Elle a fondé et dirige avec Patrick Winocour deux sociétés de production de documentaires « faits maison » et « sur mesure » : Quark (la plus petite particule de matière qui existe, mais aussi « fromage blanc fermier » en allemand) et Squawk (se prononce « Squoik », ça veut dire quelque chose comme « pépillement »). A eux deux, ils ont produit plus de 110 films.

Juliette Guigon est la nouvelle invitée de notre podcast « L’Atelier du Réel », réalisé en partenariat avec la SCAM. Elle aborde avec Fanny Belvisi son travail, ses convictions, ses envies et ses passions. Un conseil si vous la rencontrez : ne lui parlez jamais de votre « perso » ou de « faire des illustr' », elle risquerait de mal le prendre. En avant !

Juliette Guigon – © Michael Zumstein

« On a démarré avec les quelques réalisateurs qu’on connaissait d’avant, tous petits, et surtout on a démarré quand personne ne vous connaît dans les chaînes, on a démarré très rock and roll, c’est-à-dire avec des films autofinancés. (…) Notre envie était simple : on a vu très vite qu’on partageait les mêmes goûts, qu’on aimait les mêmes films… Faire alliance avec quelqu’un, c’est rire des mêmes choses, être indignés par les mêmes choses… Ça suffit de partager ce terrain-là, politiquement, émotivement… Nous n’avons rien défini d’autre en amont. »

Juliette Guigon et Patrick Winocour, côté pile et côté face, en 2018 – © Michael Zumstein

« On est tous les deux hyper attachés à deux moments dans nos visionnages : c’est quand on se marre et quand on pleure. C’est un peu idiot, mais en même temps c’est une constante. Et on ne pleure pas forcément parce que c’est triste, mais parce que tout d’un coup on est émus de voir un personnage se dévoiler. Quand on se marre tout le temps au même moment devant un montage, c’est ça qu’on aime, et peu importe le style des films. (…) Ce qui compte pour nous, c’est d’arriver, au cours d’une histoire, à ressentir une variété d’émotions. Que ça passe de l’énervement, à la rage, l’indignation, le délire de la comédie documentaire… Il faut que, pendant une heure, ça dépote dans le coeur. »

Quark productions a remporté le prix du producteur français de télévision de la Procirep en 2020, mais ils auraient dû l’avoir avant.

« Aujourd’hui, après avoir travaillé sur autant d’expériences de films avec une même réalisatrice ou un même réalisateur, je me rends comte à quel point leurs films leur ressemblent. Finalement, bien comprendre quelqu’un qui est en face de soi, c’est aussi l’aider à comprendre ce qu’il est en train de faire. Et moi, ça me touche incroyablement de voir, dans les films d’Ariane Doublet par exemple, avec qui on travaille depuis plus de vingt ans, que plus je la connais, plus je trouve que ses documentaires parlent d’elle. Ça peut être plus évident du côté de la fiction ou de la littérature, mais ces dernières années, j’ai été sidérée de voir à quel point de nombreux films qu’on produit sont des bouts d’auto-portaits des réalisatrices ou des réalisateurs. Et depuis que je le vois mieux, j’ai l’impression que je produis mieux. »

« On a fait des rencontres avec des réalisateurs beaucoup plus « journalistiques » avec qui on s’entendait bien, et au début on voyait bien les frictions. Eux nous regardaient en se disant qu’on ne faisait pas du travail sérieux, qu’on ne connaissait rien au fact checking, et nous on les regardait en se disant qu’ils ne savaient pas faire de séquences documentaires et qu’ils allaient tout recouvrir de voix. C’était vraiment du combat idéologique de chapelles, où chacun se regarde vraiment en chiens de fusil. Mais quand on fait des rencontres humaines plaisantes, on se dit que ce n’était pas possible de ne pas arriver à dialoguer. Il y avait plein de choses intéressantes qu’ils peuvent nous apporter, et chez nous il y a aussi des choses nouvelles qu’on peut leur offrir. »

« Mon grand défi, c’est d’avoir le téléphone de Netflix, quelqu’un avec un visage derrière. Dans nos réunions avec les réalisatrices et les réalisateurs, quand sort immanquablement : « et Netflix, si on leur proposait ? », ça me fait rire parce que c’est très loin de nous – bien qu’il y ait plein de choses que j’apprécie chez Netflix. On ne se rencontre pas. Au festival d’Amsterdam, il y avait une fille d’Amazon Prime, avec une file longue comme un test Covid qui attendait pour un rendez-vous. Ça me semblait incroyable, et il n’y a pas d’endroit physique et mental pour aller se rencontrer. J’ai l’impression que ce n’est presque pas notre nature. »

2 Comments

  1. Bravo Juliette, trés intéressant ITW. Fan de documentaires d’auteur, je connais nombre de ceux que vous produisez.Grâce à vous j’ai découvert Ariane Doublet dès les Terriens et maintenant je la suis fidèlement et je l’adore. Expression que tu as employée et qui m’a bien fait rire, mélange de pinceaux entre les « chiens  » on dort en chien de fusil et on se regarde en chiens de faïence. L’inverse est original mais à y réfléchir sans doute dangereux.
    Bises

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