A quelques jours du début du Sunny Side 2017, c’était déjà l’heure de la rentrée pour France 3 et ARTE qui nous ont exposé les grandes lignes et les points forts de leurs programmations estivale et de rentrée. Les deux chaînes publiques investissent chaque année entre 40 et 45 millions d’euros dans le documentaire…

C’est France 3 qui a ouvert le bal en annonçant le renouvellement, durant l’été 2017, de « L’Heure D », qui avait remplacé « La Case de l’oncle Doc » en 2016. Pour la deuxième année consécutive, la chaîne opte donc pour la mise en place d’une collection d’été spécifique, diffusant des documentaires inédits le lundi et le mercredi à partir de 23h35, et ce, du lundi 3 juillet au lundi 28 août.

Un choix présenté comme « audacieux » que cette case saisonnière, dont l’originalité transparaît tant dans le fond que dans la forme. D’une part, parce que comme l’explique Florence Jammot, conseillère de programmes, « nous avons tenu notre pari de faire de la création originale. La case s’affirme vraiment comme un espace de liberté, orientée pour pouvoir s’autoriser des ‘pas de côté’ tout en conservant des critères d’exigence et de liberté. » Et d’autre part, parce que la construction de la programmation de cette case relève d’une méthodologie de travail singulière, collective, fondée sur un dialogue entre l’antenne nationale et les antennes régionales. En effet, les projets de films sont envoyés par les régions et, une fois sélectionnés, le travail se fait en binôme.

Échanges et réciprocités caractérisent donc la mise en place de cette « Heure D », qui puise sa force dans le vivier créatif des régions. « Elles produisent et coproduisent à peu près 250 films par an pour un montant dépassant les 10 millions d’euros. Les régions, dans leur langage documentaire, racontent la société française d’aujourd’hui. Il y a quelques temps, il y avait beaucoup de documentaires d’Histoire et de commémorations. Il y en a toujours, mais nous faisons évoluer les choses. Nous racontons la société française d’aujourd’hui, dans des unitaires ou des collections, comme cela a été le cas avec Premier Vote, diffusé en 13 épisodes de 26 minutes. Cette série nous a permis de dresser le portrait de cette population qui allait voter pour la première fois. Nous avons pour ambition que le travail documentaire de France 3 devienne les archives de demain. Dans 5 ans, dans 10 ans, ces films raconteront la France dans les territoires. » explique Olivier Montels, directeur délégué de France 3 en charge du réseau régional.

Au programme de cet été, 18 films inédits partageant pour ligne éditoriale commune la société contemporaine et la culture, même si « cette année il y a deux veines, l’une sociale et collective ; et l’autre plus intimiste, sensible et très singulière », affirme Florence Jammot. De fait, « l’Heure D » offrira de jolies propositions, comme La belle vie de Marion Gervais, diffusé le mercredi 5 juillet, où la réalisatrice filme une bande de jeunes skateurs. Entre glisse, squats et préoccupations d’adolescents, Marion Gervais réussit un film qui réunit la fraicheur, l’innocence et la gravité propre à cet âge si particulier. Dans les autres pépites de cette programmation saisonnière, on peut également citer Marie dompteuse de crabe, de Quentin Delaroche et Benjamin Clavel, diffusé le mercredi 12 juillet, qui pose un regard délicat sur le combat d’une jeune femme de 34 ans face à une maladie incurable qui la détruit lentement.

Avec un budget moyen de 80.000 euros par film réalisé, « l’Heure D » constitue une belle réussite, même s’il lui reste encore certains défis à relever, comme celui par exemple d’ouvrir la case sur l’Europe et le monde. « Cette année ce n’est pas encore complètement le cas, mais pour l’année 2018 nous aurons une production espagnole intitulée Hors-jeu, réalisée par deux réalisatrices espagnoles, ainsi qu’un film au Liban réalisé par une auteure libanaise », reprend Florence Jammot.

On peut également regretter que la programmation singulière et sensible de cette case ne trouve à s’exprimer que durant la saison estivale et non toute l’année, ne serait-ce qu’une fois par mois. D’autant plus regrettable que le cri du cœur de l’équipe du documentaire chez France 3 ce jour-là était unanime : « L’Heure D, c’est notre Lucarne à nous ! ».

La Belle vie – © Marion Gervais

Du côté d’ARTE, il était également question de cette fameuse « Lucarne », puisqu’à l’occasion des 20 ans de la case Fabrice Puchault, directeur de l’Unité « Société et Culture », annonce qu’un espace numérique dédié aux films de cette programmation est en cours de création. « Avec des droits longs, nous allons pouvoir à nouveau exposer ces films, les faire vivre autrement sur un temps long. », affirme t-il. Il serait même question d’une tournée de la « Lucarne » dans le monde entier, avec des films diffusés au sein de la Documenta de Kassel, puis du MoMa à New York, du Musée d’art moderne de Tokyo et du Centre Pompidou à Paris. Un nouveau souffle, donc, pour l’anniversaire de cette célèbre case, animé par l’idée de faire voyager ses films.

Mais alors, quoi de beau chez ARTE pour cette rentrée 2017 ? Quoi de neuf pour cette chaîne dont, comme le rappelle Bruno Patino, le directeur éditorial d’ARTE France, « le documentaire est le cœur de l’offre éditoriale » ? « Le documentaire est ce qui fait notre différence. Chez nous, le documentaire est l’affaire de tous. Il n’y a guère que l’Unité fiction de la chaîne qui n’en fasse pas. ARTE s’engage donc de plus en plus pour le genre en termes de volume, d’investissement, mais aussi de forme et de langage, et de temps consacré. L’ensemble d’ARTE investit 91 millions d’euros par an pour le documentaire. Du côté d’ARTE France, nous sommes à 45,5 millions d’euros. Nous avons beau être une petite chaîne, nous sommes donc un acteur significatif de cet engagement pour le documentaire. », explique t-il.

Si France 3 privilégiait des mots comme « original », « singulier », « intimiste », « social et collectif » pour qualifier sa ligne éditoriale, du côté d’ARTE le vocabulaire était tout autre. Ce jour-là à Issy-les-Moulineaux, il était plutôt question de « grands récits documentaires », de « traitements visuels spectaculaires », d’« aventures humaines et de grandes épopées », de « fabriquer du commun et de faire société », de « voyages extraordinaires  et de destins exceptionnels » et de « documentaires qui font événement ». La chaîne ne mâchait visiblement pas ses mots pour évoquer sa rentrée prochaine…

Il est vrai que face aux concurrents que représentent Netflix et Amazon, les enjeux et les méthodologies de travail évoluent, et demandent, d’une certaine manière, d’être de plus en plus percutants. En septembre, la chaîne diffusera la série documentaire Vietnam de Ken Burns et Lynn Novick, une coproduction d’ARTE France et de la PBS. Le film retrace pour la première fois la guerre du Vietnam en interrogeant des témoins des deux camps. A cette occasion, la série sera diffusée en même temps que sa première diffusion sur PBS, cassant la grille habituelle d’ARTE puisque la série sera exceptionnellement diffusée trois jours consécutifs. L’objectif de la chaîne est ainsi d’ « évenementialiser » cette série qui compte neuf épisodes de 52 minutes. « Ce choix exprime notre volonté de monter en puissance sur la complexité des dispositifs de production et de diffusion. Nous devons réussir à accompagner les évolutions des formes du documentaire et du marché mondial. Nous avons toujours été à la pointe du documentaire, mais aujourd’hui ce sont Netflix et Amazon qui investissent massivement sur le genre. A nous de participer à cet élan mondial. Nous travaillons actuellement avec un groupe public étranger de grande importance dans l’intérêt de la production française, mais aussi pour témoigner de notre engagement à participer à cette communauté mondiale qui s’exprime dans le documentaire. », explique Fabrice Puchault.

L’arrivée de ces plateformes modifie donc sensiblement les règles du jeu, notamment en faisant monter la valeur financière des productions documentaires. D’où la nécessité de construire et d’imaginer de nouvelles coproductions internationales pour s’insérer dans un réseau mondial.

Un autre aspect de l’engagement d’ARTE pour la production de documentaires de qualité, susceptibles de « faire politique », repose notamment sur le temps d’élaboration des films eux-mêmes. « Nous acceptons des projets avec des rendus qui n’auront lieu que dans trois ans, six ans, ou même dix ans. Nous lançons des investigations, des dispositifs narratifs où l’on sait que le résultat sera un film ou une série de films que les spectateurs verront dans neuf ou dix ans. Ce n’est pas courant dans le domaine de la télévision française ! », affirme Bruno Patino. ARTE n’hésite donc pas à s’engager dans des projets impliquant des temporalités longues, gages de la pertinence des informations et des traitements qu’ils délivreront.

La route de la soie et autres merveilles

Prendre le temps nécessaire pour préparer des films pour pouvoir, en retour, en donner également aux spectateurs : le documentaire doit être un espace de temps pour penser, réfléchir. « Prendre le temps, est un axe de travail », reprend Fabrice Puchault. « La vitesse aujourd’hui est un engourdissement de notre capacité d’analyse. Face à la prolifération des images, il est nécessaire d’arrêter le temps, d’échapper au flux. Lorsque les images se bousculent, le documentaire est aussi cet effort pour n’en retenir que quelques unes et arrêter le défilé insensé ». Dans cette veine, plusieurs documentaires devraient offrir aux spectateurs ce temps de lucidité et de révélation. On pense notamment au film Dans le ventre de l’hôpital de Jérôme Le Maire, qui pose sa caméra à l’hôpital Saint-Louis et observe les conditions de travail des chirurgiens, anesthésistes, infirmiers et aides-soignants. Ou même à Avortements : les croisés contre-attaquent d’Alexandra Jousset et Andrea Rawlins, qui pose la délicate questions des avortements clandestins.

Outre cette veine plutôt liée à des investigations de l’Unité « Société et Culture », l’Unité « Découverte et Connaissance » devrait de son côté nous faire voyager en nous en mettant plein les yeux. Plus question ici de dénoncer mais bien d’émerveiller. « Faire partager au téléspectateur cette curiosité du monde, la susciter et la renouveler, avec intelligence et un désir permanent de surprises et de nouveautés » fait partie des objectifs que se fixe la programmation de cette Unité. Sa directrice Hélène Coldefy explique : « Explorer, révéler, décrypter, sont trois priorités éditoriales. Nous traitons des sites naturels, des grands destins et des épopées, de l’aventure scientifique en marche. » Dans les documentaires marquants de la rentrée, on trouvera ainsi La route de la soie et autres merveilles, une série documentaire de Xavier Lefebvre consacrée à cette route mythique, Thomas Pesquet, la route des étoiles d’Alain Tixier et Vincent Perazio, retraçant les 6 mois de l’astronaute dans sa station spatiale, ou encore Amsterdam, Londres, New York de Frédéric Wilner, revenant sur les quatre siècles de compétition que se sont menées ces trois villes pour asseoir leur puissance commerciale et financière, nourrie par l’innovation technologique et architecturale qu’elles ont chacune développée.

Quant à l’Unité « Arts et Spectacles » menée par sa directrice Emilie de Jong, elle développe et décline des projets autour du geste créateur. Comment le geste créateur peut-il rendre la réalité vécue ? Ou même la transformer ? Autour de cette notion et de ces interrogations, plusieurs propositions verront le jour pour l’année 2017-2018. Le projet Iran#Nofilter proposera un regard inédit sur l’Iran et sur sa scène photographique grâce à de jeunes photographes qui nous feront partager leurs images via leurs smartphones et via Instagram.

Iran#Nofilter – © Nathalie Masduraud
et Valérie Urréa

Outre des portraits plus classiques sur le cinéaste Henri-Georges Cluzot avec Le scandale Clouzot de Pierre-Henri Gibert ou sur le peintre Pierre Soulages de Stéphane Berthomieux, ainsi que des portraits « vus par » comme un film de Sandrine Bonnaire sur Marianne Faithfull, l’Unité s’engage plus fortement sur des projets de réalité virtuelle avec une nouvelle série intitulée Arte Trips qui proposera d’explorer la peinture européenne avec le souci de placer le spectateur dans une expérience immersive en cassant les frontières de la peinture.

Concernant le numérique, ARTE a d’ailleurs réaffirmé son intérêt pour ce champ. « C’est quelque chose auquel nous croyons. Nous avons chaque année un budget de 4 à 6 millions pour les créations numériques », explique Bruno Patino. Que se passera t-il donc cette année pour la chaîne de côté-là ? Si l’Unité « Développement du numérique » de Gilles Freissinier a notamment pour mission de rendre plus largement accessible les programmes documentaires de la chaîne en les proposant sur leurs propres plateformes, les réseaux sociaux ou même encore Youtube et Dailymotion, l’Unité vise également à produire des programmes spécifiques, pensés pour le numérique et qui soient en phase avec ses différents usages.

Dans ce sens, l’Unité proposera donc une websérie documentaire en 15 épisodes de 2 minutes, intitulée Cultes, des lecteurs sous influences, dont la mission est de rendre la littérature plus accessible. A partir de témoignages de lecteurs, la websérie s’interrogera sur la manière dont des œuvres littéraires devenues cultes les ont influencés. « C’est un format d’animation assez court, très viral qui sera facilement compréhensible. C’est justement une des missions d’ARTE que de rendre accessible la matière documentaire à un large public. », affirme Gilles Freissinier.

Autre projet à venir, la websérie Streamers réalisée en partenariat avec l’équipe de l’ONF au Canada, autour de cette communauté qui n’hésite pas à se filmer en train de jouer à des jeux vidéos. La websérie devrait permettre de comprendre ce phénomène et ses enjeux, en proposant un projet créé par et pour les « streamers ». Nous en reparlerons prochainement.

Un été et une rentrée éclectique pour ARTE, qui se propose d’explorer des thématiques et des sujets tous azimuts. Passée la programmation de « L’Heure D » cet été, France 3 annonce au contraire une rentrée dans la lignée du fil éditorial qu’elle a déployé les années précédentes. « Après une année politique très marquée par l’élection présidentielle, nous allons avoir une ligne de prime time marquée par l’Histoire, qui fait la marque de fabrique de la chaîne depuis 6 ans. », annonce Emanuel Migeot, le directeur de l’Unité documentaire de France 3.

Deux grandes dates marqueront la programmation de la chaîne. Tout d’abord, à la rentrée, une soirée consacrée à l’année 1917 avec les films Il était une fois la révolution de Bernard Georges, autour de la révolution russe et 1917, Lafayette, nous voilà de Grégory Laville, portant sur l’entrée en guerre des États-Unis. Puis, vers la fin de l’année, une soirée 1968 « entre matraques et dentelles », avec le récit des événements de mai 68 sous un nouvel angle : 68, sous les pavés des flics de David Korn-Brzoza, puis 68, année érotique de Philippe Lagnier. En octobre, une soirée sera également consacrée à deux sagas familiales : Fortune et infortune des Bettencourt et Dassault, une affaire de famille.

Dans une autre mesure, la case « Doc interdit » du jeudi soir devrait changer de changer de nom. « Il y a une volonté d’être d’avantage contemporain. La chaîne va continuer à investir le champ du politique mais autrement que cela a été fait jusqu’ici. Nous aurons des films politiques qui vont s’interroger sur les fractures françaises. Il s’agira de film politique au sens de ‘polis’, en tant que communauté des citoyens. Il y aura donc moins de portraits et plus de films sur le terrain. Nous allons notamment nous interroger sur la présence des services publics et des hommes qui les incarnent. Nous avons un projet de 2 x 52 min intitulé Poste des villes et Poste des campagnes. Nous aurons également un film d’immersion dans les méandres d’un tribunal d’instance dans la ville régionale de Vienne, réalisé par Michael Prazan. », reprend Emmanuel Migeot.

Moins de portraits donc pour cette année, quoi que… Pour cette chaîne qui souffre d’être peu ouverte sur l’international, les portraits restent encore le meilleur moyen d’accueillir des coproductions étrangères. Deux grands portraits dessineront donc les contours de cette année documentaire chez France 3 : Angela Merkel, la femme la plus puissante du monde, réalisé par Virginie Linhart, puis Conversations avec Poutine d’Oliver Stone, un document exceptionnel par sa durée de 4 x 60 minutes, mais aussi par son contenu puisque le réalisateur a rencontré douze fois Poutine en deux ans ,et nous offre un regard privilégié sur ce personnage déjà historique. Les deux premiers épisodes seront diffusés ce 26 juin et seront suivis d’un débat. L’été promet d’être chaud…

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