Pour la première fois cette année, Le Blog documentaire a décerné l’un des Prix des parrains lors du 10ème Festival International du Documentaire Emergent (FIDÉ). Alors que le Village documentaire de Lussas a distingué « Find Fix Finish », que Ty Films a préféré « Passing Tides » et que Les Valseurs ont récompensé « Sasha », nous avons choisi de primer le très beau travail d’Ismaël Joffroy Chandoutis qui, au studio national du Fresnoy, a réalisé « Dark Waves ». Le film est disponible gratuitement sur cette page pendant une semaine.

Le pitch

Une société ultra-connectée où les ondes ont envahi presque tous les espaces. Trois personnes intolérantes aux radiations électromagnétiques témoignent de leur survie au sein d’un monde qui leur semble de plus en plus interdit. La mise en scène explore l’idée d’une décélération du temps comme condition nécessaire à la perception d’un réel qui s’étend au-delà du visible.

L’analyse

Trouver ou s’aménager une zone blanche pour échapper aux ondes noires. Fuir les centres urbains, s’enfoncer dans la forêt ou sous la terre, s’isoler, guetter l’inexorable progression du fléau et être prêt à reprendre la route.

Ondes Noires / Dark Waves est un court-métrage documentaire nourri de l’esthétique de l’art vidéo (glitch art, ralenti, musique drone), mais c’est aussi un cauchemar apocalyptique qui en rappelle d’autres, cinématographiques ou télévisés, de science-fiction (Terminator, Invasion Los Angeles, Matrix) ou d’horreur zombiesque (Dawn of the Dead, The Walking Dead). Leurs personnages, poussés à la marginalité, fuient un monde devenu dangereux, mortifère, tandis que la plupart de leurs semblables ignorent ou feignent d’ignorer le mal qui les contamine déjà.

Dans Ondes noires, le mal est invisible, ce sont les ondes électromagnétiques circulant entre les appareils numériques qui font souffrir les trois personnages, ou plutôt les trois narrateurs. Pour figurer ces ondes, Ismaël Joffroy Chandoutis va fréquemment chercher des courbes dans les paysages urbains – virage de voie ferrée, lettrages de graffitis, modules des skateparks – ou dans le reflet d’un étang. Des glitchs viennent distordre la représentation du réel, l’image documentaire, et dissoudre la matière en cauchemars picturaux composés de pixels cancéreux. Notre appréhension du monde se dérobe. Au son, drones, ultrasons et bruits numériques nous enferment dans un espace oppressant d’acouphènes et de saturations de signaux.

Ces images glaçantes, comme l’utilisation des ralentis, semblent être des tentatives de déceler les ondes dissimulées, de les capter pour nous les donner à voir – on pense encore à Invasion Los Angeles et à ses lunettes, qui révèlent à celui qui les porte l’asservissement imposé aux humains par des aliens sournois. Cet univers métallique, froid et peuplé de spectres vampirisés par leurs smartphones, contraste avec les voix humaines des trois personnages souffrant de sensibilité électromagnétique – on reconnaît d’ailleurs le beau timbre du comédien Slimane Dazi (vu dans Un Prophète, Les derniers Parisiens ou Only Lovers Left Alive). Cette malédiction, qui les pousse à vivre dans une caravane au milieu des bois ou entre des murs recouverts d’aluminium, en fait des explorateurs (ou des cobayes) : est-il encore possible d’échapper à cette société numérique et connectée, ou est-ce définitivement voué à l’échec ? Ils nous disent que la campagne est déjà infiltrée d’antennes-relais camouflées en arbres, qui progressent comme les soldats de Macbeth, et envahissent les zones blanches les unes après les autres. Et que les gouvernements et les GAFA(M) prédisent une « couverture totale » assurée par des drones, jusque dans les déserts et en Antarctique.

Ondes noires pose donc aussi une question politique essentielle, celle de la possibilité que laisse la société actuelle de vivre à sa marge, des espaces qu’elle consent à ne pas « couvrir ». Mais, à l’image du récent « démantèlement » d’une ZAD, le film crépusculaire d’Ismaël Joffroy Chandoutis ne nous berce pas d’illusions.

Virgile Guihard

Les autres films du FIDÉ

Parmi les autres propositions vues lors du Festival International du Documentaire Émergent, il en est qui méritent le détour si vous avez la chance de les croiser ici ou là : Le saint des voyous de Maïlys Audouze, Marysia’s World de Katarzyna Ewa Zak, Find Fix Finish de Mila Zhluktenko (pas sans écho à Dark Waves, d’ailleurs), My Father’s Tools de Heather Condo et Ich zweifel also bin ich de Florian Karner.

 

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