Elle était attendue : la nouvelle expérience en réalité virtuelle créée par le studio OKIO vient de sortir sur l’application ARTE 360. Réalisée par Jérôme Blanquet, « Altération » est une fiction d’anticipation de 17 minutes. Sélectionnée au prestigieux festival de Tribeca, elle vient de remporter le Prix spécial du jury du Paris Virtual Film Festival. Xavier de la Vega a enfilé son casque VR, voici son analyse…

Rêves sous contrôle

Okio a encore frappé. Tous ceux qui suivent de près ou de loin la VR en France connaissent déjà le studio créé par Antoine Cayrol et Pierre Zandrowicz. I Philip (2016), leur premier court-métrage VR, déjà réalisé en partenariat avec ARTE, proposait à l’utilisateur de vivre dans la tête d’un robot humanoïde réduit à l’état d’un phénomène de foire. Et voilà qu’ils reviennent avec une nouvelle œuvre tout aussi « dickienne » que la première. Dans Altération, vous vivez l’aventure psychique d’Alejandro, un jeune homme qui a accepté de se soumettre à une expérience scientifique sur l’étude de ses rêves. Mal lui en a pris.

Réalisé par Jérôme Blanquet , Altération vous saisit dès les premiers instants. Le visage d’Alejandro est devant vous, alors qu’une voix lui explique le déroulement de l’expérience. Très vite pourtant, vous basculez dans la psyché d’Alexandro. Vous plongez dans ses rêves, et dans les réminiscences qui les hantent : ces scènes d’amour qu’il a vécues avec Elsa et qu’il contemple à présent comme s’il en était le spectateur.

La vision objective du départ (je vois le visage d’Alexandro) s’est diffracté. Vous êtes devenu Alexandro, le sujet rêveur qui se revoit vivre en rêve (vous suivez toujours ?). Vous vous revoyez dans des scènes de votre vie quotidienne, au moment de l’annonce d’une paternité prochaine, sur une jetée au bord de la mer. Tout cela se mélange à des moments d’enfance.

Cette double perspective onirique marque en soi l’aspect inédit de la VR. Seul ce médium peut vous conférer la sensation de vivre un scène depuis deux points de vue simultanés : le rêve contemplé en vue subjective, et le rêve incarné à la troisième personne. Vous voilà englouti dans les souvenirs d’Alejandro, sans échappatoire, assailli par des sons qui surgissent partout autour de vous.

Car quelque chose cloche dans ces réminiscences. Aux paroles qu’Alejandro échange avec Elsa, s’ajoutent des voix venues de la « réalité » de l’expérience scientifique. Vous rêvez, mais vous continuez à entendre, par bribes, ce qui se passe autour de vous. Comme lorsque la scientifique qui dirige l’expérience (Amira Casar) tente de vous arracher à votre rêve, en donnant l’ordre d’interrompre ce protocole qui lui échappe à elle aussi. Le travail de spatialisation sonore réalisé par Aspic, jeune start-up de Tourcoing, joue un rôle décisif dans le dispositif d’Altération.

Contaminés par la « réalité » extérieure, vos rêves le sont aussi de l’intérieur. C’est comme s’ils buggaient. Votre vision se trouble de scories numériques, l’image se brouille, s’efface. De quel sortilège machinique êtes-vous victime ? Qui est cette présence enfantine qui s’invite à présent dans vos rêves ? Pourquoi la texture de ceux-ci s’altère-t-elle, comme passée au crible d’un programme d’intelligence artificielle (c’est avec l’aide de Google que les producteurs ont obtenu les altérations du court-métrage) ? Vous comprenez que l’on ne vous a pas tout dit, que l’expérience scientifique n’est pas ce qu’elle prétend être…

En sortant du court-métrage de Jérôme Blanquet, on songe à La Jetée de Chris Marker ou encore à Inception de Christopher Nolan. Autant de figures du rêveur qui se perd dans une machine à exploiter les rêves. Et l’on retrouve bien sûr l’univers de Philip K. Dick et ses « expérimentations » sur l’esprit humain.

Les anticipations de Philip K Dick ont d’ailleurs manifestement trouvé une expression idéale dans la VR cinématique. Soit, d’un côté, un écrivain qui met en scène des êtres, humains ou humanoïdes, victimes de l’hubris technologique de leurs créateurs. Soit, de l’autre, un médium, la VR cinématique, dans lequel l’utilisateur est partie prenante d’une scène dans laquelle il n’est cependant qu’un spectateur impuissant : la position de l’utilisateur dans l’espace est déterminée par la place de la caméra ; la seule faculté qui lui reste est donc de tourner la tête. Dans I Philip, Pierre Zandrowicz avait mis à profit cette limite pour mettre l’utilisateur à la place d’une tête de robot, machine consciente oubliée sur un chariot. Dans Altération, Jérôme Blanquet joue de cette même limite pour fonder l’expérience du rêveur qui assiste, impuissant, à la dissolution de ses souvenirs.

La VR cinématique peut-elle encore dire autre chose ? Antoine Cayrol et Pierre Zandrowicz semblent en douter, eux qui s’investissent désormais activement dans la création de « govies » – des expériences à mi-chemin entre le game et le movie. Autrement dit, des œuvres cinématiques dans lesquelles l’utilisateur pourra agir et/où se déplacer. On a hâte de vivre ça. En attendant, la puissance expressive d’une œuvre comme Altération incite à penser que la VR cinématique n’a pas dit son dernier mot.

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