Le Blog documentaire profite de cette fin d’année pour revenir sur le dernier rapport du Centre National de la Cinématographie dédié à la production audiovisuelle aidée en 2010. Publié en septembre 2011, celui-ci dresse un large panorama du secteur, de la fiction à l’animation en passant par le documentaire. Zoom ici sur le genre qui nous intéresse, en croisant notamment ce rapport avec l’étude sur les exportations de programmes audiovisuels en 2010.

Aussi, sachez que le nouveau site data.gouv.fr nous permet d’accéder pour la première fois au détail des quelques 1.853 films aidés en 2010. L’exercice est un peu fastidieux, mais c’est une manière de rentrer dans le détail des chiffres et de porter un regard critique sur ce rapport du CNC.

Les chiffres que nous développons ici permettent enfin de revenir sur deux initiatives fortes qui ont marqué cette année 2011 : le rapport sur « l’état du documentaire 2000-2010 » établi par le ROD et le manifeste du SPI pour une création originale et pérenne du documentaire.

Tout augmente, quantitativement…

D’une manière générale, le volume d’heures de documentaires aidées en 2010 a connu une progression de 10 % par rapport à l’année précédente (confirmation de la tendance amorcée en 2008). Mieux encore, « 2010 atteint le niveau de financement le plus élevé des dix dernières années ». Mais est-ce réellement une bonne nouvelle ?

Premier indice : si le financement de la production s’améliore globalement (cf. graphique ci-dessous), c’est essentiellement grâce aux « docu-fictions » et aux films coûteux destinés aux premières parties de soirée des grilles de programmes des chaînes de télévision. Dans le détail, le œuvres plus confidentielles ne disposent pas de davantage de moyens.

Rappelons aussi, et c’est une évidence, que les chiffres du CNC ne rendent pas compte de tous les films réalisés sans l’aide de l’institution publique. Ils sont nombreux, présents en festivals, et l’absence du « label CNC » ne préjuge bien évidemment en rien de leur qualité…

Si l’on entre un peu dans le détail du financement des films aidés par le CNC, on constate globalement une hausse des apports des différentes parties. L’effort des diffuseurs augmente de 19 % pour s’établir à 49,1 % des devis totaux et, couplés aux subventions du CNC, ils couvrent en moyenne 65 % des coûts d’un documentaire.

La part des producteurs français suit sensiblement la même évolution, et celle des financements étrangers progresse également de 10 % – préventes et coproductions confondus. Il s’agit d’une évolution notable : ces financements étrangers, au plus bas en 2007 (16 millions d’euros), atteignent 22,6 millions d’euros en 2010, en augmentation de 2 millions d’euros par rapport à 2009 et de 900.000 euros par rapport à 2008.

Du côté des chaînes gratuites

Venons-en au détail des apports selon les diffuseurs à l’origine des projets de films produits. Si les chaînes nationales publiques maintiennent leur niveau d’investissement à un peu plus de 1.100 heures de programmes – soit légèrement moins de la moitié (46,1 %) des heures de documentaires aidés, ce sont les chaînes de la TNT et M6 qui affichent une hausse spectaculaire de leurs commandes, de respectivement + 94,3 % et + 98,8 %. Les téléspectateurs assidus de ces chaînes savent à quoi s’en tenir : il y prolifère les « sujets » dits « de société »…

A France Télévisions, on note que le volume d’heures produites baisse à France 3 mais augmente à France 2 et à France 5. Ce mouvement s’accompagne d’une croissance généralisée des investissements (+ 5,7 % sur France 3, + 76,4 % sur France 2 et + 15,6 % sur France 5). Les documentaires de prestige diffusés en prime time n’y sont pas totalement étrangers.

Du côté d’Arte, le nombre d’heures produites (284 dont 277 en tant que premier diffuseur) et le niveau des investissements (29,7 millions d’euros) sont en baisse. A considérer au regard du rapport d’activité 2010/2011 fourni par la chaine.

Les niveaux de financement des films sont également en baisse chez les chaînes nationales privées gratuites. Si M6 double sa production (de 82 à 163 heures) et ses investissements, TF1 s’inscrit en léger recul (40 heures produites pour un investissement de 9 millions d’euros). Du côté des chaînes de la TNT (Direct 8, NRJ 12 et TMC en tête), les taux de financement sont en diminution de 1,5 points par rapport à l’année précédente. Cela étant, 7,9 % des aides versées par le CNC bénéficient aux producteurs travaillant avec la TNT en 2010, contre 4,2 % en 2009. Un marché se développe, donc…

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Chez les opérateurs privés

Les commandes des chaînes payantes sont quant à elles orientées à la hausse (+ 10,1 % en 2010), même si l’effort de Canal + s’inscrit à la baisse. On compte par ailleurs pas moins de 49 chaînes thématiques qui ont produit au moins un programme documentaire en 2010, Planète et Voyage en tête.

Il existe également 48 chaines locales qui produisent au moins un film par an, pour un volume en hausse et un taux de participation en tant que premiers diffuseurs en baisse. TV Rennes, Vosges TV et Cap Lyon se distinguent nettement, avec respectivement 54 et 42 heures produites.

Une seule chaîne uniquement présente sur Internet commande des documentaires : Arte Live Web, qui finance 9 heures dont 3 en tant que premier diffuseur pour une enveloppe totale de 600.000 euros.

La prime aux documentaires de société

Ces volumes de production sont bien évidemment à considérer au regard du type de programmes diffusés. Et là, pas de surprise : ce sont les documentaires de société qui restent largement privilégiés (46,8 % du total, en hausse de 1,4 points sur un an). Phénomène évocateur : c’est M6 qui se démarque sur ce genre (154 heures produites, + 105,3 % en un an), devant France 5 (122 heures) et Arte (102 heures).

Viennent ensuite les films de voyage, les documentaires historiques et les programmes dédiés à l’ethnologie, à la sociologie ainsi qu’aux spectacles vivants.

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Ce constat est à également en lire en fonction des résultats des films documentaires français à l’exportation. Les ventes augmentent globalement de 13,7 %, pour atteindre 26,4 millions d’euros en 2010. Mais ce sont les sujets « voyage », « découverte » et « life style » qui se démarquent assez nettement.

Le CNC note par ailleurs que la production de documentaires animaliers demeure insuffisante en France pour répondre à la demande sur les marchés internationaux. En tête des programmes les plus vendus : le films de vulgarisation scientifique et les documentaires historiques « haut de gamme ». Également appréciés les reportages d’actualité et les thèmes géopolitiques. Ceci pouvant expliquer cela…

Si l’on considère la répartition des ventes de productions françaises dans le monde, on constate que l’Europe de l’Ouest reste prépondérante, mais les résultats sont en baisse de 11,5 points – la crise est passée par là.

L’Amérique du Nord se montre plus gourmande, avec une hausse de 72,9 % des ventes en un an. Les plus gros acheteurs, Discovery ou National Geographic, privilégient les sujets « forts » ou spectaculaires appuyés par des intervenants anglophones.

L’Asie se distingue, avec une augmentation des achats de programmes français de 60,8 %. Prime ici aux documentaires ayant trait à l’art de vivre « à la française ».

Autre tendance intéressante : le Qatar et l’Iran se révèlent demandeurs de reportages d’investigation sur l’actualité politique. Enfin, le marché sud-américain demeure marginal avec seulement 700.000 euros de recettes en 2010.

Pour finir avec les exportations, on notera que les sacro-saints 52 minutes n’ont plus forcément la cote. Les 26 minutes connaissent un attrait croissant, et les producteurs français reformatent parfois leurs offres en 2×26‘ pour répondre à cette demande.

Et ce n’est pas un hasard : le CNC aide avant tout des programmes unitaires (à 90, 2 %), et le format(age) du 52 minutes reste dominant (52, 7 % de l’ensemble). Notons toutefois que le format 46-59 minutes compte le plus grand nombre de programmes unitaires, et que les films dépassant les 80 minutes connaissent une croissance de 71,4 %, essentiellement du fait des chaînes de la TNT. Par ailleurs, les documentaires de plus de 92 minutes sont ceux qui présentent le coût horaire le plus important.

A cet égard d’ailleurs, plus de la moitié des documentaires produits (58,5 %) présentent un coût horaire inférieur à 150.000 euros, et moins d’un quart affiche un coût horaire supérieur à 200.000 euros.

Enfin, la part des dépenses réalisées en France recule très légèrement (92 % en 2010 contre 92,3 % en 2011). Les coûts de personnel sont nettement dominants (27,5 % du total), devant les moyens techniques (19,6 %) et les charges sociales (15,2 %).

Propositions pour un nouveau paysage

Ces données statistiques sont à apprécier en fonction de deux études, publiées en 2011, qui offrent rétrospectivement une lecture critique de ces chiffres.

Les Syndicat des Producteurs Indépendants, d’abord, a lancé un appel « pour une création originale et pérenne du documentaire« . Il soulignait dans ce texte que la hausse quantitative de la production documentaire était pour moitié financée par les chaînes thématiques ou locales. Si celles-ci offrent un espace de diffusion aux « documentaires à fort regard d’auteur », les productions qu’elles soutiennent sont souvent cantonnées dans une forme de sous-financement chronique.

Le SPI constatait également « la prédominance du documentaire de société » et s’inquiétait alors d’un phénomène « de mimétisme et d’uniformisation des écritures ». Face à l’amenuisement de l’espace nécessaire à l’essor d’écritures libres et nouvelles, le producteurs indépendants faisaient 4 propositions : l’instauration d’un « espace de prestique » à la télévision dédié aux documentaires de création, la création d »un système d’aide après réalisation pour le films fragiles mais distingués en festivals, des durées de droits proportionnels aux investissements et un assouplissement du seuil d’accès au crédit d’impôt.

De son côté, le Réseau des Organisations du Documentaire a dressé un état des lieux de la place de la création dans la production documentaire entre 2000 et 2010.

Ce rapport, fouillé, critiquait la porosité qui tendait à confondre les documentaires et les reportages journalistiques, et cela jusque dans les systèmes d’aides financières.

Se réjouissant de l’essor du genre documentaire et de l’émergence de nouveaux acteurs, le ROD n’en pointait pas moins un manque de diversité dans les films diffusés et un sous-financement de près de la moitié de la production en dépit d’un coût horaire moyen à peine respectable (160.00 euros).

Cette situation débouche inévitablement sur la fragilisation des petites structures de production, une baisse relative des salaires et une diminution des moyens accordés à chaque film (en temps, notamment). Face à des diffuseurs tout puissants, le rapport de force s’est profondément déséquilibré. « L’initiative a changé de camp » et la logique de case des chaînes de télévision appauvrit la richesse potentielle du documentaire. Dès lors, les agences de presse s’imposent face aux producteurs indépendants et l’écriture journalistique contamine tous les programmes. Or, « les effets d’écriture ont aussi des effets de sens ».

« Pour refondre le cercle vertueux d’une télévision novatrice et respectueuse de ses créateurs comme de ses spectateurs », le ROD avance plusieurs propositions. Il serait ainsi nécessaire que les chaines de télévision privilégient une logique patrimoniale sur la logique de marque. A ceci conviendrait-il d’adjoindre le renforcement du rôle incitateur et régulateur de l’Etat et l’élaboration de nouvelles stratégie pour améliorer l’exposition des œuvres aidées par le CNC.

Nécessaire CNC

Les instruments du Centre National de la Cinématographie demeurent indispensables à la création audiovisuelle française – et c’est d’ailleurs l’une de ses forces. Les efforts de l’institution, récemment dans le champ des écritures numériques, méritent d’être soulignés, et vantés. Reste que certains ajustement semblent souhaitables, et bénéfiques pour l’ensemble de la filière.

Nous ne sommes pas de ceux qui, comme les experts de l’Inspection des finances, considèrent que « le CNC a trop d’argent« . Dans un article hallucinant de La Tribune, il était récemment souligné que le CNC était assis sur des « ressources supplémentaires » de 517 millions d’euros. On suggérait alors que cette somme était allouée à des projets (numérisation des salles et des films) qui « ne se justifient guère d’un point de vue commercial ».

Oui, oui, vous avez bien lu ! Le rapport en question stigmatise notamment « la multiplication récente des aides transversales sans réelle priorisation ». Il dénonce par ailleurs l’absence de risques des producteurs au motif que les projets de films seraient financés quasiment « en intégralité » grâce au CNC.

Si les inspecteurs critiquent à juste titre « la saturation des écrans », ils semblent regretter le faible nombre de faillites dans le secteur !

L’article de La Tribune conclut en expliquant que ces « experts » préconisent que le CNC revienne au budget de 2008. Nous ne le souhaitons pas.

C. M.

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