Troisième édition du Prix du public – Les Yeux doc cette année ! Ce Prix, organisé par la BPI, la Bibliothèque publique d’information (en partenariat avec ARTE, InMédia Technologies, Mediapart, Images documentaires et Le Blog documentaire), revient ce mois-ci avec 4 films documentaires en lice, tous issus du catalogue de la plateforme Les Yeux doc. L’objectif reste le même : valoriser le cinéma documentaire auprès du grand public en faisant voter les usagers inscrits aux bibliothèques abonnées à la plateforme. Pour participer à cette votation cinéphile du 4 mars au 1er avril, c’est ici !

Voici donc les 4 films en compétition cette année.
[Textes : Les Yeux doc]

  • 143 rue du désert de Hassen Ferhani (2019, 1h43)
    Production : Centrale électrique
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En plein désert algérien, dans sa buvette, une femme écrit son histoire. Elle accueille, pour une cigarette, un café ou des œufs, des routiers, des êtres en errances et des rêves… Elle s’appelle Malika.

Seule dans une petite maison blanche au bord de la route nationale 1, la Transsaharienne, qui relie Alger à Tamanrasset en traversant l’immensité du désert, Malika, 74 ans, a ouvert un jour sa porte au réalisateur Hassen Ferhani, venu là en repérage avec son ami Chawki Amari, journaliste à El Watan et auteur du récit Nationale 1 qui relate son périple sur cet axe Nord-Sud de plus de 2.000 kilomètres. La Malika du roman d’Amari, que Ferhani avoue avoir d’abord perçue comme un « fantasme littéraire », prend tout à coup une épaisseur humaine insoupçonnée dans cet environnement naturellement hostile à l’Homme. Elle se prête au projet du film comme elle accueille ses clients, avec une économie de gestes et de paroles qui lui donne un peu l’apparence d’un sphynx, impression renforcée par le mystère qui l’entoure et les rares éléments de sa biographie qui suggèrent qu’elle n’est pas originaire de la région, qu’elle a quitté le nord fertile de l’Algérie pour s’installer dans le désert où elle vit avec un chien et un chat.

Ferhani, accompagné d’un ingénieur du son, occupe les 20 mètres carrés de la maison et filme les murs de torchis, les fauteuils de jardin, le grand frigo et le stock de canettes, la petite table recouverte d’une nappe à fleurs sur laquelle s’accoude Malika et le ou la cliente du moment, qu’elle ausculte du regard et qu’elle caractérisera en deux phrases sans équivoque après son départ. Malgré le côté extrêmement dépouillé et rudimentaire du lieu, toute la société algérienne s’y arrête, routiers principalement mais aussi militaires, religieux, touristes, comme cette femme à moto venue de la lointaine Pologne. Aux scènes captées sur le vif s’ajoutent quelques belles fantaisies de mise en scène, parfois suggérées par Malika, comme la scène de son réveil dans les dunes. Car, si la caméra ne fait que de brèves incursions sur la route balayée par les vents et sur le passage régulier des camions chargés de marchandises, ce hors-champ que l’on devine nourri des mille et une histoires du désert vient puissamment irriguer la vraie vie rêvée de Malika, héroïne de roman et de cinéma.

 

  • Ayi de Marine Ottogalli et Aël Thery (2019, 1h09)
    Production : Ana Films
    Plus d’infos ici.

Ayi, une femme chinoise de cinquante ans, venue de l’Anhui, une province rurale de l’Est, travaille clandestinement depuis près de vingt ans dans une rue de Shanghai où elle propose des plats traditionnels aux clients de passage.

D’emblée, le ton est donné : en ouvrant sur une belle poêlée de nouilles sautées aux légumes, cuisinée en pleine rue, le film semble nous dire : bon appétit ! Mais cette joyeuse introduction, qui rend hommage au caractère volontaire de la marchande ambulante, ne résiste pas au dévoilement progressif d’une réalité bien plus sombre, aux antipodes des images positives véhiculées par la nourriture, symbole de plaisir et de partage. Deux réalisatrices françaises sont aux côtés d’Ayi, dont l’une prépare une thèse sur la transmission des savoir-faire techniques dans une école de cuisine française à Shanghai.

L’ambition scientifique du projet audiovisuel s’affiche dans les « cartons » liminaires et de fin, qui servent de repère pour le spectateur et facilitent son entrée dans un univers dont les règles sont opaques. Ce que l’on prenait pour un prénom, Ayi, est par exemple un mot riche de significations, à la fois expression familière à l’adresse des femmes, qui peut être traduit par « tante » et désignation d’une fonction ancillaire (femme de ménage, nourrice, etc.) Les Ayi viennent souvent de la campagne et ne disposent pas de la carte de résident (« hukou »), à la fois obligatoire et inaccessible, introduite par les autorités pour contrôler les migrations internes. Sans ce précieux sésame, elles sont considérées comme des sans-papiers, étrangères dans leur propre pays. La caméra accompagne la cuisinière des rues à travers un cheminement qui ressemble plus à un parcours d’obstacles qu’à l’exercice normal d’un commerce de bouche. À tout moment la police peut intervenir et saisir sa carriole. Il faut alors développer des stratégies pour fuir à la moindre alerte ou se soumettre à la corruption généralisée et payer pour avoir un semblant de tranquillité. Les jours de pluie, Ayi reste à la maison et raconte son histoire (elle n’a pas étudié car « ce n’est pas utile pour les filles ») et celle de sa famille éparpillée. Se greffe sur son histoire personnelle celle du quartier où elle vit et exerce, un ancien quartier à l’architecture traditionnelle qui est en cours de rénovation et programmé pour devenir un centre commercial. Pour les habitants comme pour Ayi, le temps est compté. Demain ou après-demain, il va falloir partir et se reconvertir.

 

  • La Cravate de Etienne Chaillou et Mathias Théry (2019, 1h37)
    Production : Quark Productions
    Plus d’infos ici.

Bastien, militant du Front National depuis cinq ans, gravit les échelons de son parti, jusqu’à atteindre les plus hautes sphères pendant la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2017. Plus question pour le Front d’être « anti-système » : la candidate se qualifie pour le second tour avec 21,3 % des suffrages et 7,6 millions de voix. Au vu des scores dans les urnes, être militant d’extrême-droite semble désormais banal. Les réalisateurs revoient Bastien un an après l’élection et lui font lire devant la caméra le “roman” de sa vie, rédigé d’après les entretiens menés avec le jeune homme.

La lecture à voix haute apparente le texte à un journal, des mémoires, une confession, un voyage introspectif et éclairé sous les auspices de Rousseau, Flaubert ou Modiano, pour un disciple de Lacombe Lucien. Pour que ce subtil dispositif fonctionne, il faut signer un pacte de confiance et de respect. Ressentir de la sympathie pour un humain ne revient pas à justifier ses idées, mais chacun est responsable en conscience de ce que le spectateur va pouvoir penser de Bastien. Celui-ci bénéficie donc d’un droit de réponse sur sa trajectoire troublante. Naguère, un événement dans la vie de Bastien a précipité son passage à l’âge adulte et son introduction dans un groupe néo-nazi professant un extrémisme radical et violent, que Bastien doit camoufler s’il veut gagner en respectabilité. Le costume remplace donc le blouson de cuir, la cravate détourne le regard du crâne rasé.

La progression de Bastien dans les rangs du Front National dévoile par métaphore la stratégie de normalisation du parti : montrer une image apaisée, jouer en première ligne sur l’échiquier politique et se donner l’apparence d’un parti républicain traditionnel. Cependant, les racines xénophobes, identitaires et racistes apparaissent toujours dans le profil de ses partisans et dans son discours idéologique. On perçoit cette amère réalité pendant les congrès du parti où le voile républicain et les masques tombent. Bastien est en constant questionnement : il a quitté les skinheads pour le FN et Marine le Pen pour Florian Philippot. Pour quel avenir ?

Sur la commune de Loos (Nord), située dans la zone périurbaine de Lille, est installé l’Institut médico-éducatif « La Pépinière », qui reçoit des adolescents atteints de handicap mental.

Ce lieu clos, grand domaine arboré à l’ambiance bucolique, a immédiatement fasciné les deux réalisatrices, venues là sur la recommandation d’artistes en résidence. Dans ce centre hors norme, sans contacts avec le monde extérieur mais qui prépare ses pensionnaires à se « réinsérer » dans ce monde, une poignée d’adolescents s’épanouissent à travers des activités de plein air, manuelles et surtout artistiques, puisque la musique tient une grande place dans leur quotidien. Ombline Ley et Caroline Capelle, toutes deux issues des Arts déco de Paris en section photo/vidéo, ont choisi la méthode de l’immersion pour approcher ces jeunes au comportement souvent fantasque. Acteurs-nés, ils improvisent constamment. Ils ont aussi très activement participé par leurs idées et leurs histoires, généreusement partagées, à la construction d’un scénario qui s’appuie largement sur l’imaginaire et le rêve, et tout autant sur le vécu et les problèmes existentiels : l’avenir, l’amour et, bien sûr, le handicap.

Comme le relève Léa, qui se voit chanteuse dans la vraie vie : « Après La Pépinière, il y a soit l’ESAT [service d’aide par le travail ouvert aux personnes handicapées], soit… c’est tout.» Ses camarades ne sont pas moins conscients des difficultés et des déceptions à venir, mais en attendant, leur corps exulte : Ophélie bat le rythme de la Marseillaise en se brossant les dents, Valentin écrit soigneusement sa lettre d’amour, Médéric se lâche aux commandes de son fauteuil turbo, Alexis cumule les déguisements de Superman et de Batman pour mieux « sauver les gens ». Quant à Gaël, peut-être le plus étrange de tous, ses crises se manifestent par des cabrioles dignes d’un gymnaste de haut niveau, desquelles il ressort sans une égratignure.

 

Petit rappel des précédents lauréats :

Et comme pour les deux premières éditions, des projections et des rencontres sont proposées dans les bibliothèques participantes pour permettre au public de découvrir les 4 films en compétition. Calendrier et carte des évènements à retrouver ici.

Une soirée palmarès aura lieu le 12 avril prochain. Le film lauréat sera projeté.

Des lots de livres et DVD sont à gagner par tirage au sort pour les votants.

Pour en savoir plus sur ce Prix du public et sur la plateforme Les yeux doc, nous vous invitons à consulter nos articles sur le sujet :

 

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