Troisième épisode des aventures d’Olivier Lambert et Thomas Salva sur Le Blog documentaire… Pour rappel, les deux auteurs sont partis sur les traces de Bonnie Parker et Clyde Barrow, pour explorer notamment la réinsertion d’anciens prisonniers au Texas. En jeu : une expérience documentaire transmédia sur la justice aux Etats-Unis. Carnet de route n°3, qui aborde l’épineuse question du financement. (Le premier épisode est ici ; le deuxième là).
Et le rêve devint réalité
Jeudi 3 octobre 2013. 11h50. Lovelady, TX.
Le jaune flashy de la minuscule boutique Donuts attire notre œil. Le tenancier nous accueille. Charmant, il allait fermer mais l’occasion de rencontrer des étrangers était trop tentante. Nous sommes ses premiers réalisateurs. Première fois aussi qu’il rencontre un chanteur français. David Herman-Dune aka Black Yaya est bien à nos côtés. Il est arrivé la veille de Paris, après un mois de tournée européenne. Garret, le propriétaire de Donuts, nous parle de Jean Dujardin. Et nous confie son faible pour Bérénice Bejo. Ses doughnuts sont frais du jour et sentent le sucre. L’heure tourne. Il fait chaud sur le parking en bordure du stade de football de la High School locale. Quasiment 100 degrés Fahrenheit (38 degrés Celsius). Il est temps.
La longue Farm to Market Road 230 nous emmène vers la Old Eastham Prison Farm. Mélange d’excitation et d’angoisse. Nous allons enfin pénétrer le lieu qui a « accueilli » Clyde Barrow entre septembre 1931 et février 1932. Le turning point de l’histoire du gang Barrow, en quelque sorte. Jusqu’au milieu des années 70, ce bâtiment était considéré comme la pire geôle des Etats-Unis. Un seul dortoir, des lits superposés. Tous les hommes – des pires criminels aux plus jeunes délinquants – partagent ce même espace. En 1931, Clyde Barrow n’a alors « que » volé des voitures, cambriolé des maisons et fui la police. Violé par un détenu, il se venge, le tue, un autre homme condamné à perpétuité endosse le crime pour lui. C’est son premier meurtre. A sa sortie de prison, Clyde n’est plus un school boy . Du tout. Il est désormais prêt à tout pour assouvir sa soif de liberté et préparer sa vengeance contre le système judiciaire.
The Ham se dresse face à nous. Plus impressionnant par ce que l’on sait de lui que par son architecture. Black Yaya a composé Rattle Snake pour le film. Il y raconte l’histoire de Clyde. Un point crucial du projet que nous voulons mettre en scène avec des plans de notre chanteur-conteur déambulant dans le bâtiment désaffecté. En 1979, un prisonnier d’Eastham a réussi à faire fermer ce centre pour ces conditions inhumaines de détention, contraires à la Constitution des Etats-Unis. « Ce sont les pires hommes qui étaient envoyés ici… On n’arrivait pas sans raison… », nous explique l’Assistant Warden, chargé de nous « surveiller » pendant le tournage. Pendant que Yaya amuse les officiers avec sa guitare Gibson de 1954, nous nous préparons.
Nous y sommes. Chasing Bonnie & Clyde, tournage 2, jour 1. It’s for real.
La liberté du processus créatif
Seriously, on fait un métier fantastique. On l’oublie souvent mais créer, imaginer, penser est totalement gratuit. Vous avez une idée ? Accouchez-la sur le papier. Tout est possible, ça ne coûte rien, vous avez simplement besoin d’un crayon et d’une feuille de papier. Et encore.
Imaginez deux gus au fond d’une cave : ils parlent de faire un documentaire sur ce que l’histoire de Bonnie et Clyde au Texas pourrait nous apprendre sur notre société moderne… et si possible un film diffusé au cinéma. Vous y croyez ? A priori non. Encore moins si ces deux zouaves vous répondent qu’ils ont pensé à Herman Dune, qui pourrait écrire la bande originale du film et en être le conteur…
Et there we go…
Chasing Bonnie & Clyde, nous l’avons immédiatement imaginé comme un concept interactif et un film long pour les festivals, le premier ne pouvant se faire sans le second. Pour des raisons de calendrier, de financements, de technologie, de production, nous nous focalisons pour le moment sur la réalisation de ce futur ODNI (Objet Documentaire Non Identifié) de 70 à 90 minutes.
Ce film a une double narration. Le conteur, Black Yaya, vous embarque sur les traces de Bonnie et Clyde, ainsi que de leurs descendants. 80 ans après leur mort, les deux amoureux auraient pu vivre un tout autre destin. Le Texas, poussé par la crise économique à trouver des solutions de justice moins coûteuses, est devenu un exemple à suivre en matière de réhabilitation des jeunes criminels. Ce sont ces derniers, que nous suivons dans leur quotidien, qui sont les véritables héros du film. Comment, après avoir commis un crime, se remet-on ? Comment réintègre-t-on la société ?
Il nous fallait un « repenti ». Nous avons cherché, cherché, cherché encore. Et finalement rencontré Jason, à Dallas. A 15 ans, il est condamné pour « cambriolage aggravé en bande organisée ». Il est condamné à 12 ans de prison. Il en fera à peine 4 et sera l’un des premiers jeunes à suivre un programme de réhabilitation en prison, puis à la sortie. Enfance compliqué avec un père absent et violent, besoin d’une nouvelle famille quI inspire le bien… ou le mal, envie d’être le « roi de la fête ». Et finalement le cercle infernal, les cambriolages toujours plus préparés, plus gros et dangereux. Jason est arrêté, dénoncé par le leader de son gang. La prison lui « sauve la vie ». Une seconde chance qui lui permet de reprendre ses études, de revenir à une réalité : tout est possible, même dans le droit chemin. Jason résume sa vie, précis, concis, limpide. Il enchaîne les causes et les effets. Et n’oublie jamais de louer l’amour, la patience et la bonté que sa mère lui porte. L’image de son arrestation le hante : sous les yeux de sa mère, qui quitte leur maison pour aller au travail, la police l’interpelle, le menotte et l’emmène. Désormais la vie de Jason ressemble à celle d’un étudiant brillant, avec ses trois diplômes, son regard rempli d’étoiles et ses projets plein la tête.
En l’observant, en le voyant évoluer, en le fixant dans les yeux, on se dit qu’on lui « donnerait le bon Dieu sans confession ». Pas d’inquiétude. Le jeune homme a déjà tout confessé. Il va de l’avant.
A la State School de Giddings, un simili-campus sécurisé où plus de 220 jeunes hommes encourent des peines de 4 à 40 ans de prison, on se souvient bien de lui. Nous avons pu aller à Giddings, interviewer d’autres jeunes délinquants, toujours dans le système. En train de se reconstruire et de « s’offrir une chance pour l’après ». Tourner en prison remet les idées en place. « Ce ne sont encore tous que des gosses même s’ils sont obligés de grandir vite et qu’ils ont un passif de caïd », nous rappelle Jim Hurley du Texas Juvenile Justice Department. Jason nous emmène dans son quotidien, là où les doutes et le passé appartiennent bel et bien à l’avant. En janvier, nous prévoyons de le retrouver pour compléter le tournage : avec sa mère, à son travail chez Ericsson, ou encore à Giddings pour un discours qu’il donnerait devant les jeunes détenus.
Quand les pièces du puzzle se mettent ainsi en place, c’est un sentiment très fort qui vous empli. Et nous avons hâte d’être à Janvier…
We are not Bonnie & Clyde and we don’t rob banks
Mais d’ici janvier, nous avons fort à faire.
Nous sommes réalisateurs avant d’être producteurs. On s’improvise producteurs pour garantir notre indépendance, pour suivre notre idée, même si elle paraît « invendable ». Nous avons tout entendu sur ce projet, mais nous avons toujours laissé les « ça ne marchera jamais » de côté. Nous avons malgré tout écouté les conseils, travaillé, approfondi, certains d’être sur une bonne piste. Ce deuxième voyage n’a fait que le confirmer : le sujet est solide, universel et intéresse.
Alors, comment financer son projet-fou-indépendant-qui-a-été-imaginé-en-dehors-des-codes-et-sans-post-it ? Braquer une banque ? Dévaliser une épicerie ? Soutirer sa fortune à un philanthrope ?
Boostés par la passion, l’envie et de précieux accélérateurs de particules positives, nous avons l’habitude du Do It Yourself. C’était le cas, au moins au début pour Brèves de Trottoirs ou La Nuit Oubliée, c’est encore le cas pour Chasing Bonnie & Clyde.
6 semaines de tournages aux Etats-Unis, une collaboration avec un artiste, des droits sur des archives, le montage d’un 90 minutes pour le cinéma, le développement d’un concept interactif inédit… Dans une version cheap, ce projet coûte 60.000 euros. Si nous souhaitons réunir des conditions « idéales », le budget global s’élève à 220.000 euros. Beaucoup pour certains ; une paille pour d’autres… Nous sommes loin des 4 millions d’euros pour une pub de 5 minutes 47 secondes, « La Légende de Shalimar », poke Guerlain.
Après l’obtention de l’aide à l’écriture Nouveaux médias du CNC – véritable « GO! » du projet, nous avons investi via notre société Lumento, et nous avons mis en place une opération de financement participatif. C’est l’étape actuelle, celle qui doit assurer de payer le voyage de janvier et nous permettre d’envisager la suite sereinement. Nous avons fait le pari de récolter 15.000 euros en 60 jours, soit embarquer environ 300 personnes dans notre aventure. A ce jour plus de 174 personnes ont déjà assuré 66% de la collecte. Nous nous sommes amusés à imaginer des contreparties de bandit, avec notamment l’opération #mugshot à laquelle se sont gentiment prêtés une trentaine d’influenceurs* (MERCI à eux). A partir d’une photo d’identité, on leur a proposé une image de profil de méchant criminel pour l’exposer sur les réseaux sociaux. Le tout pour défendre le projet et initier une conversation autour d’un mot-clé à suivre : « smart-on-crime ». L’opération a très bien fonctionné, éveillé la curiosité et nous a donné des idées pour la suite…
Lors du tournage d’octobre, nous pensions aussi conquérir le public américain… Opération plus ou moins réussie… Pas certain que le public lambda connaisse la logique du crowdfunding et soit prêt à soutenir des projets documentaires portés par des Français. Sur Kickstarter, d’autres Frenchies l’ont vécu : Détroit je t’aime avec succès ; Moneyocracy sans réussite.
Vivre la fin de cette collecte est un moment particulièrement stressant, étouffant, épuisant. Ce sont les bons et mauvais côtés d’être une mini-structure indépendante où chacun fait un peu tout. C’est le prix de notre liberté.
Le dernier coup d’accélérateur
Après les deux folles semaines de tournage début octobre – nous avons fait plus de 3.500 kilomètres à travers le Texas, l’Oklahoma, le Missouri, l’Arkansas et la Louisiane, tourné à Eastham, mangé des tacos vegan, chanté dans une chambre d’hôtel, interviewé des jeunes criminels, nagé dans les piscines de chaque hôtel, entendu le meilleur groupe inconnu du monde au milieu de nulle part et de la nuit à Austin, bu de la Tequila, filmé de magnifiques plans du Texas, etc… Après tout ça et mille autres moments indécemment riches en émotions, nous sommes prêts à foncer vers les prochaines étapes.
Présents à Londres au Pixel Market de Power to the Pixel, nous avons eu d’excellents retours. Même des plus rétifs, ceux qui avaient déjà dit, souvent avec raison, « ça ne marchera jamais », « ça ne nous intéresse pas », « ce n’est pas anglé », « on ne comprend pas », etc… Chasing Bonnie & Clyde a donné envie. Et nous espérons bien concrétiser ces mises en relation avec le Tribeca Film Institute, le Harmony Institute, le Guardian, France Télévisions ou Arte avec si possible un passage à l’IDFA à Amsterdam fin novembre. A minima, nous souhaitons trouver un distributeur/vendeur international pour promouvoir le film en festivals et pourquoi pas lui assurer une place sur grand écran en salles. Si possible convaincre un diffuseur télévisé et des investisseurs pour boucler le budget du projet. Et trouver un monteur anglo-saxon prêt à s’engager sur ce projet.
Dans le viseur aussi, nous avançons les premières pierres de deux évènements majeurs : le dernier tournage en janvier à Dallas et Austin, et une première projection publique lors de South By South West 2014 à Austin en mars… sur laquelle nous planchons dur !
D’ici là, nous devons boucler la collecte KissKissBankBank ; monter un premier roughcut du documentaire ; mais aussi affiner sérieusement le concept interactif dont Arnaud Desjardins a assuré le design pour les premières planches.
L’idée est simple : vous vous embarquez sur une « route criminelle », vous pouvez faire diverses rencontres, vous laissez parler votre « coolitude » en tant que délinquant potentiel pour mieux en mesurer les conséquences. On aimerait d’ailleurs organiser un travail collectif pour réfléchir sur des logiques d’engagement, d’interactivité et surtout d’impact. Pour que cette oeuvre documentaire, film et web, soit diffusée et utilisée…
La route est encore longue, pavée d’embûches, de rencontres et de leçons. Sans aucun doute elle vaut le coup. D’ailleurs, vous avez déjà mis le contact, alors à très vite.
Olivier Lambert & Thomas Salva
*
* Merci entre autres à @adrienaumont ; @AlexisSarini ; @benoitraphael ; @blogdocs ; @couve ; @davanac ; @davduf ; @ebreilly ; @egaucher ; @EricScherer ; @gholubowicz ; @Mediatrend ; @michelreilhac ; @NicolasBecquet ; @LisePressac ; @LouisVillers ; @pierrevalade ; @RomainSaillet ; @sgaudenzi ; @ThePixelHunt ; @ThibaudVezirian ; @Wilfrid_Esteve ;
A soutenir sur KissKissBankBank, à suivre sur Facebook et Twitter. https://twitter.com/ChasingBC
Pingback: « Chasing Bonnie & Clyde » &nda...
Pingback: Le blog documentaire et son expérience documentaire transmédia sur la justice aux Etats Unis | FocusDoc
Pingback: « Le mystère de Grimouville » : petit webdoc, joli succès… | Le blog documentaire