Nouveau compte-rendu de festival sur Le Blog documentaire avec quelques notes d’une cinespectatrice des Ecrans documentaires. L’occasion de donner ici la parole au public : comment vit-on une telle manifestation ? Avec quels coups de cœur ? Quels coups de gueule ? Le festival s’est tenu à Arcueil (91) du 7 au 13 novembre 2011. On a notamment pu y découvrir « Bielutine, dans le jardin du temps » et « La Main du Dieu (ou la queue du renard) ».

C’est la première fois que j’assiste au festival « Les Ecrans Documentaires ». Mon emploi du temps m’a permis de voir une quinzaine de films, courts et longs-métrage confondus [cf. Les précisions du Blog documentaire]. Je n’ai pas vu les films au palmarès [idem] et j’espère pouvoir les visionner en d’autres occasions. En attendant, voici mon palmarès personnel.

Commençons par les films de la catégorie « Ecoles et Formations ». Je retiens deux films sur les quatre que j’ai vus dans cette catégorie.

Le premier est le film réalisé par Sergio Da Costa, d’une durée de 38’ : « Snack Bar Aquario », qui a été réalisé dans le cadre d’une école d’art en Suisse : la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève. Le film a pour cadre exclusif un bar situé dans un village portugais, au bord de la route. Ce qui est frappant c’est que le  rôle  principal du film est tenu par ce bar. La clientèle est montrée au quotidien, de jour, de nuit à l’intérieur du bar et sur la terrasse. On voit les habitués dans leurs différentes activités : flipper, parties de cartes, télévision, soirée dansante, mais on n’entre pas dans leur vie, on ne sait rien d’eux si ce n’est ce qu’ils font dans cet endroit. Les plans extérieurs du village sont captés depuis le bar, ce que nous confirme la bande sonore : on perçoit l’ambiance intérieure du bar, en particulier la télévision, toujours allumée. A un moment, la route est filmée depuis la façade du bar, en panoramique suivant le passage des voitures et reproduisant une sorte de regard hébété et contemplatif, pendant quelques secondes. On a l’impression curieuse que c’est davantage ce lieu qui regarde le village que la personne qui est derrière la caméra.


Bande annonce « Snack Bar Aquario »

Le film s’ouvre sur un plan de la porte vitrée du bar montrant une affichette qui indique la date d’un enterrement au village, ce qui aurait pu laisser croire que l’histoire de quelqu’un ou du village allait être racontée. C’est juste le portrait d’un lieu qui ne semble pas avoir d’effet sur les gens qui le fréquentent. C’est le lieu des habitudes, des routines et du temps qui passe. C’est peut-être un lieu où les gens sont seuls ensemble, c’est ce qui semble en tout cas être le cas avec la télévision : quand par exemple quelques personnes sont assises devant le poste à regarder la fin d’une émission de télé réalité et qu’une des spectatrice demande le silence au bar. Hors champ, quelqu’un lui répond qu’elle n’a qu’à regarder la télévision chez elle alors qu’elle se blottit plus dans son siège, en souriant, et retourne à son émission.

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Le second film « Ici rien » a été réalisé par Daphnée Hérétakis dans le cadre de son Master à l’université de Paris VIII. Ce film, en 16 mm, décrit Exarchia, un quartier d’Athènes historiquement marqué, d’abord en 1973 par les manifestations des étudiants durant lesquelles 40 personnes avaient été tuées, puis en 2008 par des émeutes suite à la mort d’un lycéen de 15 ans, tué par un policier. Le film ne s’attarde pas sur ces évènements, qui ont imprégné le quartier et le pays, mais il rend compte de la mort de l’adolescent en montrant la plaque à sa mémoire, traumatisme récent et incontournable. J’ai surtout retenu l’esthétisme des images en 16mm, aux couleurs vives, surexposées, des plans courts, un montage s’apparentant un peu au clip. Le témoignage d’une jeune fille qui s’efforce d’aider les enfants du square de son quartier, en leur amenant des livres qu’elle a déjà lus est le passage le plus marquant : elle est de dos, un peu insaisissable pour la caméra et on l’entend expliquer à sa mère, par téléphone portable, qu’elle va prendre des livres dont elle n’a plus besoin pour les distribuer aux enfants du square.

Les quatre films d’école que j’ai vus avaient pour sujet des lieux, traités soit sociologiquement  (Snack-bar Aquàrio), historiquement (Opa Locka Will be beautiful, Ici Rien) ou esthétiquement (Ici RienBerlin).

« Snack bar Aquàrio » m’a semblé plus original dans sa narration, son dispositif distancié. « Ici Rien » m’a paru important car il montre autre chose que les faits historiques, les émeutes, la politique mais l’état d’un quartier, ses couleurs, ce qu’en a retenu la réalisatrice à cette période.

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Dans la catégorie « Courts métrages », j’ai choisi deux projets parmi les cinq que j’ai pu voir. « Paysage Emprunté #1 » a été éalisé par Dania Reymond. La réalisatrice filme un village occidental  dont on ne sait ni le nom, ni le pays, en hiver. Aucun évènement notable n’est filmé, très peu de gens, des vues générales. Ce sont les voix-off qui nous guident dans ce film, qui nous invitent à en voir un autre. Il me semble qu’il y a trois voix, deux jeunes, masculine et féminine, et une femme. On note quelques points communs entre ce que ces voix décrivent et le film : une ambiance hivernale, un clocher, des oiseaux dans le ciel. On cherche le lien. Puis on se rend compte que c’est une scène, un moment, un tableau qui est décrit, et qu’on arrive à identifier assez rapidement si on le connait déjà : Le massacre des innocents de Pieter Bruegel. Plus le commentaire entre dans le détail, plus il évolue du descriptif vers l’interprétatif, plus le spectateur est sollicité. D’abord la vision du tableau se précise, son identification aussi. Puis, on cherche instinctivement à relier l’image au son, on se doute que les images de ce village, neutres,  nous livrent le théâtre d’un évènement particulier. Le spectateur participe en étant amené à chercher dans la mémoire collective et dans sa connaissance personnelle de l’histoire. Du coup, quand on apprend, par un carton, que le village que l’on voit est Srebrenica, qu’il s’agissait d’évoquer le massacre de 1995, notre imagination a déjà fait le travail à travers l’évocation du tableau de Bruegel. Il y a une progression dramatique dans la description du tableau. Les voix décrivent un paysage, un ciel, une ambiance, une lumière, pour finalement dire ce qui se passe : c’est un massacre ; des enfants, des innocents sont tués.

Pour moi, le défaut du film réside dans son dispositif, même s’il finit par produire de l’effet : on se lasse des images banales, statiques de ce village, on trouve les voix off répétitives, tournant autour du pot. Mais en même temps on est amené à se questionner sur cette banalité quand on apprend ce qui s’est passé. A la fin, le nom du village nous est révélé mais celui du tableau reste à deviner.

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Le deuxième court-métrage que je choisis est « Bielutine, dans le jardin du temps », réalisé par Clément Cogitore. C’est un film qui a été projeté juste avant celui de Dania Reymond car, comme ce dernier, il associe l’histoire, à l’histoire de l’art et à la façon dont chacun se l’approprie.


Bande annonce « Bielutine, dans le jardin du temps »

On est dans l’appartement de Ely et Nina Bielutine, à Moscou, boulevard Nikitsky, comme l’indique le premier carton du film. Nina allume des dizaines de bougies, on aperçoit le visage de Ely, on parle de vodka… Puis on découvre des œuvres d’arts, sculptures, tableaux dans cet appartement sombre, poussiéreux, encombré comme la boutique d’un antiquaire. Les œuvres sont identifiées par une étiquette et quand on n’a pas entendu parler des Bielutine, on reste incrédule en lisant le nom des artistes : Michelangelo, Velasquez… Il y a aussi des chats, des toiles d’araignées. On découvre les Bielutine et leur appartement à la lumière de la bougie parce qu’au moment où l’équipe de tournage est arrivée, il y a eu une coupure de courant. Mais cette mise en scène improvisée convient parfaitement au film, sacralisant un peu les lieux, nous plaçant dans un espace temps propre au couple Bielutine.

Nina commente un Velasquez à la demande de son mari. Ou plutôt, elle anthropomorphise le tableau, c’est un portrait, elle dit qu’il nous regarde, qu’il sait… Ils posent devant leur collection, montrent fièrement un Leonard de Vinci dont on ne revient pas. Au milieu de cela, il y a des chats, des peluches… Les Bielutine semblent s’écouter un peu parler, philosophant sur l’importance de la vie face à la grandeur de l’art. Leur appartement est un musée, une prison, un salon de thé (de vodka aussi la plupart du temps). Le temps semble s’être d’ailleurs arrêté autour de ce même repas de pâtisserie et de vin et de vodka. Ils racontent un peu leur vie, leur rencontre. Elle était comédienne, lui peintre. On sent que c’étaient et que ce sont toujours des excentriques. On devine la paranoïa dans la façon dont Nina Bietuline accueille deux invités, les guettant à la porte. D’ailleurs, à cause de cette méfiance, on se demande comment ils ont pu accepter que quelqu’un fasse un documentaire sur leur collection, sur eux. Mais à les découvrir un peu, on comprend qu’ils ont envie de parler d’eux, qu’une comédienne et un peintre même octogénaires, demeurent narcissiques. Un de leur lien vers l’extérieur, et aussi un de leurs interlocuteurs, dont Nina semble très fière, est le corbeau qui occupe leur cuisine, il parle, il sort par la fenêtre, revient en toute liberté.

Ce qui frappe aussi, c’est que tout est au même niveau chez les Bielutine. Bien sûr ils sont fiers de leur collection incroyable, inestimable, mais elle est dans leur vie autant que les peluches dont ils font la collection. Ce qui probablement nous impressionne beaucoup dans ce film, c’est que ces œuvres, si elles ne sont pas exposées de manière très élaborée dans un musée de renom, devraient être présentées chez de riches collectionneurs, dans un écrin, un intérieur cossu, raffiné. Ici on perçoit une certaine décadence et progressivement un peu de folie dans ce couple. Il y a quelque chose de borgésien chez les Bielutine, ils sont les dignes représentants d’une culture et d’un rapport à l’art et au monde particulier. Ainsi,  je n’ai pas été surprise, cherchant un peu, d’apprendre que ce documentaire donnerait lieu à un web documentaire, en coproduction avec Arte, intitulé  « Bielutine : la fabuleuse histoire d’une collection », en ligne en janvier 2012, qui se propose de faire commenter la collection par des conservateurs, historiens, spécialistes en arts… J’espère juste que la forme et le contenu de ce webdocumentaire, nécessairement un peu plus didactique, titilleront encore notre curiosité comme arrive à le faire le film.

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La Main de Dieu (ou la queue du renard) © F. Sculier

« La Main du Dieu (Ou la queue du renard) » est le long-métrage de la compétition qui m’a semblé le plus riche. Il est réalisé par François Sculier, en mini DV. Il s’agit d’un des trois films tournés en Grèce dans cette sélection. Mais celui-ci trouve son origine dans les souvenirs d’enfance du réalisateur qui revient dans la région où il passait ses vacances familiales. Il se trouve qu’il réalise son film un an après que la région et en particulier un village ont été ravagés par des incendies meurtriers. Ainsi, il y a une double justification dans le dispositif qu’il choisit. Il arrive dans ce village caméra à la main sans interprète, ne parlant pas grec, avec une lettre qui explique qu’il veut faire un documentaire sur les gens du village et leur vie. Cette façon de se présenter a quelque chose de comique, d’un peu infantile et renvoie au petit garçon qui venait ici. Mais comme l’a indiqué François Sculier après la projection, c’est aussi une posture qui le met en position d’infériorité, d’être à peu près autant demandeur que les gens qu’il veut filmer et ainsi de susciter l’empathie.

Il lève ainsi la méfiance que pourraient avoir les villageois à son égard puisqu’il ne comprend pas ce qu’ils disent. La même scène, cocasse, est reproduite : François Sculier sollicite un villageois dans une cour, en train de ranger des débris, de jardiner ; il interpelle les habitants dans les ruelles, à la sortie de l’église, pendant les réunions du conseil municipal. La personne ainsi interpellée lit la lettre tout en examinant le réalisateur qui attend derrière sa caméra une réponse qu’il ne comprend pas… Cela oblige les habitants à communiquer par mimiques, par gestes. Le réalisateur rencontre un homme dans le jardin d’une maison dévastée qui lui montre l’étendue des dégâts, explique qu’il n’a plus rien et qu’il a perdu de nombreux membres de sa famille, désignant les maisons détruites. Ensuite, Françios Sculier s’attarde auprès d’une maison en préfabriqué et rencontre une vieille femme et son mari qui l’accueillent avec méfiance, montrant avant tout autre discours leur fusil par la fenêtre. Puis la femme lit la lettre, qui fait son effet, lève la méfiance… Le couple s’habitue à voir le réalisateur passer, l’invite, lui parle, se livre, expliquant qu’à leur âge ils vont rester là où ils sont, qu’ils n’ont rien à faire à la ville, que ce ne serait pas une vie pour eux là-bas.

Il y a aussi le conseil municipal, dans la rue, sous un barnum quand il pleut. Et le fait que le réalisateur soit comme sourd lui permet d’accéder à des débats sur la façon de répartir l’indemnisation des victimes, entre ceux qui vivent dans la région sinistrée et les propriétaires de champs qui ont perdu leur exploitation.

La main de Dieu (ou la queue du renard) © François Sculier

Puis le réalisateur rencontre un autre couple, plus jeune avec un petit garçon, Iannis et sa femme, et le grand-père. C’est d’abord la jeune femme qui parle au réalisateur, se laisse filmer, rit de la situation, de l’impossibilité de se parler. Une relation se développe entre le réalisateur et cette famille, en particulier avec Iannis. Tout en pestant sur le fait de ne pas être compris par François Sculier, il se livre beaucoup, revient sur les circonstances de l’incendie, les dégâts. Il est celui qui répond au plus près à la demande formulée par le réalisateur dans la lettre, qui est de voir comment vivent les gens dans cet endroit. L’arrangement semble convenir : par cette incommunicabilité linguistique, le réalisateur s’approche au plus près de la vie des gens. Or,  même s’il y a une progression comique et qu’une histoire est racontée, le film ne peut en rester là, parce qu’une personne le demande.

Iannis réclame que ce qu’il dit soit compris instantanément. On sent que cela relève progressivement d’une urgence, d’un besoin profond. Alors le réalisateur revient pour lui, pour finir la discussion correctement, lorsqu’il s’aperçoit, après avoir vu les rushes que cela n’a pas été le cas. Il revient donc avec une interprète. Du haut d’une colline, la jeune femme traduit les circonstances de l’incendie décrites par Iannis, son étendue, l’endroit d’où c’est parti, le fait qu’il y ait des zones d’ombre, qu’il soit possible que l’incendie soit criminel. Et c’est là, à la fin de ce récit que Iannis explique que les gens ont couru dans le mauvais sens sur les routes pour fuir les flammes, qu’ils auraient du rester chez eux et que c’est comme ça que sa mère est morte. Ainsi ce que l’homme autour de sa maison dévastée au début du film a pu dire tout de suite, sans être compris par le réalisateur, ce qu’une paroissienne a pu dire en passant à la sortie de l’église, à savoir, dire, énumérer les personnes chères qu’ils avaient perdu pendant l’incendie, Iannis n’a pu le dire qu’en étant compris. Et le réalisateur a eu besoin du temps du film pour l’écouter.

Eve Feuilloy

Les précisions du Blog documentaire

1. Eve Feuilloy est assistante de production. Diplômée en lettres modernes et en cinéma (Paris 3), elle a notamment été scripte sur plusieurs courts-métrages et téléfilms, ainsi que régisseuse pour une chaîne de télévision. Elle fut également bénévole au Festival Cinéma du Réel.

2. Le Prix 2011 des Ecrans documentaires a été attribué, pour la compétition des longs-métrages, à La Vie au loin de Marc Weymuller. No Blood in my body de Laure Cottin a été distingué dans la catégorie des courts-métrages, et une mention spéciale a été accordée à Le Ciel en bataille de Rachid B.

3. Voici la liste des films vus par Eve Feuilloy lors de l’édition 2011 des Ecrans documentaires : Opa-Locka will be beautiful (Armand Morin, 21’, format mixte, France), Berlin (Noémie Schneider et Christiane Schmidt, 30’, 16mm, France), Snack-Bar Aquario (Sergio Da Costa, 38’, format mixte, Suisse), La Forêt une fois (Peter Snowdon, 22’, super 8, Belgique), Portraits de jour avec caméra (Seb Coupy, 55’, DV Cam, France), Densamente Spopolata e la felicita (Le bonheur est un espace très  dépeuplé) (Francesco Dongiovanni, 47’, Mini DV, Italie), Ici Rien (Diane Hérétakis, 29’,  16 mm, France/Grèce), La Main de Dieu ou la queue du diable (François Sculier, 86’, Mini DV, France), Bielutine, Dans le jardin du temps (Clément Cogitore, 36’, Beta Num, France), Paysage Emprunté # 1 (Dania Raymond, 21’, vidéo HD, France), Khatyn (Jérôme Amimer, 46’,  Mini DV, France), Proti Ili (Christos Karakepelis, 79’, 35 mm, Grèce), Monsieur M, 1968 (Laurent Cibien et Isabelle Berteletti, 55’, DV Cam, France), Guest (José Luis Guerin, 133’, Espagne).

No Comments

  1. François Sculier

    Mille merci pour votre analyse. Je me permettrai cependant de faire une petite rectification: le titre exact de mon film est « La main de dieu (ou la queue du renard) » et non pas la « La main de dieu (ou la queue du diable) ».

  2. François Sculier

    Merci pour le pauvre renard!

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