[Mise à jour le 7 novembre 2015]
Le jury composé de Geoffrey Lachassagne, Emmanuel Parraud et Jürgen Ellinghaus, a décerné le prix des Ecrans documentaires 2016 à « Pas comme des loups », de Vincent Pouplard (nous y reviendrons dans les prochaine semaines). Le réalisateur qui remporte également le prix Moulin d’Andé pour son projet en cours d’écriture, « Vivace(s) ».

[Le 31 octobre 2016]
Après les « Odes maritimes » l’an dernier, le festival d’Arcueil Les Écrans documentaires – dont nous sommes partenaires – se penche un peu plus encore vers la musique pour cette édition, « l’un des moteurs indispensables pour viser des régions sensibles que les mots ne peuvent pas toujours atteindre ». Rendez-vous à Arcueil du 2 au 9 novembre, avec une programmation très riche, notamment : La Sociale (Gilles Perret), Gimme Danger (Jim Jarmusch), Le concours (Claire Simon), Swagger (Olivier Babinet), Dans les limbes (Antoine Viviani), Pas comme des loups (Vincent Pouplard) ou encore I tempi felici verranno presto (Alessandro Comodin).

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Pour finir encore *

Comme l’écrivait, non sans humour, le cinéaste Jean-Luc Godard en première page de son livre Film Socialisme : « L’argent est un bien public ». Au moment où notre subvention régionale se voit très largement amputée, mettant l’association grandement en péril après vingt ans d’existence (lire à ce titre l’éditorial explicite du président de Son et Image), cette question de la culture subventionnée – complexe par les engagements, les attentes et les retours suscités de part et d’autres – revient comme un boomerang. Si les festivals n’ont pas vocation à être bien sûr forcément « déficitaires » (quid des interactions sociales alors ?), on ne voit pas pourquoi ils ne seraient que de simples produits d’appel pour une économie tétanisée par la courbe du chômage. [Appel à soutiens ici]

Quoi qu’il en soit, « l’exercice a été profitable, Monsieur »**. Et entre baroud et barouf d’honneur nous préfèrerons toujours le second terme au premier.
Ce qui dans le programme de cette année est plutôt de circonstance puisque nous consacrons trois séances à des portraits de musiciens indomptés, comètes plus ou moins soniques, dotés d’une grande liberté créatrice à mille lieux du formatage mondialisé de l’industrie musicale. Si certains d’entre eux semblent en effet taillés pour la lutte, les Stooges ou le nigérian Fela Kuti par exemple, d’autres, comme le « drummer » et funambule Jacques Thollot sont de purs aliens retirés du monde.

Certains films de la compétition accordent une place significative à cette question de la musicalité. Préparation physique et répétitions d’un violoncelliste, irruptions poétiques presque slamées, vacarme de la mine, art de la joute verbale ou titre des Bérurier noir : la « musique », dans tous ses déploiements (voix, sons, bruits divers, chansons, etc.), est l’un des moteurs indispensables pour viser des régions sensibles que les mots ne peuvent pas toujours atteindre.

De fait, les films de la compétition sont le cœur battant du festival. Fabriqués dans une économie de moyens des plus précaire, achevés souvent après de longues années passées sur le terrain, leurs gestes fragiles représentent malgré tout une promesse et une force. Celle de s’écarter, un tant soit peu, des horizons sinistres dans lesquels l’enveloppe communicationnelle tente de nous maintenir. Comme le souligne l’essayiste Annie Lebrun***, « L’aurions-nous oublié, les objets imaginaires sont aussi nécessaires à notre survie ».

La programmation « My country is cinema » revient sur cette question, centrale, des imaginaires, à travers notamment les portraits de Joào Bénard da Costa qui dirigea la Cinémathèque de Lisbonne et du directeur de la photographie Bruno Nuytten. Si les films divergent sur le plan des formes, ils mettent à jour chez les deux hommes, au-delà des personnalités respectives (flamboyante pour l’un ; plus rentrée pour l’autre), des territoires sensibles habités par une identique soif d’expérimentations, une même aimantation pour les rêves et les paris les plus fous. Intensité et dimension affectives dont semble totalement dépourvue la télévision. Ainsi que le montre De l’air, montage d’archives d’Henry Colomer qui pointe très bien la puissance de répétition d’un media incompatible avec un besoin de rêverie nécessaire, lui, à notre survie collective.

Éric Vidal

* : Emprunté à une œuvre de Samuel Beckett, Minuit, 1976
** : Le petit John Mohune dans Les contrebandiers de Moonfleet, de Fritz Lang, 1955
*** : Du trop de réalité, Stock, 2000

My country is cinema

Ce quatrième volet d’un cycle entamé en 2013 ne tire, à proprement parler, aucun portrait de cinéastes. Dans presque toutes ses « extensions », il est en revanche l’expression d’un désir très fort de cinéma. Peu connus du « grand public », Bruno Nuytten et João Bénard da Costa (décédé en 2009) sont pourtant indispensables à la fabrication des images ou à leur médiation : le premier essentiellement en tant que cadreur et chef opérateur de haut vol ; le second comme directeur de la Cinémathèque de Lisbonne pendant 18 brillantes années.

Artisan autant qu’ « artiste » – même si Nuytten en récuse d’emblée le terme pour ce qui le concerne -, retiré désormais des plateaux de cinéma, le portrait que dessine par petites touches Caroline Champetier, autre grande « chef op’ », est celui d’un homme réservé à la très grande sensibilité. Une image à l’opposé du succès public connu avec Camille Claudel, film surmédiatisé et couvert de récompenses qu’il réalisa avec Isabelle Adjani en 1988. Enregistré alors qu’il pose simplement un parquet sur le sol de sa maison, Champetier n’est pas tant dans une représentation de la parole que dans le suivi d’un geste de fabrication presque banal – un besoin de « s’occuper les mains » comme le fait entendre le film, « l’impression de servir à quelque chose, quelque chose de la vie, du réel » – qui évoque, de manière métaphorique, le bricolage inspiré des images cinématographiques dont il inventa la lumière pour lui-même ou d’autres réalisateurs (le flashage des images pendant la prise de vue par exemple). Il en résulte la figure d’un homme apaisé, serein quant à la nature de son désir, et la force du film de Champetier est de nous faire pénétrer avec délicatesse dans cette intimité faite d’expérimentations, d’écoute, de réflexion sur soi, de silences. D’histoires de cinéma, aussi.

Adossé à une construction plus labyrinthique, le documentaire de Manuel Mozos sur João Bénard da Costa explore cependant une même veine introspective. Passeur incontournable (l’égal d’un Serge Daney lusitanien), acteur, auteur, conteur émérite : le film est un chant d’amour au cinéma. Tiré des longues fréquentations de da Costa avec la peinture, le cinéma et la littérature, c’est sa parole et celles de quelques autres voix d’outre-tombe – bouleversante psalmodie que celle de Johannes, extraite du Ordet de Carl Theodor Dreyer – qui nous guident de bout en bout dans un dédale borgésien. Photographies des familles imposées ou choisies, reproductions picturales (Bosh, Dürer, Zurbaràn), échos sonores prélevés dans des films passionnément aimés (de Johnny Guitar à The Shop Around The Corner) : le documentaire de Manuel Mozos met à jour une passion dévorante, une traversée des miroirs à la recherche d’un temps, celui de l’enfance, qui sans le cinéma serait définitivement perdu.

Si une fragilité mélancolique traverse les œuvres précédentes, Le Concours de Claire Simon, primé au dernier festival de Venise et que nous présenterons en avant-première, nous introduit à l’inverse dans un univers très compétitif, celui de l’entrée à la FEMIS, l’une des grandes écoles de cinéma en France. Si les « initiés » s’y reconnaîtront totalement ou en partie, les autres seront parfois surpris autant par la bienveillance un brin excessive des jurés que par la férocité de certains échanges, pas toujours bien tempérés. Rien de surprenant à cela, finalement, pour un « recrutement » qui, à l’instar d’autres grandes écoles officiant dans des champs très différents, vise à extraire du nombre vertigineux de candidats la substantifique moelle, soit l’élite artistique de la profession. Nous revient alors en mémoire la réflexion de Nuytten qui enseigna longtemps à la FEMIS : « […] c’est l’expérimentation qui m’a toujours intéressé ». Pas sûr que cette vision ou ce programme soient toujours d’actualité. C’est du moins ce que semble interroger entre les lignes le film de Claire Simon.

Autre machine à fabriquer non pas du symbolique (quoique…) mais du consentement, De l’Air est le deuxième volet d’un triptyque réalisé par Henry Colomer sur la télévision. En s’appuyant sur un montage d’archives sans commentaire, comme dans son précédent opus, le réalisateur dévoile comment les lobbies industriels relayés par la puissance de diffusion du média ont imposé, et obtenu (!), pendant des décennies un consensus sur les questions de pollution atmosphérique. Notamment sur la place de l’atome dans nos sociétés modernes – en témoigne le déni ahurissant d’Anne Lauvergeon, patronne d’Areva, suite à l’accident nucléaire de Tchernobyl. Un marketing communicationnel qui reste toujours très actif à l’heure de la post-COP 21.

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