefs états des lieux, de ces impatiences et des ailleurs qu’ils évoquent, émanent des présents endurés et éprouvés par les existences. Dans la contrainte ou la résistance, ils habitent encore cette année les films qui jalonnent notre programmation.
C’est le récit d’un fort désir de cinéma qui ouvre cette édition. Le beau chantier entrepris dans Talking about trees (Suhaib Gasmelbari) est la réappropriation, au-delà d’un lieu de projection à Karthoum, de la mémoire et de la pratique cinématographique d’un pays. Malgré l’échec et le poids des autorités, quatre protagonistes, vieux amis cinéastes, portent en eux cet espoir culturel inestimable.
C’est aussi d’espoir dont il est question dans le film Pahokee (Ivete Lucas et Patrick Bresnan) qui dresse le portrait de la jeunesse issue des communautés noires américaines et mexicaines d’une petite ville de Floride. Mais si l’accès aux divisions supérieures de football et aux universités semble parfois possible, la suprématie du mérite nord-américain trie et veille à la conservation de ses classes supérieures. [Des mêmes auteurs, voir aussi sur notre site The Rabbit Hunt, NDLR]
Au Brésil, l’engagement politique d’Indianara (Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbos), leader de la communauté transgenre, est celui de toute une vie. Au détour de ce combat contre les stigmatisations de l’autoritarisme ambiant bientôt au pouvoir, et l’abandon d’une partie de la gauche, le film se construit au plus près des relations d’amitié et de solidarité qui soudent le groupe autour de leur représentante.
La prolifération des caméras de surveillance quelle qu’en soit l’utilité, mais le plus souvent destinée à la détection des mobilités humaines, nous interroge et nous alarme sur bien des points. Leurs champs visuels qui permettent, par exemple, d’observer une grande partie des côtes méditerranéennes sont le matériau initial que s’approprie La mer du milieu (Jean-Marc Capoulie et Nathalie Quintane). En attribuant sons et couleurs à ces images commentées, le film ouvre alors une réflexion profonde sur les lieux et leurs enjeux.
Ce quadrillage numérique et visuel de la surface terrestre, à des fins de productivité agricole cette fois-ci, figure également parmi les thèmes de notre sélection 2019. Ailleurs pourtant, le matériel militaire semble plus vétuste pour déminer le passé. Guerres et oppressions de ce même passé qui, pour d’autres films, continuent d’habiter les histoires intimes et familiales et provoquent enquêtes et quête de soi. La transmission et l’héritage, qu’ils soient politiques ou mythologiques, circulent aussi au travers des œuvres de cette sélection. Enfin, en d’autres lieux, d’autres territoires, c’est la question de l’accueil de l’autre qui est en cause.
Il sera à nouveau question d’hospitalité lors de notre journée en partenariat avec le MAC VAL (Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne). Ce premier volet de la programmation axé sur les années 1970 et 1980 est articulé autour des films de l’artiste Nil Yalter, du Collectif Mohamed et de Robert Bozzi. En partenariat pour la première année avec le festival Image de Ville, le second volet sera consacré, lui, à une œuvre plus récente, A Lua Platz et à un temps de rencontre avec son réalisateur Jérémy Gravayat.
Les films de Jean-Gabriel Périot ont pour matériau principal l’archive, de source et de nature variées. Son expérimentation permanente du montage, des images comme du son, construit au fil de son œuvre un regard en contrepoint sur l’Histoire du XXe siècle. Le cinéaste est l’invité d’une journée-rencontre intitulée « Contre-récits du présent », au cours de laquelle seront projetés huit de ses courts-métrages ainsi que son dernier long-métrage Nos défaites. Un temps d’échange prolongé suivra les projections pour aborder avec lui ce qui alimente son travail de cinéaste.
Pour la troisième année, notre collaboration avec « La Clef » à Saint-Germain-en-Laye se poursuit autour d’une programmation consacrée à des démarches contestataires qui donneront lieu à des temps de musique « live ». Alors que nous accueillerons dans nos murs deux portraits singuliers de musiciens, celui du percussionniste et batteur Milton Graves, et celui du pianiste argentin Martín Perino que de lourds troubles psychiques tiennent en marge d’une vie sociale.
Depuis la première édition des Écrans documentaires en 1996, les routes de notre festival et des films produits par le Groupe de Recherche et d’Essai Cinématographique (Grec) se sont croisées à de nombreuses reprises, notamment lors d’une carte blanche à laquelle nous invitions le groupe en 2001, peu de temps après ses 30 ans. Nous accueillons le Grec pour son cinquantième anniversaire et la présentation de six films issus de son riche catalogue. Six films aux horizons et périodes différentes mais répondant tous à une liberté de forme stimulante à la lisière du documentaire et de l’essai.
Nos programmations scolaires abordent, cette année, l’œuvre d’un autre grand essayiste du cinéma. Comme l’ensemble de ses films, les courts-métrages de Chris Marker que nous présentons témoignent d’un inlassable regard critique sur le monde. Leur inventivité formelle et leur résonance avec de nombreux thèmes contemporains surprennent encore, et nous invitent à les (re)découvrir sans modération.
Et parce qu’il est souvent utile de s’affranchir d’agendas étroits et de découvrir d’autres lieux, nos séances « hors les murs » se déploient une nouvelle fois en 2019 dans le Val-de-Marne et au-delà, en association avec nos nombreux partenaires de programmation.
Bienvenue aux Écrans Documentaires.
Manuel Briot,
pour l’équipe du festival
(20 octobre 2019)