C’était un des (jeunes et fragiles) fleurons de la webcréation, présent notamment dans Le webdoc existe-t-il ? et le livre sur la French Touch de la webcréation. La société bordelaise Once Upon a définitivement cessé ses activités à la fin de l’année dernière. Une structure qui a notamment contribué à « Modern Couple » (produit par Quark et aujourd’hui hors ligne), et à qui l’on doit « Easy Coming Out » ou encore le webdocumentaire de Claire Simon, « Gare du Nord »…
Nous avions rencontré les deux productrices Méline Engerbeau et Camille Duvelleroy en 2012… Et après le départ de cette dernière, la première avait continué l’activité avec Manon Harsigny.
Quelles sont les raisons qui expliquent la fin de l’histoire (interactive) ? Traduisent-elles la difficulté de produire des webcréations aujourd’hui ? Les réponses de Méline Engerbeau, complètement focalisée sur un tout nouveau – et très différent – projet de vie…
Le Blog documentaire : Racontez-nous en détail la dernière année de Once Upon…
Méline Engerbeau : Au cours de l’année 2015, nous avions cinq à six projets en cours de développement, en propre ou en production exécutive. Il y avait notamment Sea is my country, un webdocumentaire en fin de prototypage réalisé par Marc Picavez, portant sur la vie sur les bateaux de la marine marchande, pour lequel nous espérions un diffuseur pour passer en production [voir l’exposition et le film tiré de la même expérience, NDLR]. La websérie Monsieur et Madame Flash, coproduite avec Les films du Tambour de Soie, était dans la même situation.
Nous développions également la websérie Il revient quand Bertrand ? pour laquelle nous avions un accord de production d’ARTE et dont le tournage était prévu en janvier-février 2016. Nous espérions enfin des soutiens du CNC et de la région Aquitaine pour deux tout nouveaux projets : une websérie documentaire avec Clément Rière sur les collectionneurs et Erreur interne, de Laure Bourdon-Zarader et Alice Voisin, une websérie d’anticipation avec laquelle nous avons concouru à l’appel à projets de France Télévisions.
Hélas, au printemps, deux autres projets sur lesquels nous étions positionnés en production exécutive et qui devaient générer du chiffre d’affaires direct ont été annulés. Les perspectives financières ont commencé à s’assombrir. Nous avions dépensé les fonds de développement de nos projets, leur développement était terminé. Nous ne pouvions plus compter que sur la mise en production de Il revient quand Bertrand ? et les aides au développement des « bébés projets » pour relancer la trésorerie, et nous n’avions plus le droit au moindre écueil. En juillet 2015, nous déposons donc Erreur interne à l’aide au développement et Il revient quand, Bertrand ? à l’aide à la production. En septembre les deux projets sont retoqués. C’est à ce moment-là que l’avenir de la structure a changé.
Nous nous sommes retrouvées dans un effet ciseau : un projet prêt à passer en production avec un diffuseur mais sans soutien du CNC, et deux autres en fin de développement, largement soutenus par le CNC et les régions, mais sans diffuseur pour passer en production. C’est surtout sur Il revient quand, Bertrand ? que la décision du CNC a été la plus dure à avaler car nous avions des perspectives solides avec un engagement financier significatif du diffuseur. Erreur Interne était un tout jeune projet, très bon en soi, mais j’étais consciente que suite à l’appel à projets de France Télévisions, la commission avait dû examiner des dizaines de propositions sur un thème similaire, et il y a eu meilleur que nous.
Je me suis demandée ce que j’allais faire car je n’avais pas l’argent à remettre dans la société. Il aurait fallu trouver d’autres partenaires, réinventer la formule, sécuriser différemment l’activité… mais je n’avais pas envie de continuer. En vérité, je m’imaginais déjà, à la fin de ces projets, faire autre chose de ma vie. La situation a précipité mes propres envies. Je ne me suis pas vue me battre pour trouver de l’argent, m’endetter pour continuer. J’ai donc décidé d’arrêter peu de temps après la décision du CNC. J’ai dû licencier Manon Harsigny et c’était le plus difficile, d’arrêter notre collaboration.
Nous avons ensuite fait en sorte que les auteurs puissent continuer leurs projets dans de bonnes conditions. Clément Rière avec qui nous devions déposer au développement en octobre a bénéficié de notre travail commun sur le dossier, et continué travailler avec Manon : il a obtenu avec Collections particulières le CNC en écriture, puis l’aide de la région Aquitaine. Pour Sea is my country, lauréat du prix Docunexion en 2015 au Sunny Side of the Doc, nous avons honoré l’invitation qui nous avait été faite d’aller aux RIDM à Montréal en novembre. Des contacts plutôt fructueux ont été établis avec la société KungFu et Estelle Robin You, productrice à Balibari du documentaire de Marc Picavez pour ARTE, mène aujourd’hui le projet avec des débouchés de production au Canada. Il revient quand, Bertrand ? a été cédé à une société de production issue du cinéma, 7ème films, qui a repris les droits du projet et la convention avec ARTE. Nous venions de recruter le réalisateur, Guillaume Cremonese, et une phase de réécriture avait fait beaucoup évoluer le projet. Au titre du changement d’équipe de production et des évolutions du scénario, les nouveaux producteurs ont demandé et obtenu le soutien en production du web COSIP. Les films du Tambour de Soie ont repris Monsieur et Madame Flash et gèrent la fin du développement.
Quelles conclusions en tirez-vous sur le modèle de production français de ces webcréations ?
Il existe une grande fragilité pour les producteurs qui décident de se spécialiser dans les nouveaux médias. L’incertitude est grande et la fenêtre étroite : la principale chance d’aboutissement des projets, c’est le modèle audiovisuel traditionnel avec l’obtention d’un diffuseur et du CNC. Autant dire décrocher à chaque fois la timbale ET le cocotier ! Or, sans parler du fait qu’il n’y a toujours que deux diffuseurs engagés sur les nouvelles narrations, le contexte fait qu’ils retiennent toujours très peu projets, et fonctionnent en laboratoire sur des projets toujours plus innovants, investissant toujours plus les dernières technologies. Aujourd’hui, c’est la réalité virtuelle, demain il y en aura d’autres.
De notre côté, notre stratégie consistait à raconter de nouvelles histoires mais de commencer à « faire mieux », à capitaliser sur l’expérience, réutiliser nos savoir-faire, nos modes de narration, nos équipes, nos bouts de codes, nos méthodes. Sur Sea is my country par exemple, nous voulions « faire mieux », tirer les leçons de Gare du Nord en restant dans le même type de projet webdocumentaire, qui propose une déambulation libre dans un espace poétique. Pour les diffuseurs, c’est déjà fait. Je peux comprendre cette position, de maintenir des cellules exploratoires, et notre stratégie était donc en décalage avec la leur. Dans le même temps, il y avait de plus en plus d’entrants sur le marché, ce qui créait aussi de plus en plus de risques de se « planter » à l’aide sélective… Nous aurions certainement pu être meilleures et passer le cap. Mais je pense aussi que Once Upon avait bonne presse, avait toujours obtenu les soutiens qu’elle demandait, donnait une fausse impression d’antériorité et de solidité… On a légitimement pu croire aussi bien chez les diffuseurs qu’au CNC qu’on s’en « sortirait sans ». Or ce n’est pas parce qu’on est visible qu’on est costaud.
La manière de se focaliser sur la technologie et de ne pas capitaliser, s’agit-il d’une erreur de calcul des diffuseurs selon vous ?
Cela répond à des logiques internes dans les chaînes. Ces unités ont des comptes à rendre, besoin d’avoir des références à présenter, qui soient des succès en termes d’audience pour entrer dans les critères des interlocuteurs traditionnels de l’antenne. Pour rencontrer le succès il faut de l’ambition, il faut investir dans des technologies spectaculaires et donc mettre beaucoup d’argent, faire des « coups » qui permettront ensuite de faire grandir l’ensemble de l’offre. Cela se fait peut-être au détriment de projets plus discrets, plus simples peut-être, ou dont la forme s’inspire d’autres. Je ne sais pas s’ils ont tort ou raison. C’est quoi qu’il en soit un contexte très difficile pour les producteurs et les productrices qui ont décidé de se spécialiser en nouveaux médias et qui n’ont pas d’activité annexe pour assurer les arrières et amortir les coups durs.
Que va faire Méline sans Once Upon ?
J’ai arrêté de prendre le TGV une semaine sur deux et ça, c’est déjà formidable ! (rires) Et je vais créer en plein Bordeaux un centre dédié aux thérapies douces. Après tant d’années dans le virtuel, j’ai besoin de quelque chose de très concret ! C’est un projet de lieu partagé et de services, destiné aux professionnels de pratiques de santé naturelle, de bien être et de développement personnel, du reiki au yoga en passant par la naturopathie et l’hypnothérapie… De plus en plus de gens se forment sur ces professions du soin et n’ont pas forcément les moyens ou le souhait, au départ, de louer un local, ou bien exercent loin de la ville et aimeraient toucher plus occasionnellement les citadins. C’est à eux qu’on s’adresse. Ce pourrait être un concept duplicable dans d’autres villes. Et rassurez-vous, cette fois encore, il y a vraiment du boulot sur le site Internet !
La véritable raison de la fin de Once Upon c’est surtout les querelles internes…
La séparation des deux productrices a très clairement fragilisé la structure. Quant au décision du CNC, il faut rappeler que c’est une commission sélective qui juge la qualité d’un projet que celui ci soit ou non porté par un diffuseur. Et effectivement, n’avoir comme activité que la production de nouveaux médias rend l’équation de plus en plus intenable.
Quant au documentaire GARE DU NORD, on le doit d’abord à Claire Simon et aux Films d’Ici 2, puis à Once Upon devenu coproducteur délégué minoritaire et à Méline et Camille qui ont fait un magnifique travail de scénario interactif et de production exécutive sur l’interactif.
Classe de tirer sur le corbillard.
Cette histoire est bien dommage, comme toutes les fins, celle-ci entraîne avec elle plus que du capital et des projets dans l’oubli, mais également des savoirs faire. Maintenant, il y a quand même — depuis maintenant 2 ans peut-être plus — quelque chose de tordu dans la production de nouveaux médias.
Depuis le début, il faut noter que les diffuseurs n’ont pas joué leur rôle dans la construction d’un écosystème viable et se sont largement reposés sur des structures souvent unipersonnelles (ou constituées d’une microéquipe) pour mener leur R&D dans le domaine, sans jamais prendre aucun risque.
Premier problème, la R&D est transitoire, ne s’inscrit dans aucune logique industrielle, elle est totalement optionnelle pour bien des diffuseurs et groupes de médias et souffre en premier des coupes budgétaires en temps de crise. Faire porter le poids de la R&D à de petits prestataires, c’est avouer — en creux — que l’affaire n’a pas d’avenir et donner à supporter des coûts importants de développement à des structures qui ne peuvent pas soutenir de telles pressions financières. Faire porter le poids de la R&D à ces petites structures, c’est abandonner l’innovation tout en usant d’un cynisme incroyable en espérant le succès d’une production pour s’afficher comme média innovant. Enfin, c’est perdre tout le bénéfice de cette R&D (puisque les projets sont développés en externe) lorsque — comme Once Upon — une entreprise s’écroule et disparait.
Les diffuseurs historiques n’ont jamais eu la force (ou le courage, ou la bienveillance ou l’intelligence) de considérer ce microcosme d’entreprises innovantes comme un atout qu’il était souhaitable de soutenir convenablement. Entre annulations de projets à la dernière minute, « emprunts » d’idées, paiements trop longtemps différés et contrats plus que limites, les petites structures qui naviguent à vue dans un Far West en espérant gagner leur place au soleil sont perpétuellement contraintes à défier l’impossible. C’est certes passionnant, mais contraire au développement d’une entreprise, quelle qu’elle soit.
Par ailleurs, la poursuite de l’innovation à tous crins, son inscription même dans les critères d’acceptation pour les subventions publiques (CNC), condamne ces microentreprises (comme il est dit par Méline) à renouveler leur offre sans jamais pouvoir capitaliser sur les développements précédents. Aucune contrainte de ce genre ne s’applique à aucun autre domaine industriel à ma connaissance. Cela montre d’une certaine manière la myopie des pouvoirs publics qui considèrent que le secteur de la création n’est en aucun cas un atout industriel et ne mérite de vivre que de la subvention publique.
Bien évidemment, à l’échelle humaine — partout — on rencontre bien des acteurs capables et sensibles à ces arguments, dont l’énergie et la curiosité n’ont d’égal que leur passion pour l’innovation et ces nouvelles formes d’écriture. Je reste convaincu pour autant que celles-ci sont mortes avant d’avoir existé (d’ailleurs, en parle-t-on encore réellement comme un ensemble concret, représenté et profitable). Certains projets subsistent, parviennent à être réalisés, mais les regards se portent déjà ailleurs, vers d’autres horizons plus 360° où tout un secteur tente de développer une nouvelle offre. Combien de temps ces nouveaux venus vont-ils tenir ?
Merci Gérald pour ta contribution au débat. Il semble en effet que la course à l’innovation soit une des raisons qui pousse à devoir sans cesse réactualiser le « logiciel » de production, ce qui est parfois impossible pour les petites structures. Si tu souhaites parler de ton expérience personnelle de producteur, cet espace t’y est ouvert.
Bien à toi,
Nicolas
Je suis très émue de ce retour d’expérience de Méline. Je n’ai jamais été productrice et je ne le serai jamais. C’est un réel choix, parce que je ne voyais pas de modèle économique viable si je souhaitais produire ce qui m’inspirait et m’attirait plus, c’est à dire des histoires interactives. Mais à mon échelle de directrice de production, j’arrive au même constat que Méline, ou Gérald…
Alors je m’en vais, je décroche progressivement.. Parce qu’accompagner des projets d’écriture, de développement, que l’on estime solides, beaux, qui peuvent parfaitement rencontrer leur public et s’entendre dire auprès de différends fonds que ça n’est pas assez innovant, c’est devenu trop difficile. Trop dommageable. Pour la production, pour ces projets, pour leurs auteurs, pour le public qui ne verra jamais un objet qui non, n’invente pas la poudre, mais inspire et raconte, et puis au final, c’est devenu trop pénible pour moi aussi… Pas de boîte, juste ma tête, à la différence de Once Upon. Mais la nécessité quand même, de ramener un petit pécule tous les mois. Je le déplore et suis quelque part, je le confesse, soulagée de me dire que ce que je marmonne en solitaire, dans mon coin, depuis un moment fait sens pour d’autres.
Alors j’enseigne, mais parfois, je me retrouve à avouer à mes étudiants, un peu désoeuvrée, que si le projet n’est pas « innovant », ce sera plus dur. Mais dans cet espace, au moins, je peux ouvrir les portes d’une réflexion qui m’est propre sur l’inventivité nécessaire de notre modèle économique… Ce n’est pas uniquement aux projets d’être imaginatifs et de tout révolutionner, ça non.
Belle continuation à Méline pour cette nouvelle histoire, et à tous les autres faiseurs d’histoires!