Un nouveau projet dont nous vous invitons à suivre le développement sur Le Blog documentaire… Après Are Vah ! ou Chasing Bonnie & Clyde, voici donc Sarcellopolis. Réalisé par Sébastien Daycard-Heid et Bertrand Dévé, produit par Yes Sir Films, ce dispositif transmédia est le fruit de 3 ans de travail et d’immersion auprès des habitants de Sarcelles. Il se décline en trois volets : un film interactif disponible sur le web, un documentaire radio diffusé sur France Culture puis en podcast, et un documentaire de 52 minutes sur France 3 Ile-de-France. Retour en texte et en images sur la genèse de ce projet avec Sébastien Daycard-Heid.
C’était il y a déjà quatre ans, je m’en souviens encore. Il y avait Malik, venu discuter entre deux missions dans le bâtiment et la surveillance/sécurité. Et une femme cherchant des conseils pour passer un concours administratif, impénétrable pour celle qui tentait d’en comprendre le règlement.
Au bureau d’information jeunesse situé aux Flanades, la grand place du grand ensemble de Sarcelles, Nadia accueillait autour d’une tasse de café ceux qui rentrent épuisés du boulot, ceux qui en cherchent, Cédric Faimali et moi, qui découvrions Sarcelles en résidence au foyer de jeunes travailleurs, en plein hiver.
« Sarcelles est une ville poupée russe, disait-elle. On croit la connaître, avant qu’un autre visage apparaisse à son tour. Ici, ce n’est jamais un long fleuve tranquille. On trouve la chaleur, la joie de vivre, mais aussi, des blessures ».
Par la suite, j’ai compris qu’elle parlait des communautés – les chaldéens, les juifs, tous les migrants venus du Maghreb, du Vietnam ou d’ailleurs, après un drame de l’histoire, pour devenir voisins dans cet ensemble. Mais aussi de ceux qui se sentaient relégués à Sarcelles tout en rêvant d’un ailleurs.
Vivre ensemble malgré les déchirures de l’histoire, malgré les difficultés de l’insertion, dans un grand ensemble républicain, voilà ce qu’était le sujet de mon reportage, Bienvenue à New-York-en-France, publié dans Gueules d’Hexagone, un livre rendant hommage à Jacques Windenberger.
Ce photographe, parrain du collectif Argos, avait documenté ce qui fut la construction du premier grand ensemble.
Considéré au début comme une banlieue, associée dans les médias de l’époque à une maladie sociale – la « Sarcellite », Sarcelles fut un refuge conçu pour héberger les réfugiés, rapatriés ou travailleurs venus d’horizons différents : des Parisiens en quête d’un logement décent, des Juifs et Musulmans issus du Maghreb, des Chrétiens de Turquie et maintenant d’Irak, des Antillais, des Pakistanais, des Vietnamiens, des Africains catholiques, musulmans, évangélistes, etc.
D’emblée, nous avions été frappés par l’esprit pionnier et le vivre ensemble qui se dégageaient de ces photos, des notions abstraites qui ici prenaient tout leur sens.
Elles montraient que ce lieu d’une diversité extraordinaire, cette ville-monde, fut un tremplin pour les personnes issues de l’immigration, et finalement la plus belle réussite de notre modèle républicain.
C’est ainsi que l’envie de documenter cet espace plus en avant est née. Pour rendre hommage à une ville complexe, loin des clichés que les médias ont calqué sur elle durant des décennies. Et pour prendre le pouls d’une ville laboratoire.
L’enjeu du projet
Le premier grand ensemble construit en France a toujours été précurseur des questions liées au vivre ensemble et à la diversité. Et il reflète, à bien des égards, l’état de notre société aujourd’hui. C’est à Sarcelles que le nombre d’alyas vers Israël est le plus grand en rapport au nombre d’habitants. A Sarcelles que la diversité est la plus importante – la ville compte 90 communautés pour seulement 60.000 habitants –. A Sarcelles que Yoav Cohen, une des victimes de l’attentat de Vincennes, était né. A Sarcelles que le fossé entre Juifs et Musulmans se creuse, comme le montrent les émeutes de juillet dernier.
Interrogeant le vivre ensemble à Sarcelles, nous avons été à la rencontre de ses habitants. A travers le recueil de nombreux témoignages, nous avons ainsi pu couvrir toutes les thématiques liées à la cohésion sociale et à l’égalité des chances (l’identité, l’école, la communauté, l’insertion, la rénovation urbaine, la religion, etc.).
Si l’approche de notre film interactif, qui prend comme fil conducteur la ligne de bus 368, est d’adopter une vision panoramique, centrée sur l’immersion, le voyage et la rencontre, le documentaire TV mènera l’enquête pour tenter d’expliquer pourquoi la cité a craqué en juillet 2014.
Il répondra aussi à d’autres questions, intéressantes aux yeux de tous : Pourquoi les liens qui unissaient les gens se sont-ils distendus ? Comment les communautés ont évolué ? Quel a été l’impact des politiques locales et nationales face à cette recomposition ? Qu’est-ce qui faisait que le modèle fonctionnait auparavant et ne fonctionne plus aujourd’hui ? Pourquoi l’antisémitisme s’y est-il développé ?
Tout ceci dans quel but, quelle destination? Rendre hommage à Marc Bernard, prix Goncourt, grâce à qui j’ai redécouvert Sarcelles. Dans son livre « Sarcellopolis », l’écrivain-voyageur emménageait pendant 3 mois dans ce qu’il imagine alors être la ville du futur. À l’époque, en 1963, les rumeurs de « Sarcellite », maladie imaginée des grands ensembles, enflaient déjà, faisant la une des médias. Mais l’écrivain ne se laissait pas influencer et posait ces questions : « Se dirige-t-on vers une vie communautaire (…) ? La plus grande uniformité des immeubles, des logements tendra-t-elle à uniformiser les gens ? ». Sa réponse fut de mener une enquête à mi-chemin entre sociologie et journalisme.
60 ans après, notre film interactif, Sarcellopolis, explore lui aussi une ville monde sans pareille dans l’Hexagone.
Retour en image sur les choix éditoriaux du projet – le transmédia, le bus, les personnages, avec Sébastien Daycard-Heid…
Date de sortie prévue : Octobre 2015
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