Le Blog documentaire plonge dans le grand bain du crowdfunding pour y dénicher quelques projets à suivre. Les plateformes de « financement par la foule » constituent de plus en plus une rampe de lancement pour des projets de jeunes auteurs qui démarrent ainsi la longue quête d’un financement complémentaire, ou de diffuseurs. Sur KissKissBankBank, très actif sur le webdocumentaire, fourmillent quelques projets prometteurs, que nous vous présentons ici.

Ils sont tout nouveaux, tout beaux, ils ont démarré leurs collectes il y a peu : les deux projets qui suivent ont retenu notre attention. Pourquoi ? Principalement pour l’originalité du sujet ou de la mise en espace web qui est prévue. Mais le pari est de mise ; la recherche de financements signifie souvent que le développement web n’est pas encore achevé, faute… de budget, précisément. Alors, la démarche, l’originalité du projet nous ont guidés pour sélectionner ces deux initiatives dont on aimerait voir l’aboutissement.

Les sujets semblent très éloignés : le mouvement des Indignés à Madrid d’un côté ; le décryptage de nos comportements alimentaires à travers nos frigos d’un autre. Cependant, ces deux webdocumentaires sont nés d’un point de départ commun : la crise de 2008 et ses répercussions économiques et sociales.

Madrid, cité indignée de Fabien Benoit (journaliste et documentariste) et Julien Malassigné (cadreur et documentariste) ; Frigos à nu de Antoine Veteau (journaliste), Gaël David (photographe), Elodie et Delphine Chevalme (graphistes) : deux manières de traiter les répercussions sociales d’un événement de cette ampleur, mais un seul support pour le traiter : le webdocumentaire.

Pourquoi avoir choisi ce format et non le format documentaire classique ?

Pour les auteurs de Madrid, citée indignée, le format du webdocumentaire s’est imposé naturellement : « L’idée de porter un projet de webdocumentaire s’est imposée à nous. Le mouvement des Indignés a mûri grâce à Internet. Les réseaux sociaux ont permis de fédérer et d’organiser ses actions. Le mouvement dit du « 15M » est collaboratif et horizontal. Nous souhaitions permettre aux citoyens de contribuer à notre travail. Tout ceci trouve un écho assez naturel dans le choix du webdocumentaire et dans l’idée de ménager un espace participatif à destination des internautes ».

Dans ce cas, c’est le sujet qui impose une forme : la démocratie participative née sur les réseaux sociaux espagnols sera donc analysée sous l’angle du web et de l’interactivité. Une toute autre démarche s’est imposée aux auteurs de Frigos à nu. Au point de départ de leur réflexion, des photographies de frigos ouverts dévoilant l’intimité de son propriétaire. Partant du principe que le frigo est un objet intime qui dévoile des comportements alimentaires voire sociaux, les auteurs  voient dans le webdocumentaire un moyen d’allier l’interactivité à l’aspect ludique. « On observe chaque détail, on regarde les marques, comment sont rangés les produits, etc. Le webdocumentaire permet d’exploiter cet aspect ludique via l’interaction. C’est cette alchimie particulière entre le ludique et l’intime que nous voulions exploiter autour des frigos et du pouvoir d’achat et il n’y a que le webdocumentaire qui permette cela ».

Si le choix du webdocumentaire s’est naturellement imposé à eux, ils avouent ne pas avoir conçu le projet en amont avec un webdesigner puisqu’ils comptent justement le faire grâce aux fonds récoltés sur la plateforme KissKissBankBank.

Dans les deux cas cependant, Ie logiciel Klynt est évoqué pour sa simplicité d’utilisation et de navigation. Les auteurs de Frigos à nu explorent aussi la piste du logiciel Djehouti. « Ce qui est sûr, c’est que nous voulons rester libres et ne pas nous enfermer dans un schéma de navigation trop contraignant ». S’ils arrivent à récolter les fonds souhaités, ils entendent développer Frigos à nu sur tablette. « On ne regarde pas un webdocumentaire de la même manière sur une tablette. Cette dernière accentue encore l’aspect ludique de la navigation. Et pour nos frigos, cet aspect est essentiel ».

Même si le phénomène du webdocumentaire est assez récent, certains auteurs ont imposé leur style et influencent aujourd’hui nombre de réalisateurs. C’est le cas de Brèves de trottoir de Thomas Salva et Olivier Lambert. Fabien Benoit explique ainsi : « Nous souhaitons inscrire notre documentaire dans l’espace d’une ville, en l’occurrence Madrid, donner à voir sa géographie, permettre aux internautes de la parcourir. Dans cette optique, Brèves de trottoir, qui s’appuyait sur une carte de Paris pour permettre aux internautes d’accéder à toute une série de portraits, fut sans nul doute d’une grande influence ». Pour Antoine Veteau, l’architecture est simple et efficace. Ils citent aussi Thanatorama, Voyage au bout du charbon, Welcome to Pine Point, Les yeux dans la banlieueÀ l’image du modèle économique du webdocumentaire, ces deux projets sont en construction, en cours de réalisation. La collecte qu’ils réalisent sur KisskissBankBank est donc fondamentale. Pour les auteurs de Madrid, cité indignée, la collecte « nous permettra d’une part d’entamer réellement le tournage de notre film et d’autre part de rechercher des concepteurs web pour débuter l’élaboration de notre plateforme ». Du côté de Frigos à nu, « les 5.000 euros collectés serviront à payer les graphistes, les pellicules photos de Gaël qui travaille en argentique et de dégager une somme qui doit nous permettre de travailler avec un ingénieur du son et un développeur web ».

Si cette collecte est bien déterminante pour la vie de ces deux projets, elle s’apparente aussi à un tremplin vers d’autres financements complémentaires, et tout aussi indispensables. CNC, collectivités, institutions publiques… Obtenir le soutien d’un producteur et d’un diffuseur est souvent conditionné par ces différents financements. « L’économie du webdocumentaire étant ce qu’elle est, nous ne comptons guère sur l’apport d’un diffuseur, si ce n’est dans des proportions très marginales », explique Fabien Benoit. Quant à Antoine Veteau, il avoue avoir essuyé quelques échecs avant de se tourner vers le crowdfunding : « Nous avons contacté plusieurs maisons de production qui semblaient intéressées mais qui nous ont fait comprendre qu’il fallait que nous fassions nos preuves. Idem côté diffuseur. Le mot d’ordre est : « revenez quand vous serez financé et quand le projet sera bouclé et nous vous ferons la grâce de la diffusion. C’est un peu le monde à l’envers mais c’est comme ça. Et comme beaucoup dans le monde du webdocumentaire, nous avons décidé de faire nos preuves via le crowdfunding et revenir vers eux forts d’un financement et d’une audience ».

Le crowdfunding est alors un passage obligé pour les auteurs de webdocumentaires. Il permet non seulement de récolter les fonds nécessaire à la réalisation du projet mais aussi et surtout de faire connaître le projet et de développer un communauté. Les producteurs et les diffuseurs se sentent alors rassurés par ce premier pas engagé.

Quant à la vie de ces deux webdocumentaires une fois diffusés, leurs auteurs envisagent un enrichissement nourri par les internautes. « La vie de notre projet ne s’arrêtera pas au moment de sa mise en ligne. Au contraire, nous envisageons Madrid, cité indignée comme un documentaire participatif, citoyen, à l’image du mouvement des Indignés ».

« Nous souhaitons faire de Frigos à nu un vrai projet participatif : il sera possible, pour ceux qui le souhaitent, de publier eux-mêmes leurs photos de frigo. Elles seront répertoriées sur une carte et nous sélectionnerons les plus pertinents pour approfondir les portraits. Et les auteurs de conclure : « Qui sait, si tout se passe bien, on irait bien explorer les frigos du monde entier ! »

Un rapide focus pour terminer sur un projet qui a, lui, réussi la première étape de son parcours du combattant : Une jeunesse bosnienne. Le projet mené par Laura Tangre, photographe lyonnaise, a levé plus de 4.900 euros sur la plateforme. « Je suis partie en vacances là-bas il y a deux ans, j’ai découvert et aimé ce pays ; je me suis dit que, malgré sa proximité géographique, la Bosnie était mal connue. » Du coup, Laura décide de s’intéresser à une partie spécifique de la population, la jeunesse. Elle tourne ses portraits dans le courant de l’année 2011 grâce à une aide de la région lyonnaise et de la ville. Inediz, formé de Claire Jeantet et Fabrice Caterini, prend ensuite le projet sous son aile pour assurer la collecte de fonds pour le montage et la post-production. Le programme propose huit courts-métrages documentaires : deux portraits, trois thèmes, deux unités de lieu. Les « bonus » du webdoc allieront cartographies, articles et définitions (ce qui permettra notamment de briller en soirée en connaissant précisément la différence entre bosnien et bosniaque). Narration classique donc, pour une photographe qui se dit davantage inspirée par les œuvres de Samuel Bollendorff que celles orientées gameplay. La mise en ligne n’est pas encore définie, puisque la jeune équipe attend une confirmation pour un financement complémentaire qui permettrait de lancer un développement web ad hoc. Dans le cas contraire, le logiciel Klynt pourrait permettre à Une jeunesse bosnienne de voir le jour, presque 20 ans après le siège de Sarajevo.

 Sibel Ceylan
Nicolas Bole

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