Si Le Blog documentaire les a croisées sur une terrasse parisienne, vous pourriez tout aussi bien les rencontrer dans les rues de Bordeaux, dans les couloirs du Sunny Side of the Doc 2012 où elles animent des visites guidées de webdocumentaires, ou bien ne jamais les voir…

Méline Engerbeau et Camille Duvelleroy méritent pourtant le détour – et cela à plus d’un titre ! Ensemble, elles ont fondé Once Upon, un « atelier d’écriture transmédia » impliqué par exemple dans la conception de Mödern cøuple. Mais Méline et Camille fourmillent de nombreux autres projets. Entretien – légèrement foutraque…

Le Blog documentaire : Vous travaillez en ce moment sur le nouveau projet « multiforme et ubiquitaire » de Claire Simon, réalisé au sein de la Gare du Nord, à Paris… Comment s’est déroulée cette rencontre ? Pouvez-vous nous détailler ce sur quoi vous travaillez précisément ?

Once Upon : Laurent Duret, producteur aux Films d’Ici, nous a parlé de ce projet mené par Claire Simon. Nous ne connaissions pas encore très bien son travail, mais son propos sur la Gare du Nord nous a beaucoup plu. Nous avons eu envie de réfléchir au volet digital. Très vite, les dimensions souterraine et « en réseau » de la gare nous ont paru évidentes. Cette gare est comme un puits sans fin, une sorte de flux interminable. Comme pour chacun de nos projets, nous sommes parties des écrits de Claire : nous avions les scénarii de sa fiction, de son documentaire et de la pièce de théâtre. Nous avons échangé plusieurs fois avec elle pour nous imprégner de son propos et de sa vision. Nous avons même visité la gare avec elle, c’était un moment clé pour comprendre le sujet.

Nous avons ensuite réfléchi et conçu la matrice narrative de la scène digitale. De nos échanges, plusieurs éléments sont devenus saillants : la gare est construite sur plusieurs niveaux ; chaque niveau a son univers, ses gens, son rythme ; les flux sont très différents en fonction de l’heure qu’il est. Nous sommes ainsi arrivées à une profondeur de 6 niveaux et à 4 grands moments de la journée. Cela nous permet ainsi de créer un ensemble de 24 tableaux : 1 par niveau et par moment de la journée. Nous créons ainsi 2 axes de narration : une narration verticale, en scroll, qui explore dans un même moment tous les lieux ; une narration horizontale, au clic, qui explore le temps dans un même lieu.

Gare du Nord, Paris.

Pour ces 24 tableaux, Claire a réfléchi à des contenus dédiés en fonction du lieu et du temps. 24 tableaux dans lesquels nous proposons un ensemble de contenus riches et mixtes : Claire peut ainsi mélanger des scènes de fiction, des textes, des voix, des photos ou des scènes de documentaire. Cela lui permet de poser à nouveau les questions qui lui sont chères sur la représentation du réel et du fictif. Sur le digital, nous les superposons, les affichons ensemble sans dire si c’est de la fiction ou du documentaire. L’internaute se retrouve alors projeté dans une déambulation très riche et assez contemplative. Nous assumons totalement de proposer un objet dans lequel l’internaute erre, se perd…

Il nous a fallu ensuite trouver avec qui réaliser ce projet : nous voulions une expérience en HTML5 et une belle direction artistique. Nous travaillons avec Franck Maurin pour le frontend et avec LesFreds pour la DA dont on est absolument fan ! En tant que co-producteur, nous avons également défendu ce projet auprès de la Région Aquitaine qui lui a apporté son soutien.

Gare du Nord est un projet réellement transmédia dans lequel Claire déploie sa narration différemment en fonction des supports. Elle place le spectateur dans une multitude de points de vue et leur croisement crée beaucoup de sens. Nous avons très hâte qu’il sorte ! (pas avant l’été 2013 quand même).

Claire Simon est une cinéaste qu’on pourrait qualifier de « traditionnelle »… Comment aborde t-elle les enjeux du web ?

Avec curiosité et intérêt. Pour elle, c’est une fenêtre de plus, un nouvel écran avec de nouvelles possibilités narratives. Après un premier temps d’interrogation, Claire s’est investi pleinement dans la narration web. Comment happer l’internaute ? Comment lui donner envie de revenir ? Comment le surprendre dans son flux quotidien ? Comment proposer une histoire différente de celle développée dans la fiction ou dans le documentaire TV ? Ces questions, nous nous les posons ensemble et nous y répondons avec son regard et notre expertise interactive.Vous avez aussi été associée à Mödern cøuple ? Comment avez-vous travaillé avec Arte ?

Quark productions a voulu réfléchir à une expérience interactive sur le sujet de l’arrivée du premier enfant dans un couple. Arte et Quark voulaient un objet très intuitif et, pourquoi pas, différent pour les hommes et pour les femmes. Quark a fait appel à nous pour concevoir une expérience simple et ludique. Nous sommes intervenues en tant que co-auteures multimedia. Très vite, nous sommes allées vers la piste du match caricatural et humoristique entre les hommes et les femmes. Nous avons conçu l’ergonomie du site, les différents tests des vidéos et rédigé tous les contenus (du titre de la page, en passant par les éditos et le référencement). Nous avons également coordonné la production web : spécifications techniques, planning, intégration… La collaboration avec Arte web s’est très bien passée : leur équipe est super disponible et très au fait des expériences interactives. Mödern cøuple a très bien marché et continue à fédérer une audience; après 7 semaines de diffusion nous en sommes à 130.000 visites, 300.000 vidéos vues et 550.000 pages vues.

Once Upon est une tout jeune « atelier d’architecture transmedia » ? C’est quoi au juste un « atelier d’architecture transmedia » ? Comment voyez-vous votre job ?

C’est un endroit assez sympa, avec des chaises, des tables, du café, du thé et des gens qui travaillent. On a un paper board avec écrit « Paper – Board » dessus. On fait des schémas sur du papier ou sur de l’ordinateur. On parle à Google 763 fois par jour. On écrit des textes et on fait des dessins en discutant beaucoup. C’est un atelier d’artisans, qui ne fait que du sur-mesure.

Jean-Claude Van Damme, comme souvent, a trouvé avant les autres notre vision de notre job : « A l’an 3000 les gens vont se parler avec,…, les yeux, des ondes. Ne me prends pas pour un fou les baleines le font, les dauphins aussi. Ce sont des animaux très intelligents dans la mer. Nous on vit dans la terre. Et eux se communiquent, vu qu’ils ne savent pas parler dans l’eau, ils sont forcés d’utiliser des ondes, des ondes de love ou de hate et la communication se fait comme ça ». Jean-Claude a tout simplement défini le transmedia avec des dauphins. « Et je sais que même si tu comprends pas ce que je dis, tu le comprends. »

1+1=2 (ou plus)

Qui fait quoi, comment travaillez-vous ?

Camille : On travaille à côté. Moi à gauche, Méline à droite, enfin ça dépend d’où on se place dans la pièce. Méline tape très vite et très fort sur le clavier. Du coup, quand elle prend mon ordinateur, elle le trouve le clavier un peu « raide ». Méline travaille beaucoup avec Scrivener, moi, plutôt avec Omnigraffle. On a plein d’idées quand on marche. On envisage d’ailleurs de se faire des séances de marche créative sur les quais. De manière générale, c’est mieux quand on est toutes les 2.

Méline : On est tellement complémentaires qu’il nous est difficile d’expliquer en quoi ! Pour répondre prosaïquement, Camille est une excellente chef de projets, une vigie attentive des nouvelles technologies, avec une créativité d’une autre planète. J’ai plus de goût à l’écriture, à la structuration des propos, aux stratégies de communication… Quand Camille est là pour m’empêcher de m’éparpiller (mais si).

Quels sont les bons et les mauvais côtés de votre travail ? Qu’est-ce qui vous motive, qu’est-ce qui vous exaspère ?

Camille : Il y a plein de trucs qui m’énervent beaucoup : les films qui racontent le début du mythe après la fin (genre Prometheus), les gens qui répondent à des questions par des questions plus longues en reformulant ta question et que tu comprends plus rien à ta question (et toi plus rien à la réponse), les bouteilles en plastique dans les dunes.. Mais j’adore la scène où l’héroïne court dans l’axe de l’énorme vaisseau spatial qui va lui rouler dessus, et puis elle tombe ! Mais le vaisseau ne lui a toujours pas roulé dessus… Et là, elle réalise qu’il suffit de faire 3 petits pas de côté pour rester en vie. C’est un peu comme le mec qui court plus vite que la tornade qui lui colle aux fesses (mais la vache, elle, s’envole).

Méline : Les bons côtés, c’est d’avoir créé notre activité, de faire ce que l’on aime à plein temps, de proposer de belles et bonnes choses. Les mauvais ne pèsent pas lourd en face de ça ! La durée de mise en place des projets, de 9 mois minimum, est parfois pesante. J’aime quand ça va vite, c’est l’urgence qui me motive. En fait, le type qui court devant la tornade, c’est moi.

Bordeaux, place de la Comédie – © Etienne Gérard ([(o)]) /Flickr
Vous êtes basées à Bordeaux. Est-ce que ça change beaucoup de choses, notamment pour travailler avec vos partenaires qui n’ont pas la chance de résider à Bordeaux ?

C’est une chance pour nous d’être à Bordeaux. Beaucoup de nos amis y habitent, nos maisons aussi. Aujourd’hui, on travaille tous en mode connecté : Skype, tchat, mail, téléphone.. Que l’on soit à Bordeaux ou à Paris, cela change plutôt les choses en bien : quand nous sommes à Paris nos rendez-vous sont groupés, préparés, nous sommes dans la rencontre, et quand nous sommes à Bordeaux nous revenons au paper-board et au suivi des projets. Ça nous permet de nous imposer un rythme à moyen terme qui s’avère assez efficace.

Nous bénéficions du soutien politique et financier de la Région Aquitaine. Nous avons reçu une subvention pour notre structure, au titre de l’aide au programme d’activité des sociétés de production. Cela nous permet de gérer et de financer une multitude de choses, comme nos déplacements à Paris. L’équipe de l’agence ECLA est très à l’écoute et nous conseille régulièrement. Nous avons aussi bénéficié du soutien dela Région Aquitaine pour le projet « Gare du Nord » en tant que co-producteurs. Aquitaine, on t’aime.

Parlez-nous de votre implication dans le Sunny Side of the Doc, et des ateliers « webdoc » que vous allez animer…

Nous sommes partenaires de la section transmedia du Sunny Side. Nous avons participé à la mise en place de l’appel à projets documentaires transmedia « Wanted«  et à la sélection des 6 finalistes. Il va y avoir plein de rencontres sur le transmedia cette année et nous sommes très heureuses d’accueillir WeDoData et Florent Maurin pour 2 ateliers-conférences interactifs.

Des projets à venir ? Des envies personnelles ?

Plein de projets ! Nous avançons avec Quark sur un nouveau projet, nous avions envie de continuer avec eux sur les terrains de l’humour, du documentaire et du décalé (on ne se refait pas !). Nous collaborons également avec Cap Sciences, le musée des Sciences de Bordeaux : nous concevons un scénario transmedia autour d’une expo sur le cerveau, la mise en place du dispositif est prévue en janvier 2013. Nous sommes très heureuses de travailler avec eux.

Propos recueillis par Cédric Mal et Nicolas Bole

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