Le Blog documentaire et l’Institut Lumière sont heureux de s’associer pour vous inviter à une soirée exceptionnelle le jeudi 26 janvier 2012 à Lyon !

Dès 20 heures, vous aurez le plaisir de voir Chronique d’un été, le film fondateur de Jean Rouch et Edgar Morin présenté en copie restaurée.
La projection sera suivie de Un été + 50, film de Florence Dauman diffusé en la présence de la réalisatrice.

Pour avoir la chance d’obtenir une invitation à cette soirée (valable pour deux personnes), rien de plus simple ! Nul besoin d’être expert pour répondre à une question compliquée : il vous suffit d’envoyer vos coordonnées par mail à l’adresse suivante avant mercredi 25 janvier 2012, 23h59 : leblogdocumentaire@gmail.com. Il sera ensuite procédé au tirage au sort. Bien sûr, vos coordonnées ne seront pas utilisées à d’autres fins que cette loterie.

Bonne chance !

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« Comment vis-tu ? », « Comment est-ce que tu te débrouilles avec la vie? », « Le matin en vous levant, quand vous sortez dans la rue, que faites-vous ? », « Etes-vous heureux ? ». Les questions lancées par Jean Rouch et Edgar Morin aux Parisiens durant l’été 1960 n’ont rien perdu de leur mordant. Les aspirations humaines et artistiques dont Chronique d’un été est le manifeste frappent encore par leur actualité. Ce film est né de la rencontre entre des personnalités singulières, de part et d’autre de la caméra, avant mais aussi pendant le tournage : rencontre entre un anthropologue-filmeur du « lointain » et un sociologue du présent, rencontre entre des cinéastes et des techniciens, rencontre entre l’équipe du film et les « acteurs », rencontre entre les différents personnages, enfin rencontre imaginaire du spectateur avec ces hommes et ces femmes, dans la salle de cinéma.

La sortie en copie restaurée du film fondateur du cinéma-vérité version années 1960, nous offre la possibilité de (re)faire l’expérience de Chronique d’un été dans le noir de la salle de cinéma. Au fil du film, nous faisons connaissance avec Jacques et Angelo ouvriers chez Renaud qui s’interrogent sur le sens de leur travail, Marie-Lou d’abord en crise puis à nouveau heureuse, Jean-Pierre et Régis étudiants opposés à la guerre d’Algérie, Landry et Nadine, étudiants arrivés d’Afrique, Marceline qui nous livre l’histoire de sa déportation durant la Seconde Guerre Mondiale. Nous suivons leurs pas, ils nous invitent dans leur chambre ou bien s’attablent tous ensemble avec la caméra. Au-delà, de ces portraits personnels, c’est donc aussi l’histoire des relations qui se tissent au cours du tournage qui nous est racontée. Cette rencontre avec la société française d’il y a cinquante ans est accompagnée sur les écrans par la sortie du film Un Été + 50 de Florence Dauman. « Making-of du making-of » que constituait déjà le film de 1960, ce documentaire nous invite à porter un regard rétrospectif sur une œuvre devenue aujourd’hui un classique.

(Re)voir Chronique d’un été

Sur l’écran, dans un noir et blanc aux contrastes denses, défilent les visages parlants et les corps mouvants de la petite équipe rassemblée par Rouch et Morin. A la fois auteurs et personnages de leur propre film, ces derniers convoquent à leurs côtés amis, étudiants, ouvriers et gens de cinéma qu’ils entraînent dans une expérience inédite : tenter, par le cinéma, de s’interroger ensemble sur « comment vis-tu ? ». A partir de cette impulsion première, éclosent des paroles singulières, se tissent des dialogues, s’engagent des débats. Nous voilà embarqués dans un film qui paraît à l’écran en même temps qu’il se cherche. Rencontres au hasard des rues, entretiens programmés, tête-à-têtes intimistes ou dîners collectifs, autant de tentatives d’entrer en relation avec ce qui anime chacun durant cet été 1960. C’est la liberté nouvelle du cinéma direct naissant, celle de se mouvoir, de plonger dans la vie sociale tel un « cinéaste-scaphandrier » mais aussi de placer la parole partagée au cœur de l’écriture filmique qui innerve en profondeur Chronique d’un été.

Image de « Chronique d’un été » – Jean Rouch, Edgar Morin (1961)

Cinquante ans plus tard, le projet de 1960 ne fait pas l’effet d’un symptôme de révolution passée, il produit à nouveau l’étonnement, le débat, les interrogations au sortir de la salle. Film à entrées multiples, il est traversé par des thèmes intemporels et aussi vastes que le bonheur, le travail ou la guerre. Mais Chronique est aussi un condensé de possibilités cinématographiques qui n’ont cesser de se déployer depuis. Objet hétérogène, le film échappe à ses auteurs, ouvrant la voie à des formes audiovisuelles diverses, voire divergentes : du cinéma-vérité à la télé-réalité.

Ce qui fait la complexité et la richesse de Chronique, c’est l’imbrication de la vie et du cinéma à tous les niveaux du film. Pas de fausse transparence : ce qui captive les auteurs c’est l’action du cinéma sur le réel, la manière dont les personnes devenues personnages livrent quelque chose de leurs préoccupations profondes, sous le regard de la caméra. Le film s’expose comme un work in progress soumis aux aléas techniques et humains d’un tournage vécu comme une rencontre. « Ce film est hybride et c’est cette hybridité qui fait tantôt son infirmité, tantôt sa vertu interrogative » écrivait Edgar Morin dans son texte « post-chronique » en 1961. C’est cette hybridité, qui, aujourd’hui encore, frappe le spectateur tour à tour emporté et dérouté par ce qui s’invente à l’écran.

Le « making-of du making-of » : Un Été + 50

Entrons dans la salle d’à côté. Florence Dauman nous invite à revoir Chronique d’un été avec la distance que le temps offre au regard. Au fil d’une série de rushes absents du montage final et d’entretiens avec les « personnages » de Chronique, Un Été + 50 nous livre un double regard sur le passé : celui des acteurs et celui des images elles-mêmes. Nous retrouvons cinquante ans plus tard Edgar Morin mais aussi Marceline Lauridan, Nadine Ballot, Jean-Pierre Sergent ou Régis Debray en regard de leur expérience passée. Jean Rouch est le grand absent d’Un Été + 50, alors même que sa présence de maître de cérémonie anime chaque plan tourné en 1960. Mais dans ce film, il n’est pas question de filmer les gens en caméra baladeuse, de faire surgir l’émotion intime ou de superposer la vie et le cinéma. On peut regretter qu’un film rendant hommage au geste novateur de Chronique d’un été soit si peu aventureux du point de vue cinématographique. La mise-en-scène d’Un Éte + 50 est étonnamment classique, chaque « témoin » y apparaît face caméra avec détachement et auto-dérision, à distance de sa vie quotidienne. Cadrés le plus souvent de front, dans un décor qui sert d’arrière-plan (bureau, salon ou bien salle de montage), les interlocuteurs se succèdent pour évoquer leurs souvenirs de tournage ou bien pour livrer leur réflexion sur le film historique. L’auteure, elle, ne passe pas devant la caméra et même sa voix demeure absente. Mais si Un Éte + 50 est a priori peu réflexif, il offre un miroir au second degré à l’entreprise de Chronique d’un été. La discrétion du film de 2011 sert à sa manière le film de Rouch et Morin. Un Été + 50 s’assume comme un document collectif, né du désir de nous inciter à revoir, aujourd’hui, Chronique d’un été.

Le film de Florence Dauman fait apparaître à la fois ce qu’est et ce qu’aurait pu être Chronique d’un été. Au fil de la projection se dessine en creux un film plus politique. Témoins et rushes interrogent ensemble l’engagement de Chronique d’un été dans son moment historique marqué par la guerre d’Algérie. Le débat entre les étudiants provoqué par les deux auteurs sur la question de déserter l’armée et de s’engager contre la guerre nous apparaît dans sa version longue, alors qu’il avait été sérieusement amputé et pacifié au montage. En 2011, on commente les coupes, ce qu’elles nous disent du contexte de censure et d’autocensure qui régnait en 1960. A cette contextualisation politique renouvelée s’ajoute un autre outil de lecture : le jeu sur les rushes commentés permet de faire ressortir les choix cinématographiques dont Chronique est le fruit, tant au niveau du tournage que du montage.

Image de « Un été + 50 » – Florence Dauman (2011)

Pour Chronique d’un été, Rouch et Morin avaient déjà travaillé à la mise-en-scène de leur mise-en-scène. Le film de Florence Dauman nous propose de nous aventurer plus loin dans les coulisses. Ce qui transparaissait du tournage dans Chronique d’un été, c’était le processus de mise-en-situation filmée plutôt que celui de mise-en-scène cinématographique. Le film de 1960 est bien un film en train de se faire mais les gestes techniques y sont le plus souvent invisibles : pas de clap, pas de fin de bobine, de coupe mal placée, pas de problème de prise de son ou d’éclairage, et surtout pas de direction de jeu. Hormis les quelques apparitions du micro baladé à la rencontre des passants, le reste du dispositif technique est évincé au montage, le film conservant quelque chose d’une fluidité classique. Ce que vient révéler Un Été + 50, c’est le degré d’engagement conscient des personnes filmées dans le jeu du tournage aux côtés des auteurs : Jean-Pierre faisant le clap, la caméra changeant d’angle à chaque nouvelle prise d’une discussion intime entre les deux amants, Régis regrettant que la bobine se termine, Nadine, Landry et Nicole sur la plage reprenant leur conversation chaque fois que la caméra se déclenche, Angelo sifflant dans la rue sur ordre de Jean Rouch…

Un Été + 50 fait apparaître un remontage imaginaire de Chronique d’un été, un film en filigrane, encore plus complexe que ne l’est déjà Chronique d’un été. Par là, le film-document de Florence Dauman souligne à quel point Chronique d’un été est né de la conscience partagée de ce que le cinéma fait au réel, autrement dit d’un désir d’approcher une vérité par un jeu collectif où chacun réinvente son propre rôle.

Camille Bui

Les précisions du Blog documentaire

1. Camille Bui est Doctorante contractuelle et monitrice à l’Université Paris VII-Denis Diderot. Elle prépare une thèse, sous la direction de Jacqueline Nacache, sur « Un héritage de Chronique d’un été (1961) de Jean Rouch et Edgar Morin : généalogie d’un cinéma direct contemporain en milieu urbain ».
Camille Bui est également membre du GRHED, le Groupe de recherches en histoire et esthétique du cinéma documentaire (Paris 1 – CERHEC).
Elle dispose par ailleurs d’un site personnel.

2. Jean Rouch fut ethnologue et cinéaste. Pionnier de l’« anthropologie visuelle », il réalise son premier film dès 1948 au Niger (Initiation à la danse des possédés). On lui doit notamment quelques œuvres fondatrices de ce que l’on a appelé « cinéma vérité ». On retiendra par exemple Les Maîtres fous (1954), Moi, un noir (1954), La Pyramide humaine (1959), Cocorico Monsieur Poulet (1974) et bien sûr Chronique d’un été (1961). Jean Rouch, né en 1917, est décédé dans un accident de voiture le 18 février 2004. Il repose au Niger.

3. Edgar Morin est sociologue, philosophe, directeur de recherche émérite au CNRS. Il est l’auteur d’une multitude d’ouvrages, portant sur la mort, la philosophie des sciences, l’histoire, le cinéma… etc. On retiendra notamment La Voie : Pour l’avenir de l’humanité (2011), Où va le monde ? (2007), Itinérance (2006), Les Sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur (2002) ou encore Science avec conscience (1982). Son ouvrage majeur reste toutefois La Méthode (6 tomes).

4. Florence Dauman est réalisatrice et productrice, directrice de la société Argos Films, créée en 1946 par son père, Anatole Dauman, et Philippe Lifchitz. Argos Films a notamment produit Chronique d’un été (1961), Nuit et Brouillard (1954), L’empire de la passion (1978) ou encore La Jetée (1982).

5. Ci-dessous un extrait de Chronique d’un été (L’intégralité du film se cache quelque part sur Youtube, et est disponible en DVD) :

6. Voyez aussi le cours d’Elisabeth Lequeret sur Chronique d’un été donné au Forum des Images en 2007 :

10 Comments

  1. Mesdames, Messieurs,

    L’Institut Lumière vous présente sa soirée spéciale Chronique d’un été qui aura lieu le jeudi 26 janvier.
    Cette programmation autour du célèbre film documentaire de Jean Rouch est assez rare, c’est pourquoi nous souhaitons vous en informer!
    Pour cette soirée nous recevons Florence Dauman qui présentera son documentaire rétrospectif Un été + 50.

    Veuillez trouver le détail de la programmation sur notre site internet: http://www.institut-lumiere.org/.

    Au plaisir de vous recevoir à l’Institut Lumière,

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