Nous les avions découvert en 2017 à l’occasion du festival « Silhouette » avec « The Rabbit Hunt », toujours en ligne sur notre site… Après plusieurs formats courts, Ivete Lucas et Patrick Bresnan proposent aujourd’hui en salles un long-métrage, « Pahokee », toujours tourné en Floride.
Avec chaleur et conviction, ils ont posé leur caméra durant une année dans un lycée, suivant le parcours de quatre étudiants. Leur approche tout en tendresse pour leur personnages au prise avec un âge délicat souffle un vent amical et rafraîchissant sur ce film.
Le Blog documentaire : Vous avez réalisé quatre courts-métrages dans les Everglates, vous revenez une nouvelle fois pour le long-métrage Pahokee. Est-ce qu’à chaque fois ce sont les mêmes protagonistes qui reviennent ?
Patrick Bresnan : Ce sont de nouveaux protagonistes dans ce film, puisque les courts-métrages que nous avions réalisés pendant deux ans concernaient des promotions précédentes du lycée. Ça nous avait permis de travailler et de développer la confiance de la population locale, et d’affiner notre langage cinématographique.
Ivete Lucas : En fait, tout est lié. Parce que nous avons rencontré tous les protagonistes du long-métrage par les courts-métrages. Na’Kerria, par exemple, le petit ami de l’époque qui est aujourd’hui devenu un « ex », était présent dans les trois courts-métrages.
Combien de temps avez-vous tourné dans le lycée de Pahokee pour ce long-métrage ?
Patrick : On vivait avec les élèves sept jours sur sept. On déjeunait, on faisait tout avec eux. On s’est installé pendant dix mois dans cet univers. Et ce qui est certain, c’est que du court au long-métrage, nous avons modifié quelque chose dans votre manière de réaliser des films.
Ivete : Les courts-métrages se déroulaient sur une journée alors que ce film s’étend sur un mois. C’est beaucoup plus de travail !
Patrick : Pour le long-métrage, nous souhaitions transcrire la voix des jeunes dans le film. Nous désirions un processus de travail plus collaboratif. C’est la raison pour laquelle nous leur avons demandé de se filmer avec leur téléphone portable dans leur vie quotidienne, pour qu’ils participent activement au film.
Quand ils se filment, ils ont carte blanche ?
Ivete : Nous voulions rentrer un peu plus en profondeur dans les choses. Nous voulions créer cet aller-retour entre le collectif et l’intime. Et nous étions sûrs de vouloir saisir leurs voix, leurs vies intérieures. Mais pas par le biais d’interviews – un procédé un peu artificiel pour nous, un peu emprunté parfois, et qui ne libère pas forcément bien la parole. Comme ces jeunes font partie d’une génération qui se filme beaucoup, qui poste ses images sur les réseaux sociaux, nous avons choisi cette option. Nous leur avons dit de s’exprimer librement, et de partager ce qu’ils voulaient. Nous ne leur avons pas donné de devoirs ou de questions particulières.
Pendant le tournage et après le tournage, quel lien avez-vous tissé avec les personnages ?
Patrick : Nous sommes tombés sous le charme de ces jeunes. On tombe amoureux de nos sujets en général. Ce que l’on espérait en tournant ce film, c’était de leur donner confiance en eux. Evidemment, on ne peut pas tout. On fait ce qu’on peut, à notre échelle. Par exemple, Junior n’a pas eu son diplôme de fin d’études et il n’a actuellement pas d’emploi, mais on reste présent dans sa vie. On a réussi à lui obtenir des bourses pour qu’il puisse acheter une batterie, et des vêtements. Et on l’aide aussi un peu pour la nourriture et pour acheter des couches pour ses enfants. Les autres s’en sont plutôt bien sortis, et ils ont fait d’ailleurs le tour des festivals pour présenter le film.
Ivete : Pendant le tournage, nous avions cette position assez particulière d’être des adultes mais de ne pas être dans une position de supériorité ou de pouvoir. Nous n’étions pas des enseignants ou des parents. On pouvait être là pour eux, un peu comme des mentors pour parler d’expériences de vie qu’on traverse. On a pris ce rôle très à cœur. C’était vraiment l’occasion pour nous d’être présents d’une manièrent spéciale. J’aurais aimé que des adultes soient présents dans ma vie à ce moment précis et de cette manière particulière. Et c’est pour cela aussi que nous sommes devenus très proches d’eux.
Comment vous répartissez-vous les rôles quand vous faites un film ?
Ivete : De façon très naturelle ! Depuis notre rencontre, nous avons toujours eu la même curiosité, cet amour de l’humain et des expériences. La même esthétique aussi, les mêmes influences et la même démarche globale. Et ça aide d’être à deux quand on suit plusieurs protagonistes, parce qu’on peut être à plusieurs endroits à la fois ! Et puis le fait d’être un homme et une femme nous aide aussi. Il y a des situations particulières dans lesquelles l’autre sexe n’a pas d’accès. D’un point de vue purement technique, c’est Patrick qui est chef-opérateur ; moi, je m’occupe du son, des plans additionnels et du montage. Nous ne sommes pas très orgueilleux, la collaboration se fait tout à fait naturellement.
En voyant le film avec les pom-pom girls ou l’équipe de football américain, qui sont noirs ou latinos, j’ai eu l’impression de voir des images que je connaissais très bien. Mais qui, filmées comme vous l’avez fait, m’était inconnues. Vous aviez conscience de cela au tournage ?
Patrick : Oui évidemment, c’est l’imaginaire du colonialisme. Pahokee est un endroit très particulier, il est situé au cœur des Everglades, au milieu des champs de canne à sucre. C’est un rappel permanent, un rappel visuel de la raison pour laquelle autant de gens de couleur ont été amenés pour travailler dans ces champs. Or, aujourd’hui, la communauté noire commence un peu à s’extraire de ses travaux, et c’est la communauté latino qui est employée dans les champs. Ça montre bien que le colonialisme n’est pas encore mort.
Ivete : Nous étions très conscients de la force de l’imaginaire lycéen. Et on a voulu le modifier. Dans la plupart des films sur les ados dans un lycée, ce sont des blancs, citadins, dans des milieux très favorisés que l’on filme. On voulait montrer qu’il y a des jeunes à Pahokee, mais aussi ailleurs aux Etats-Unis, qui sont exclus de cet imaginaire. Ici, quand on voit une pom-pom girl, ce n’est pas le cliché de la pom-pom girl comme on le voit d’habitude. Même chose pour l’équipe de foot, c’est une équipe qui a peu de moyens mais qui du coup travaille très dur. Quant aux matchs de football, on ne les a pas du tout filmés comme des événements sportifs, mais au contraire comme des rassemblements collectifs. On voit la fanfare, les pom-pom girls, les familles, etc. Un autre sens surgit, qui a beaucoup plus à voir avec le rituel et l’expression culturelle.
Jusqu’à maintenant, vous avez centré vos films à Pahokee. Est ce que les prochains projets seront encore situés dans cet endroit ?
Patrick : Non, on ne peut plus filmer à Pahokee, parce que tout le monde nous connaît. Tout le monde me dit : »Patrick, Patrick, filme-moi, filme-moi ! ». Ce que l’on fait encore à Pahokee, c’est un cours d’éducation à l’image. Pour apprendre aux jeunes à raconter leurs histoires, pour qu’il n’y ait plus besoin que des gens extérieurs viennent pour cela. On leur apprend la science et les techniques du récit audiovisuel.
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