Agnus Dei, c’est le film choc de ce début de mois d’octobre sur lequel Le Blog documentaire a décidé de s’arrêter en s’entretenant avec sa réalisatrice Alejandra Sánchez et son personnage principal Jesús Colin. Dans ce deuxième documentaire après Bajo Juarez, la cinéaste mexicaine a choisi d’aborder les actes de pédophilie commis au sein de l’église catholique de son pays. Elle livre ici un film fort qui ne se cantonne pas uniquement au destin de Jesús, ce  jeune homme victime d’un curé qui a abusé de lui quand il était adolescent. Devenu adulte, celui-ci a voulu retrouver son agresseur pour se confronter à ce passé traumatique pour mieux s’en défaire. Sa démarche est vitale : elle devrait lui permettre de tourner la page, et d’embrasser enfin sa vie d’homme libre.

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Le film

Jesús a été violé par le prête Carlos López Valdés alors qu’il n’avait pas 14 ans. Pire peut-être, il a été abusé par celui qu’il aimait, et qu’il considérait comme un second père. Pire encore, à l’époque, le jeune adolescent ne comprenait pas, son bourreau feignait la normalité, et Jesús s’est malgré lui cantonné pendant plusieurs années dans le silence de la honte et de la culpabilité.

Le film s’ouvre sur l’évocation de l’un de ses cauchemars, éloquent. Le jeune homme se rend à l’enterrement de son père, au sommet d’une colline. L’office est célébré par un prêtre qu’un enfant de chœur masturbe. La représentation illustre l’horrible songe par un innocent dessin animé (véritablement réalisé par Jesús). Délicate et ingénieuse réponse visuelle que le film viendra répéter à plusieurs reprises. Le documentaire d’Alejandra Sánchez est ainsi émaillé de trouvailles figuratives dont l’inventivité allège le propos (photographies animées, récurrences de motifs oniriques – nuages, avions, oiseaux -, musique… etc.).

Le passé de Jesús, obsédant, l’accompagne chaque jour, et revient sans cesse sur le devant de la représentation par l’interview filée que la réalisatrice a construite tout au long du film. Le jeune homme se raconte en différents lieux, et avec les mêmes mots qu’il a confiés au psychiatre. Il détaille depuis ces incessantes réminiscences le chemin qui l’a mené jusqu’entre les mains du prêtre Carlos López Valdés, chez qui il était convié pendant les week-ends. Une fierté pour ses parents, très croyants, qui rêvaient déjà de voir leur fils épouser une carrière ecclésiastique. Jesús explique ainsi les premiers attouchements, puis les relations sexuelles forcées. Il détaille aussi les sentiments contradictoires qui le paralysaient et l’empêchaient de dire ou de dénoncer. Il se sentait coupable, comme sa mère se pense aujourd’hui responsable, mais tous deux étaient alors aveuglés par le respect de l’autorité et du pouvoir alors imposé par le curé.

Jesus, au premier plan, devant sa mère – Agnus Dei, 2010.

L’ancien enfant de chœur a aujourd’hui abandonné son désir d’entrer dans les ordres mais il fréquente toujours les églises, à la recherche de celui qui lui a volé sa jeunesse, et souillé son innocence. Alejandra Sánchez met en scène cette quête d’une éventuelle rémission en suivant le jeune homme dans ses investigations, mais la cinéaste mexicaine ne se focalise pas sur la seule expérience de Jesús. Elle mêle cette trajectoire particulière à celles de jeunes séminaristes, notamment saisis pendant leurs austères leçons de morale et de sexualité. Le documentaire se frotte également à plusieurs responsables religieux, et descend dans la nef des églises, pendant les offices religieux. Le montage met ici en parallèle le faste et le pouvoir de l’institution avec la candeur des aspirants prêtres et la fragilité du témoignage de Jesús.

L’interview filée du personnage principal, associée aux confessions d’une mère emplie de remords et d’un père qui refoule les traumatismes de son fils, reflètent toute la complexité d’un phénomène où la culpabilité le dispute à l’amour. La caméra qui suit Jesús est tantôt celle d’un psy, tantôt celle d’un juge d’instruction, mais sert avant tout de confidente. Si la réalisatrice soumet le cinespectateur à l’image, fixe et implacable, du curé incriminé, elle est aussi celle qui permettra à Jesús de se sentir protégé quand, enfin, il pourra expurger sa douleur et son ressentiment en face de Carlos López Valdés.

L’insensible mur de silence qui se dresse alors face à lui est effrayant. Deux rapides inserts des photos du crime auront fini par nous convaincre de l’horreur de la situation. Des preuves accablantes, que la justice de retiendra pas… Le curé est aujourd’hui toujours libre, mais le film sort au Mexique le 28 octobre. Le « monstre contre lequel on ne peut lutter » perdra peut-être quelques-unes de ses défenses grâce au travail d’Alejandra Sánchez.

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L’entretien

Le Blog documentaire a pu rencontrer Alejandra Sánchez et Jesús Colin lors de leur récent passage à Paris. Ils sont revenus pour nous sur l’histoire de ce film, de leur première rencontre à l’avant-première d’Agnus Dei.

Jesús nous raconte comment il a vécu ce tournage, et ce que l’expérience cinématographique a pu lui apporter dans le processus de sa propre reconstruction.

Alejandra Sánchez revient sur ce tournage particulier au cours duquel elle a notamment dû procéder à quelques « reconstructions » pour échafauder une narration efficace. Elle détaille sa manière de travailler, oscillant constamment entre le scénario et le montage qui s’alimentent l’un l’autre tout au long du tournage. Elle raconte enfin ses inspirations, musicales et visuelles, qui lui ont permis de trouver des réponses visuelles aux questions que posaient les histoires qu’elle s’est proposée de porter au cinéma.

Cet entretien s’est déroulé le 21 septembre 2011 à Paris, dans les locaux de Dark Press. Il a été réalisé par Delphine Moreau et Cédric Mal. Le matériel de tournage nous a été gracieusement prêté par Raphaële Bénisty.

C. M.

Les précisions du Blog documentaire

1. Agnus Dei a d’abord été présenté au Festival Amérique Latine de Biarritz en 2010 puis au Festival international du film documentaire d’Amsterdam (IDFA) en 2010.

Il a ensuite été primé dans de nombreux festivals, notamment au Festival de Femmes de Créteil (Prix du Public du Meilleur Film ), au Festival International de Carthagène (Prix Spécial du Jury), au Festival Mix de Mexico DF (Prix du Meilleur Film), au Festival de Cracovie (Mention Spéciale du Jury), au Festival International de Guadalajara (Mention Spéciale du Jury ) ou encore aux Rencontres du Cinéma Latino de Toulouse (Mention Spéciale du Jury).

2. Ci-dessous, la bande annonce de Agnus Dei:

3. Voyez les 10 premières minutes de Bajo Juarez, le premier film d’Alejandra Sánchez (la bande annonce est ici) :

4. Fiche technique de Agnus Dei :

Réalisation : Alejandra Sánchez.
Image : Pablo Ramírez Durón, Erika Licea.
Son : Ana García, Sylviane Bouget.
Montage: Ana García.
Musique originale : Tareke Ortíz.
Production : Carole Solive (La Femme endormie), Celia Iturriaga (Pepa Films), 2010.
81 min, vidéo, couleurs

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